Avoir beaucoup disserté de l'audiovisuel (cinéma et télévision) chez nous et des problèmes de fond dans lesquels il s'est empêtré, non, je ne le pense pas. Les failles sont tellement nombreuses dans ce secteur qu'il serait prétentieux de les situer toutes. Il y a, cependant, l'essentielle, la principale qu'on n'a de tout temps évité de situer la responsabilité première. Pour rappel et aussi paradoxal que cela puisse être, c'était à la fois en pleine crise et en pleine mutation du cinéma et de la télévision algériens qu'on a décidé en haut lieu de réorganiser les deux secteurs dans le cadre de l'opération « Restructuration » (il y a une vingtaine d'années environ). Organisée et appliquée dans la hâte, cette opération politique, sous couvert d'opérations technico-économiques, devait être suivie de mesures adéquates de redressement, mais, malheureusement, elles n'ont pas eu lieu. Cette opération, qui est à marquer au rouge dans les annales de l'audiovisuel en Algérie, a eu des effets dévastateurs sans précédent, d'abord le cinéma et ensuite la télévision. Et comme pour clore une fois pour toutes le dossier, l'Etat décida alors d'octroyer 36 mois de salaire à chaque professionnel (réalisateurs et techniciens) désireux de s'établir à son propre compte en qualité de producteur exécutif avec toutes les garanties de travail et de partenariat avec, en particulier, la télévision nationale. Aussitôt décidé, aussitôt fait, l'ensemble des réalisateurs et une partie des techniciens adhérèrent à cette nouvelle formule. Confiant et enthousiaste, tout le monde s'est mis au travail et s'est débrouillé comme il le pouvait. Nombre d'entre nous avons investi tout notre argent avec, en sus, des crédits contractés auprès des banques pour pouvoir ouvrir un bureau et acheter ou louer les équipements nécessaires. Mais au bout d'un certains temps, c'est le désenchantement total, la télévision devient de plus en plus réticente et ne respecte plus ses engagements ; elle imposa elle-même et de façon unilatérale les nouvelles « règles du jeu », basées beaucoup plus sur le favoritisme, le clanisme et l'exclusion. Il y va de même pour le cinéma où la situation n'est guère meilleure ; le parcours est extrêmement difficile, voire plein d'embûches : déposer un projet, l'arracher et le produire ensuite relève du miracle, et encore s'il est accepté (censure ou autres considérations similaires oblige !) Quant aux fonds d'aide alloués, ils ne répondent à aucun critère sérieux, c'est purement et simplement de la haute voltige, beaucoup plus basée sur le subjectivisme, le clientélisme et l'interventionnisme à plus haute échelle. Face à cette situation de débauche et de reniement, nombreux sont ceux qui, parmi nous, y ont laissé leurs plumes. Désabusés, trompés et de guerre lasse, nombreux sont aussi ceux qui ont changé carrément de profession. Nombreux aussi ceux qui se trouvent jusqu'à aujourd'hui à faire du n'importe quoi pour survivre. Que de talent, que de travail, que de rêve et d'espoir de toute une génération parti en fumée ! Aujourd'hui, à la veille de l'an 2010, la situation est du pareil au même, sinon pire. Non seulement nous subissons toujours le diktat de la même politique de production audiovisuelle qui a prévalu les années précédentes, mais en plus nous nous trouvons confrontés à un phénomène de perversion et de déliquescence sans précédent dans les métiers des arts audiovisuels. Parvenus d'on ne sait où ni par quel effet pervers, ils ont atterri dans le secteur sous couvert de producteurs exécutifs (en faveur d'une situation toute faite et toute prête), ces nouveaux arrivants, beaucoup plus intéressés par l'appât du gain, ont réussi en un laps de temps très court à s'imposer et à faire admettre leur propre mode de production et de réalisation technico-artistique, de même qu'à faire prévaloir leur propre mode de pensée et de culture n'existant nulle part ailleurs. Sans état d'âme et sans la moindre gêne, ils ne reculent devant rien pour satisfaire leurs propres besoins au détriment de l'éthique et du minimum professionnel. Le plus à plaindre est que ce phénomène a tendance à se généraliser et à devenir une pratique dans l'ensemble des boîtes de production, y compris professionnelles (à quelques exceptions près). Si aujourd'hui il y a bilan à faire de toutes ces longues années passées en matière de productions cinématographiques et télévisuelles, il n'y a vraiment pas de quoi se réjouir. Mises à part quelques productions de qualité qui se résument aux doigts d'une main, la quantité et la qualité à comparer avec nos voisins et le monde arabe en général est encore chez nous très loin du rendez-vous... Comment peut-on