Cette rupture violente d'un équilibre social et économique, certes fragile, dans une région suffisamment représentative de l'ensemble de la nation, n'est pas unique. On la retrouve dans d'autres régions du pays où les mêmes causes, les déficiences d'une gouvernance, produisent les mêmes effets, une désaffection violente contre tous les autres, y compris les pouvoirs publics. A s'y méprendre, une telle situation pourrait avoir des conséquences dramatiques pour le pays, à la veille d'une consultation électorale nationale cruciale très mal engagée. Le M'zab, malgré une population berbérophone et arabophone de moins de 10% de celle du pays, est suffisamment représentative de la nation dans la mesure où, situé dans la partie septentrionale du Sahara, une région des plus déshéritées du pays, il n'est pas pour cela des plus dépourvus. Le M'zab doit largement ses conditions de vie très comparables à la moyenne nationale à l'esprit d'entreprise et à la valeur du travail qui animent sa population. Cette attitude indispensable d'abnégation devant l'adversité lui a été léguée au fil du temps par ceux qui n'ont pas compté leurs efforts ni leurs sacrifices pour domestiquer une nature ingrate et venir à bout des challenges nombreux qu'ils ont dû affronter sur la voie du développement et de la pérennité de leur terre. Cette endurance, cette inclination à bâtir et à compter sur soi sans cesse renouvelées ont permis de transmettre au pays, malgré les vicissitudes de l'histoire, un héritage culturel précieux dont il peut être fier aujourd'hui. Les vestiges et monuments historiques de la vallée du M'zab ont été d'ailleurs versés au patrimoine mondial de l'Unesco. Leur destruction par des bandes enragées, irresponsables et inconscientes de la valeur universelle de ce qu'ils ont détruit ne pourra laisser indifférents les Algériens ou même la communauté internationale, soucieuse de la préservation des héritages culturels de l'humanité. Le M'zab est représentatif aussi, parce qu'il regroupe sur sa vallée exigue une population variée sur les plans économique, social, ethnique et culturel. On y rencontre depuis les origines des berbérophones et des arabophones, des musulmans de rites malékite et ibadite, des sédentaires et des nomades fraichement installés qui ont été rejoints, plus tard, par l'apport constant et croissant de populations venues d'horizons divers, sans attache particulière avec le M'zab, exceptée celle d'y assurer un emploi. La périphérie des ksour millénaires, déserte autrefois, est devenue le centre névralgique de la vallée où habite l'essentiel de la population. Les plans d'urbanisme destinés à protéger et policer son développement ont vite été dépassés. Des constructions individuelles illicites très denses ont envahi les espaces inoccupés appartenant en réalité à des individus ou à des groupes de familles, ou se trouvent être des biens de «main morte» (habous) de destinations sociales diverses. L'occupation illégale de ces espaces a engendré naturellement des problèmes fonciers inextricables. Les tensions de voisinage ont vite dégénéré en échauffourées intercommunautaires difficiles à maîtriser dans un contexte où l'Etat de droit est chancelant, les titres fonciers souvent incomplets ou carrément inexacts. Ces constructions anarchiques, surpeuplées et bâties souvent selon des normes de sécurité hasardeuses, posent de sérieux problèmes de salubrité publique que les autorités municipales se sont retrouvées incapables de gérer sans ressources suffisantes, surtout lorsque la vallée s'est transformée en une seule agglomération urbaine reliant les villes de la pentapole par un réseau enchevêtré d'habitations et de commerces sur une trentaine de kilomètres allant de Ghardaïa au nord à El Atteuf au sud. L'urbanisation à la sauvette d'un ensemble urbain autrefois équilibré, où il faisait bon vivre, s'est retrouvée ces dernières décennies totalement étouffée dans une «chebka» où des jeunes de plus en plus nombreux étaient abandonnés à eux-mêmes, livrés à l'oisiveté ou au chômage et parfois aux trafics de toutes sortes. Ceci explique en grande partie la déferlante de pillages, de destruction et de barbaries que le M'zab a enduré ces derniers mois. Ces mêmes problèmes de délinquance urbaine et de violence généralisée se retrouvent régulièrement dans de nombreuses nouvelles villes d'Algérie, comme partout ailleurs, lorsque le schéma architectural est mal conçu, que l'ensemble urbain est sous-équipé en infrastructures de services indispensables pour un cadre de vie agréable et rassurant pour ses habitants. Cette problématique du mal-vivre et des fractures sociales se retrouve, par exemple, dans des villes comme Ali Mendjeli à Constantine, Bachdjarrah à Alger ou El Bouni à Annaba. Les solutions