C'est un «archer» qui rate rarement sa cible. L'oeuvre d'Aït Menguellet se déroule comme on déroulerait le scénario d'une vie. Une oeuvre culte où aucune de ses créations ne peut laisser indifférent pour celui qui sait et prend le temps de les écouter. Et s'il ne devait s'agir que de lui, l'homme se serait volontiers effacé pour ne céder la place qu'à ses poésies. Des bouts de lumière qui illuminent la trajectoire d'un artiste exceptionnel et auquel s'identifient ses très nombreux admirateurs. Ses thèmes chantés dans sa langue maternelle, le kabyle, sont universels. Cela va de l'amour au plus petit détail de la vie quotidienne, Lounis observe attentivement, écoute et ausculte au plus profond de ses arcanes la société qui l'a vu naître puis grandir. Il est à l'Algérie ce que fut Naguib Mahfouz au pays des Pharaons. Ses mélodies simples mais entraînantes captent et arrivent à dompter l'ouie la plus réfractaire. Il y a tout de même quelque chose d'exceptionnel chez cet artiste: son oeuvre a imposé son image. A l'instar de tous ces grands poètes, ses illustres prédécesseurs: Si Mohand Ou M'hand, Baudelaire qu'il aime citer, Rimbaud ou Yacine et beaucoup bien d'autres encore. Des hommes qui ont eu accès à ce stade suprême du dépassement de soi. Reconnus par leurs pairs, ils ont fait des émules puis école par la suite. Il n'est donc en aucun cas étonnant que certaines oeuvres poétiques de Lounis Aït Menguellet revêtent un caractère prémonitoire. Lounis visionnaire? Il lève la tête, réfléchit ou peut-être même fait-il semblant de réfléchir? Cela semble déroutant, tant le poète fait preuve d'une retenue dont l'excessivité ne transparaît même pas. «Peut-être», finit-il par lâcher. Comme si le doute était permis. «Certainement», a-t-on envie de lui répondre. Au fond, il doit bien en être conscient, mais l'homme n'est pas prétentieux. Ce n'est pas le genre. Les créations de Lounis ne parviennent pas du néant. L'espace doit être bien rempli pour lui. Il s'en abreuve: c'est sa fontaine. Il s'en délecte à ne pas en finir. Il s'agit de cet espace symbolique bien entendu. Il constitue son capital culturel. Dans sa besace: un métissage de la tradition orale cueillie comme un fruit sur la bouche d'une femme, et une culture générale maîtrisée de l'aventure et des conquêtes de l'homme sur terre. Elles constituent le socle de son énergie créatrice. Comment pourrait-il en être autrement lorsque l'artiste nous a confié que la chanson Ammi, a pris racine dans un passage du Prince de Machiavel. Lorsque nous lui faisons remarquer qu'elle illustre, sans entrer dans les détails, les événements dramatiques d'Octobre 1988 (la chanson a vu le jour en 1982), il marque un temps de réflexion, sans acquiescer totalement, émet-il encore un doute...il a tout de même cette réponse: «En voulant donner des leçons au prince, Machiavel a donné des leçons au peuple». Et qu'aurait donc pensé Lounis de cette dédicace du Prince à Laurent II de Médicis? «Il ne faut pas que l'on m'impute la présomption, moi un homme de basse condition, d'oser donner des règles de conduite à ceux qui gouvernent. Mais comme ceux qui ont à considérer des montagnes, se placent dans la plaine, et sur des lieux élevés lorsqu'ils veulent considérer une plaine, de même je pense qu'il faut être prince pour bien connaître la nature et le caractère du peuple, et être du peuple pour bien connaître les princes.» Cela sera certainement pour une autre fois. Et puis nos princes n'ont qu'à bien se tenir, car les prochaines flèches feront sans aucun doute mouche, quant au cibles...advienne que pourra.