parler de cinéma algérien en particulier, alors qu'il est démuni du minimum fonctionnel (contrairement aux années 60-70-80 et début 90) ? Pas de locaux, pas d'administration, pas de bureaux, pas de... Evoluant dans l'inconnu et l'informel, les professionnels, tels des SDF, n'ont de recours et d'interlocuteurs autres que les directions dépendantes du ministère de la Culture. Comment peut-on parler aussi de télévision, alors que celle-ci refuse ouvertement de s'ouvrir aux professionnels et à la société de manière générale ? Bénéficiant d'un budget colossal (argent du contribuable) et d'autres ressources d'entrées en argent non négligeables (spots publicitaires, prestations...), elle s'est transformée (l'ENTV) en un immense empire de mercantilistes et d'affairistes de mauvais goût qui gèrent à leur guise tout cet argent, au seul profit de la médiocrité et à ceux qui la produisent. Cette situation, à laquelle est confronté l'ensemble du secteur de l'audiovisuel, est connu par tous, tout le monde est d'accord que l'Algérie n'a ni cinéma ni télévision. Prétendre le contraire, c'est soit se berner d'illusions ou bien prendre les vessies pour des lanternes ou bien encore faire partie des mieux lotis, parce que, en réalité, cela fait longtemps que les portes de l'audiovisuel ont été fermées et qu'on fait semblant de faire du cinéma et de la télévision. Et pour que l'illusion soit parfaite, on organise en grande pompe et à grande échelle (internationale) des pseudo-festivals et qu'on multiplie toutes sortes de manifestations similaires pour faire admettre l'idée qu'en Algérie ça « tourne » admirablement bien. De la poudre aux yeux vis-à-vis de l'opinion publique et de la supercherie à l'égard des professionnels. Cette politique de tromperie a malheureusement fait des adeptes dans le milieu professionnel et plus particulièrement dans les associations qui se murent dans un silence assourdissant, traduisant de fait un parti pris flagrant. Reléguant de plus en plus en arrière-plan les principaux problèmes qui neutralisent le secteur et qui l'empêchent de se développer réellement, ces associations ont non seulement fini par s'écarter de l'essentiel, mais en plus ne se manifestent presque plus par une quelconque action, ne serait-ce que sur le plan de la communication et de l'information. Ce qui est par contre vrai, et c'est regrettable, c'est qu'elles se sont transformées en associations de circonstances (festivités et autres rendez-vous de « zerda » cinématographiques), pour servir de tremplin à une certaine catégorie de professionnels qui se sont arrogés les droits et exclusivités jusqu'à même se partager tous les espaces d'expression audiovisuelle. La boucle est bouclée. Au même titre que le cinéma et la télévision, nous n'avons pas non plus des associations professionnelles crédibles et dignes de confiance pour crier à l'unisson haut et fort notre rage et notre désapprobation, quant à cette situation absurde qui n'a que trop perduré. Nous n'avons pas non plus d'associations réellement représentatives des principaux corps de métiers : réalisateurs, producteurs, techniciens..., pour nous dégager de ce piège et faire prévaloir à tous les hauts niveaux de responsabilité nos revendications premières. De même, il est complémentaire de voir la nécessité et l'urgence de rouvrir le dossier audiovisuel à la lumière du jour, et pourquoi pas le soumettre à un large débat parce que toute la société est concernée et qu'elle est parfaitement consciente qu'il est plus qu'un devoir à l'Etat de prendre en considération ce secteur de souveraineté nationale et de l'accompagner sur le terrain par une politique audacieuse et réellement effective afin de favoriser une fois pour toutes l'édification d'un cinéma et d'une télévision (multiple et plurielle) authentiquement algériens et ouverts à l'ensemble de la société. Les moyens et la volonté existent, seul le politique fait faux bond. Naïf peut-être, mais pas dupe par rapport à cette amère réalité qui nous a rattrapés et fait prendre conscience que nous sommes des riens de rien face à l'adversité en matière d'attaque médiatique par l'intermédiaire de l'audiovisuel. Si cela pouvait tuer, il y a longtemps que notre pays aurait été effacé de la carte. En ces temps modernes qui courent, l'audiovisuel constitue l'arme la plus redoutable qui soit ; le dernier match de football, qui a opposé l'Algérie à l'Egypte, est à ce titre plus que révélateur et nous l'avons appris à nos dépens. De frustration en frustration, est-ce le destin des Algériens et Algériennes ? La vérité est que le pouvoir en place refuse obstinément de voir la réalité en face. L'auteur est ingénieur du son