évidentes à ces problèmes humains est l'apport de ressources additionnelles pour achever la construction et l'équipement de leurs infrastructures, la révision urgente des plans d'urbanisme pour les adapter aux nouvelles situations et leur donner une vision de long terme qui tienne compte des lacunes architecturales et des insuffisances des équipements pour une vie sociale harmonieuse et décente dans ces villes. Les problèmes du M'zab, avec son ensemble de cités millénaires, ont été compliqués par les déséquilibres créés par l'arrivée massive de nouveaux habitants qui a déstabilisé, à la longue, la vie en harmonie des communautés autochtones qui partageaient le destin d'un espace extrêmement fragile nécessitant, pour sa préservation, de l'investissement et une gestion minutieuse et avertie que les pouvoirs publics n'ont pas su prévoir et fournir à temps. Les événements ont pris la tournure la plus dangereuse : les affrontements sur un plan intercommunautaire. Cela a réveillé de vieux démons que l'on croyait enterrés depuis des décennies mais qui ont donné naissance à des réquisitoires inflammatoires qui rappellent le Moyen Age et les pillages des temps lointains. Comment était-il possible, dans un pays profondément marqué par les souffrances partagées pour le combat pour la liberté et la justice, deux communautés de même religion, unies dans un même destin et nourrissant les mêmes idéaux pour leur pays puissent, soudainement, recourir à la violence la plus sauvage entraînant des pertes en vies humaines, la destruction de lieux de mémoire comme le mausolée de Sidi Aïssa datant du XVe siècle, la profanation de cimetières centenaires, l'incendie d' archives de grande valeur historique et la mise à sac d'institutions de préservation de la connaissance de sites historiques tel que l'Office pour la protection de la vallée du M'zab (OPVM) ? Des troubles ciblés, graves, ont mis à feu et à sang tour à tour Berriane, Guerrara et enfin Ghardaïa, Melika et Bounoura. Cela a laissé dans chaque communauté un sentiment d'agression par l'autre et la certitude d'une absence, voulue ou d'impuissance, des autorités locales. La passivité ou l'impotence de l'Etat ont fait naître une foule d'allégations graves sur le comportement partial des services d'ordre et l'incurie des autorités.Des rumeurs ont couru sur des manœuvres de forces obscures dont l'objectif inavoué est d'enflammer cette région multiethnique, en équilibre instable, dans l'espoir d'étendre, par un effet domino, le chaos à d'autres régions à la veille de la consultation électorale nationale à venir. Dans cette situation de non-droit, on a parlé aussi de groupes mafieux voulant faire de la vallée une zone de transit pour toutes sortes de trafics, y compris celui de la drogue. Il y a aussi les prêches haineux diffusés sur la Toile, invitant les malékites au djihad par le meurtre de leurs compatriotes berbères ibadites et la destruction de leurs biens, y compris tout symbole qui témoignerait de leur présence dans la région. Dans cette confusion des esprits, les passions se sont cristallisées sur des bases ethniques jusqu'à suggérer, par certains, la séparation sur une base communautaire des enfants dans les écoles, prenant en exemple, semble-t-il, sur ce qui a été appliqué à Bounoura à la suite des échauffourées de 2006. Certains ont poussé l'outrage jusqu'à suggérer la fermeture pure et simple de tous les instituts et medersas ibadites. A cet égard, il est à noter que les berbères mozabites sont parmi ceux, en Algérie, qui maîtrisent le mieux la langue arabe et qui ont de ce fait une longue expérience de développement et de gestion de medersas modernes. A l'inverse, leurs compatriotes arabophones, qui ont vécu à leurs côtés pendant des siècles, ne se sont en général pas capables de communiquer avec eux en berbère mozabite, une composante pourtant intégrale de la culture commune. Faudrait-il donner une signification particulière à cette méprise ? Cette ferveur communautariste, frisant l'apartheid, que certains veulent imposer, n'a certainement pas sa place dans une Algérie républicaine, moderne, tolérante et ouverte à toutes les cultures et en premier lieu à la sienne. Le M'zab a pour l'instant recouvré un calme précaire grâce à l'intervention efficace des forces de l'ordre envoyées en renfort des wilayas voisines. Les haines et les rancœurs mutuelles restent cependant profondes. Elles prendront du temps à se résorber. Pour restaurer la confiance et trouver une issue durable à cette tragédie, il faudra d'abord dissiper les préjugés discriminants colportés çà et là par ceux qui sont ignorants des préceptes et de l'histoire de l'islam et de leur pays, mais qui n'hésitent pas à distiller un obscurantisme criminel d'une autre époque. Il