L 'année dernière, une chaîne de télévision étrangère a consacré un reportage aux écoles religieuses au Pakistan. Financées par les pétrodollars des monarchies du Golfe, elles se comptent par milliers, notamment dans les régions déshéritées proches de l'Afghanistan. Leurs élèves sont des enfants pauvres de sept à dix-huit ans. Le programme de formation s'articule essentiellement autour de l'enseignement religieux : textes du Saint Coran et des hadiths, en veux-tu, en voilà, sans faire de distinction entre les vrais et les faux. A la clé – pour mieux bourrer le crâne de ces talibans (l'équivalent de taleb chez nous) – les mouderrès (enseignants) leur délivrent des interprétations puisées dans le bréviaire wahhabite et extrémiste. A la question du journaliste : «Quel est ton but ?» Tous les talibans interviewés – y compris les plus jeunes – ont répondu à l'unisson : «Faire le djihad et mourir en martyr pour notre religion et aller au paradis.» Résultats des courses : ils constituent la chair à canon des attentats-suicide commis dans la région et dans d'autres pays. Ce profil de formation et de recrutement «à la pakistanaise» est adopté en Somalie par les parrains des «shebabs» (les jeunes) qui ne sont rien d'autre que des élèves et anciens élèves d'écoles religieuses. En Algérie, surfant sur la vague wahhabo-salafiste importée du Moyen-Orient, des jeunes lycéens et des jeunes adultes (moins de trente ans) sont recrutés pour aller au djihad en Syrie. Certains citoyens s'étonnent que de tels comportements puissent exister plus de dix ans après la loi sur la réconciliation et la concorde civile. Pourtant, ces jeunes lycéens n'ont pas vécu la période du salafisme pur et dur des années 1980/90 qui a fini par ensanglanter le pays. Comment expliquer ce regain d'ultra religiosité ? Nous n'avons qu'à recenser et analyser les pratiques «éducatives» de ces milliers, voire dizaines de milliers, de structures de formation religieuse qui encadrent les quatre points cardinaux du pays. Elles sont de statut étatique et/ou privé. Celles de statut privé appartiennent aux zaouïas ou fiancées par des associations pseudo caritatives et des partis politiques. Ces associations cachent leurs desseins sous le prétexte des cours de soutien scolaire. Ces écoles religieuses assurent une formation et un endoctrinement, souple chez certaines et dur chez d'autres. La boucle finira par être bouclée. En effet, pour corser l'addition, chaque jour que Dieu fait des mosquées apportent leur eau au moulin salafiste. Leurs imams convertis à ce nouveau dogme, étranger aux mœurs algériens, lancent des prêches incendiaires renforçant davantage les convictions des élèves des écoles religieuses. Faisons le tour de ces structures de formation religieuse. D'un côté, le ministère des Affaires religieuses avec près de 4000 classes préparatoires religieuses – enfants de moins de six ans (chiffres de 2006) et dont la pédagogie et le programme de formation n'a rien à voir avec les normes pédagogiques et scientifiques. Généralement, une cinquantaine de bambins entassés dans un vaste local et encadrés par des universitaires au profil choisi selon des critères spécifiques. Mais il n'y a pas que ces classes. Ce ministère ouvre aussi des écoles religieuses dans toutes les villes du pays. Elles sont encadrées par une logistique pédagogique et qui n'a rien de scolaire : programme, manuels, département de formation, structure en charge des publications. Un véritable ministère de l'Education bis. C'est à croire que l'Etat algérien n'a pas de ministère de l'Education. Les écoles religieuses privées ne diffèrent de celles de l'Etat que dans l'intensité du discours religieux. Elles ne s'embarrassent pas des formes à mettre pour verser dans l'embrigadement et l'endoctrinement. Une question se pose : ce ministère des Affaires religieuses et ces structures «privées de formation religieuse» ne sont-elles pas en opposition avec la Constitution qui garantit la scolarité des enfants à partir de six ans ? Que font ces enfants de six ans, huit et dix ans dans une zaouïa ou dans une école religieuse ? Pour former des imams ? Mais l'université s'en charge avec ses licenciés et «douktours» en charia. Qui sont ces enfants inscrits dans les écoles religieuses ? Pas des enfants d'imams, de haut fonctionnaires ou de riches commerçants, jamais ! Ils sont issus de familles pauvres qui s'en déchargent pour cause de misère. N'est-ce pas un crime que de les priver de scolarité et d'un avenir de médecin ou d'ingénieur à l'instar des enfants de leur âge ? La même tactique «caritative» a été utilisée par Mgr Lavigerie et ses Pères Blancs pendant les périodes de famine et de disette qu'ont connues les Algériens pauvres, juste après 1830. Avec l'aval des parents soucieux de sauver leurs enfants d'une mort certaine, les religieux français de l'époque (XIXe siècle) recrutaient leurs futures ouailles, leur assurant gîte, couvert et soins. Sur autre volet, ce recrutement d'enfants pauvres dans des écoles religieuses et non scolaires s'apparente à un remake de la fameuse opération d'arabisation des années 1970/80 qui a vu se faire orienter dans les classes arabisées les enfants issus de familles pauvres alors que les enfants des militants du parti unique ainsi que ceux des riches étaient placées dans les classes bilingues ou au lycée français d'Alger (Descartes). Nous connaissons les résultats de cette course à la surenchère linguistique déclenchée pendants les années de plomb du parti unique. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, doit-on s'étonner de voir ces adolescents issus de familles déshéritées aller en Syrie dans le but de se transformer en torches humaines pour des idées qui n'ont rien à voir avec le Saint Coran ? Concernant les filles, ce sera le don de leur corps aux combattants djihadistes, toutes nationalités confondues. Dans un tel climat, la profanation sauvage de cimetières, la destruction de mausolées ibadites à Ghardaïa en 2014, après ceux de Tombouctou en 2012, ne sont que des signes avant-coureurs avant la tempête. On ne peut passer sous silence la prolifération du discours haineux et djihadiste véhiculé par ces ouvrages frelatés qui pullulent dans les rayons des bibliothèques scolaires, sur les étals des librairies. Sans parler des programmes et des contenus des manuels de certaines disciplines scolaires (langue arabe, histoire, éducation islamique, philosophie) et qui n'ont pas été expurgés totalement du virus du sectarisme et de l'archaïsme. Si les Algériens ne veulent pas voir leur pays (re)sombrer dans le schéma pakistanais, il faut en urgence éradiquer ces nombreuses poches formatrices de futurs kamikazes et de prédicateurs de haine et de violence : de véritables bouillons de culture. Sans tarder, l'Etat doit réagir.