L'Algérie est parmi les rares pays où toute compétence ou institution qui serait capable de produire des futurs cadres est pratiquement inhibée. En effet, après plus d'un quart de siècle d'expérience dans la doyenne des écoles d'ingénieurs en technologie en Algérie, à savoir l'Ecole nationale polytechnique, j'ai constaté que le démantèlement de cette institution de production de matière grise a été programmé. Aucun investissement n'a été consenti pour le renouvellement des vieilles installations acquises justes après l'indépendance, ni d'ailleurs la préparation de la relève des ressources humaines dont la moyenne d'âge dépasse les 55 années. Des chercheurs par leurs propres initiatives ont pu acquérir des équipements par des financements externes et ont été, en l'espace de deux décennies, reconnus par la communauté scientifique comme des experts. Cette reconnaissance de la production d'une recherche algérienne de qualité, avec à la clé l'invention de nouveaux procédés technologiques ont eu un impact positif sur leur institution. Ainsi, ces enseignants-chercheurs ont pu transmettre leur savoir aux futures générations d'étudiants par des cours actualisés et de qualité. Les diplômes octroyés par l'Ecole nationale polytechnique ont été, ainsi, reconnus par l'ensemble des institutions universitaires étrangères. Cet équilibre sensible entre l'apport des chercheurs pour la graduation (1er cycle), via les financements divers, l'acquisition des équipements et le manque de mise à disposition de financement pour maintenir les ateliers des travaux pratiques fonctionnels a été rompu ces dernières années par des actions incompréhensibles de nos responsables à tous les niveaux. La nomination d'un nouveau maître de conférences comme directeur n'ayant aucune expérience dans le domaine et surtout aucun projet de développement pour une institution de l'envergure de Polytechnique a été fatale pour le devenir de notre institution. Au lieu de piloter l'école par une ressource humaine compétente que nous aurions suivie dans l'accomplissement des objectifs clairs et présentés dès le début de son mandat, nous nous sommes retrouvés dans une situation où pour élire un simple comité scientifique de département, il nous a fallu plus d'une année avec, en fin de course, un arrêté du ministre (non signé) basé sur un faux document et le rejet de ce dernier, à cause du non-respect de la réglementation, par la directrice de la recherche après étude approfondie du dossier. Les premières retombées ont fait que, pratiquement, toutes les post-graduations de l'école, fer de lance de notre institution, ont été laminées pendant plusieurs années par le blocage des écoles doctorales, par des décisions unilatérales malgré les rapports positifs des experts des commissions. A titre d'exemple, l'Ecole doctorale ingénierie et environnement ayant plus d'une quarantaine de professeurs, issus de différentes institutions universitaires et d'un centre de recherche du centre, et ayant pu former plus d'une centaine de magisters suite à la mutualisation des ressources humaines et matérielles de différentes universités, écoles d'ingénieurs et centres de recherche, a été gelée dans un premier temps puis carrément non renouvelée pour des raisons incompréhensibles. Même l'excellent arrêté relatif aux écoles doctorales qui allait faire démarrer la recherche universitaire en lui donnant des moyens financiers et en mutualisant les ressources humaines à l'échelle régionale a été rendu caduc. Enfin, pour parachever et instaurer le règne de la décadence de l'Ecole polytechnique, l'équipe (Biogep) la plus performante et la plus revendicatrice en termes de moyens matériels et d'efficacité de gestion a été la cible privilégiée des responsables. En premier lieu, les chercheurs (soutenance retardée pendant plus de 5 années malgré la disponibilité des articles remplissant toutes les exigences de la réglementation en vigueur), ont été victimes de procédures relevant de la ségrégation. En effet, nous assistons à la création de deux collèges de doctorants : ceux qu'il faut freiner et à qui on crée de faux problèmes afin de les empêcher à se consacrer à leurs recherches et les pousser à passer leurs journées à demander des audiences qui sont programmées à l'échec au plus haut niveau. Ce problème n'est pas un problème local puisque même à l'extrême sud-ouest (Béchar) un excellent jeune chercheur subit cette situation. Ceux à qui on octroie le doctorat sans aucune évaluation préalable et en plus sans être trop regardant sur le contenu. Nous avons demandé depuis plus d'une décennie une enquête sur cette dérive de l'octroi des thèses à la carte. Présentement, nous sommes rendus à nous forcer la main pour participer à des comités scientifiques illégaux et à nous imposer le silence sur la disparition du matériel de l'école relevant du patrimoine de notre institution lors des conseils d'administration. Nous avons dénoncé ces anomalies du non-respect de la réglementation à toutes les instances supérieures du pays et n'avons reçu aucune réponse. Personnellement, ce qui me désole, c'est le silence des collègues, qui, au lieu de refuser de transformer l'illustre «Polytechnique» en un désolant «polymicmac», acceptent cela comme une fatalité. Nous avons consacré notre vie à cette école, terminer notre carrière en la bradant et en consentant sa disparition programmée est un acte dont nous serons comptables vis-à-vis des futures générations. Détruire un pilier de l'université algérienne, c'est fragiliser toutes les fondations et le socle des centres de production de matière grise. Qui a intérêt à ne pas protéger notre nation de l'après-pétrole par la ressource inaltérable qu'est la matière grise dont on disposerait au moment opportun ? Il était pénible de vivre dans notre pays avec des principes basés sur la probité et la compétence. Présentement, cela devient un enfer pour les lettrés qui ne sont pas suffisamment lâches et carriéristes opportunistes.