faudra ensuite prendre toutes les mesures qui s'imposent sur les plans politique, économique et institutionnel pour inclure dans le processus de participation au développement les exclus traditionnels de la République, parmi lesquels les Mozabites d'aujourd'hui. Les Préjugés à Combattre Pour démystifier un certain nombre de préjugés, il est utile de rappeler succinctement quelques faits historiques de cette région et du pays en général.Les tensions inter et intracommunautaires dans le M'zab, comme déjà mentionné, n'ont rien de différent par rapport à celles que l'on trouve communément dans tout espace urbain mal géré. Ces remous ont ponctué l'histoire de cette région depuis qu'elle a été habitée de façon permanente au XIe siècle, lorsqu'une population majoritairement berbère est venue s'y réfugier à la suite de la chute de l'Etat rostémide de Tahert. C'est cette population qui a érigé, sur les collines surplombant l'oued M'zab et au-delà, sur un rayon d'environ 50 km, un ensemble de petites villes d'inspiration arabo-berbère. Cette région, avec comme capitale Ghardaïa, a su préserver, jusqu'à récemment, une architecture originale dont la beauté et la fonctionnalité restent toujours la fierté de l'Algérie et l'admiration de ses visiteurs. Le premier préjugé à combattre est le distinguo religieux persistant entre les communautés du M'zab, dont l'une est ibadite et l'autre malékite. Cette distinction est en elle-même une hérésie dans la mesure où tous les habitants du M'zab partagent la même liturgie religieuse inspirée de la Sunna. La différence, si elle existe, est que l'ibadite, minoritaire et soucieux de son identité, a de tout temps été farouchement égalitariste et enclin à la solidarité entre les citoyens et, pour préserver la paix e la tranquillité autour de lui, il affectionne la tolérance et le respect d'autrui, quel qu'il soit. Il recherche en outre le consensus à tout prix à travers une consultation démocratique bien réglée entre ses membres. Cette philosophie politique du vivre ensemble est commune à toutes les minorités jalouses de leur identité et soucieuses de préserver l'intégrité de leur culture qu'ils sentent menacée, souvent à juste titre, par la majorité. Il y a en second lieu le mythe du nombre. L'instinct de défense identitaire est d'autant plus ancré chez les Mozabites qu'ils sont eux-mêmes une minorité au sein même de la minorité amazighe. Ils représentaient en 1966 moins de 50 000 personnes sur une population totale de 90 000, soit environ 56% de la population totale de leur région, ce qui correspond à peine 0,5% de la population de leur pays. En 2008, les mozabites sont devenus minoritaires d'un triple point de vue. Ils sont d'abord minoritaires chez eux, au M'zab, où ils ne sont plus qu'environ 140 000 sur une population totale du département, en excluant El Goléa, de 363 600 habitants soit 38,5% du total. Ils le sont aussi à une plus grande échelle, au sein de la minorité amazighe de l'Algérie, et encore plus sur le plan national, où ils ne représentent plus que 0,4% de la population du pays. Ces chiffres, tirés des archives officielles des recensements successifs, expliquent l'angoisse que pourraient avoir les ibadites à l'idée qu'il pourrait y avoir une disparition de leur culture à long terme. Cette crainte est d'autant plus aigüe que lorsqu'ils se sentent stigmatisés ou victimes d'injustice ou d'agression, surtout dans un contexte d'Etat de droit incertain, où les passe-droits, les favoritismes et les népotismes jouent encore un grand rôle. Pour mémoire, il faut rappeler que les Mozabites ont dû faire face à plusieurs campagnes de boycott et de pillage de leurs commerces dans le passé, en particulier en dehors du M'zab. La plus meurtrière et la plus destructrice de toutes a été cellle de 1955/56, qui n'a cessé qu'après l'intervention ferme du FLN. Un troisième mythe qu'il faut dissiper parce qu'il est source de division et qui ne correspond nullement à la réalité historique de la communauté ibadite et du pays. C'est d'affubler les mozabites du qualificatif peu flatteur de «kharidjite». Ce concept de «kharidjisme», qui veut dire «sortir du rang», leur est tout à fait insupportable parce qu'il a une connotation dégradante d'apostasie sur le plan religieux et de renégat sur le plan politique. Le brandissement de ce concept est devenu, chez certains, le cri de ralliement contre cette communauté dont le particularisme identitaire est ressenti, à tort, comme une menace à l'unité nationale. D'aucuns peuvent se demander comment une minorité de cet ordre numérique infime pourrait-elle constituer une menace pour l'unité nationale… Dans le cas précis du contexte algérien de la guerre d'indépendance, certains reprochent aux Mozabites de ne pas avoir fourni l'effort et les sacrifices nécessaires pour la libération de leur pays. Ces allégations sont totalement intolérables et scandaleuses à leurs yeux. S'il est vrai que les Mozabites n'ont pas fourni de colonels à l'Armée de libération nationale, ils ont au moins contribué, comme tout un chacun, à l'indépendance de leur pays d'abord en étant parmi les précurseurs, dès les années 1920, des nationalismes algériens et maghrébins. Il suffit pour cela de consulter les archives des partis fondateurs de ces nationalismes pour s'en convaincre. Malgré leur nombre restreint, leurs intellectuels et leurs hommes politiques ont été en bonne place parmi les militants de l'Etoile nord-africaine, de l'Association des oulémas, du PPA, du MTLD, des Amis du Manifeste algérien… Et, au moment du rassemblement de toutes les forces du pays, ils se sont retrouvés au sein du FLN comme tout le monde. A ce titre, ils ont contribué de façon effective au foisonnement d'une presse arabe et berbère de soutien à la cause nationale. Ils ont ouvert les premières et rares imprimeries clandestines sur lesquelles l'Algérie combattante pouvait compter. Ils ont subi, comme tout Algérien, leur lot de souffrances, de tortures, de prison et d'exil. Comme leurs compatriotes non ibadites, ils ont versé leur sang au combat et contribué matériellement à l'effort de guerre de leur pays. Ils l'ont fait pour l'honneur et l'amour de la patrie, pour l'établissement d'une justice pour tous, sans chercher de distinction ou de reconnaissance particulière de la part de quiconque. Dans ces conditions, faire un procès aux Mozabites sur la réalité de leur patriotisme serait une grave injustice et un affront impardonnable à tout le peuple algérien. Les Causes Profondes de la Crise Pour comprendre les racines profondes des crispations sociopolitiques qui éclatent en affrontements sanglants entre citoyens algériens depuis l'indépendance, il faudra réfléchir sur la nature des politiques instituées par les régimes successifs et les moyens qu'ils ont mis en place pour les appliquer. Les politiques et les moyens utilisés ont suscité chez beaucoup un sentiment d'abandon et d'injustice qui reflètent les travers d'une mauvaise gouvernance. Les derniers troubles à Ghardaïa semblent avoir eu pour prétexte les modalités de publication d'une liste de distribution de logements sociaux aux habitants concernés de la région. De tels incidents n'auraient pas eu lieu si les citoyens se sentaient inclus de la manière la plus transparente possible dans l'établissement de ces listes et dans la vie politique, en général, de leurs communes. Or, si l'on en revient à l'histoire des institutions mises en place à l'indépendance, on constate l'existence de structures politiques et administratives fortement centralisées et concentrées qui avantagent la discipline des temps de combat au détriment des débats citoyens, des idées et des projets. Ce qui va poser, à la longue, le problème de la légitimité du pouvoir monopolisé par les classes dirigeantes issues des années de guerre,depuis plus d'un demi-siècle. Cette classe dirigeante n'a pas su ou voulu se départir de l'approche autoritaire des temps de guerre. Elle a instauré, dès l'indépendance, un parti unique auquel il fallait prêter allégeance et suivre ses directives sur le modèle pur et dur des «démocraties populaires» des pays d'Europe de l'Est des années 1950-1960. Ce déni de liberté de penser et de participer au pouvoir fraîchement établi après des années de lutte a constitué le premier choc infligé aux aspirations profondes des Algériens qui rêvaient de recouvrer une citoyenneté qui leur garantisse la liberté et la justice dans l'égalité de tous. L'ensemble des rouages politiques, économiques, législatifs et judiciaires de l'Etat ainsi que la presse se sont retrouvés sous l'autorité exclusive d'un même pouvoir, dont la légitimité est contestée d'autant qu'elle représente aujourd'hui le haut de la pyramide des âges avec une moyenne de 65 ans pendant que plus de 65% de la population a moins de 40 ans. Le pays, sous l'égide d'un parti unique omnipuissant, s'est lancé résolument dans des politiques de nationalisations, d'instauration de la «révolution agraire», de création de monopoles, de promotion d'une prétendue stratégie des «industries industrialisantes» et la mise en place d'un système d'état providence. Ces politiques, autrefois possibles grâce à la rente des hydrocarbures qui augmentait en cadence, se sont avérées non durables avec la chute des cours du pétrole, dès le début des années 1980. Cette accumulation de politiques économiques mal inspirées va hypothéquer l'avenir du pays pour longtemps car elles ont créé des dépendances tragiques sur le niveau des prix des hydrocarbures et bâti des habitudes de consommation quasi irréversibles, rendant du même coup toutes réformes structurelles, indispensables à l'équilibre et le développement du pays, plus difficiles à engager politiquement, socialement et économiquement. L'édifice ainsi construit volera en éclats avec les évènements d'Octobre 1988, au moment même où la «glasnost» instaurait un climat de liberté de pensée et de débat démocratique en URSS et que, peu avant, les systèmes des démocraties populaires d'Europe de l'Est se trouvaient remis en question par les poussées démocratiques de leurs citoyens, dont la chute du Mur de Berlin en 1989 est le symbole. La libéralisation tous azimuts des années 1989-1991 en Algérie ne débouchera pas malheureusement sur une transition démocratique apaisée et ordonnée, mais sur une guerre civile de près de dix ans dont les destructions et les traumatismes, moins d'une trentaine d'années après ceux d'une libération du pays extraordinairement coûteuse en vies humaines, va encore retarder de façon significative les chances de redressement espéré, à cause notamment de l'hémorragie des cadres et de la fuite des capitaux en raison d'une libéralisation mal conçue. La construction de l'édifice démocratique, tant souhaité par les générations montantes, ne sera in fine qu'un badigeonnage en trompe-l'œil des institutions publiques pour leur donner une apparence de modernité, de responsabilité et de légitimité. Il suffit, à titre d'exemple, de se référer à la révision bricolée de la Constitution pour supprimer les limites du nombre successifs des mandats pour l'élection du président de la République. A part une liberté relative de la presse, l'Etat continue à contrôler plus ou moins fermement les activités politiques et économiques du pays sans le moindre contrepoids institutionnel légitimement reconnu. L'Algérie n'a pas connu d'alternance politique réelle depuis l'indépendance. Le FLN, bien différent de celui des années de combat, est toujours au pouvoir. La classe politique, toujours la même, se relaye au pouvoir par cooptation. Cette continuité ininterrompue sur plus d'un demi-siècle est le syndrome classique des régimes autocratiques qui s'arrogent l'exercice du pouvoir à vie dont la sortie est toujours désastreuse pour le pays et le peuple. L'histoire est pleine d'exemples de ce genre de régimes dont les peuples ont dû payer un lourd tribut pour asseoir la démocratie et la bonne gouvernance. Pour avancer, un pays doit ancrer ses structures sur des piliers institutionnels intangibles dont la légitimité est incontestable et reconnue comme telle par l'ensemble de ses citoyens et de ses forces vives. Il doit s'appuyer aussi sur des procédures et des politiques de fonctionnement conformes aux principes fondamentaux universellement reconnus de bonne gouvernance. A cet égard, une Constitution qui garantisse l'alternance des pouvoirs sur des bases pérennes inviolables, une séparation effective des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire et l'institution d'organes de contrôle indépendants qui s'assurent de la bonne gestion des deniers publics et permettent d'éviter les situations de conflits d'intérêts sont absolument primordiaux. Toutes ces mesures sont des conditions obligées d'une synchronisation la meilleure possible entre les tenants du pouvoir et leur peuple. Les troubles qui éclatent çà et là et de manière récurrente ont leurs racines dans la manière dont les institutions du pays sont structurées et fonctionnent. Compte tenu de l'étendue des tâches à entreprendre et des retards trop longtemps accumulés, seule une refonte complète des institutions et des politiques sur la base d'un débat national constructif et réel. Ces échanges doivent chercher le consensus le plus large possible parmi ses citoyens et ses forces politiques pour trouver l'orientation à donner à son système de gouvernance, définir les priorités à engager et trouver les ressources suffisantes pour les conduire, afin enfin, de sortir le pays de l'ornière. Aujourd'hui, il est difficile de discerner un projet de société ou un programme de gouvernement cohérent et faisable parmi ceux qui aspirent aujourd'hui aux responsabilités suprêmes dans le pays. La campagne électorale actuelle est un foisonnement de promesses fantaisistes plus trompeuses les unes que les autres qu'un débat sérieux d'idées sur des programmes et des projets de société. Une consultation préparatoire à cette démarche devrait aller bien au-delà de la consultation électorale actuelle, qui reste hautement contestée dans la forme et dans le fond par un grand nombre de citoyens et de forces politiques du pays. Ce n'est qu'au prix de l'adoption et de l'exécution de réformes structurelles, trop longtemps repoussées, que la sérénité et la concorde reviendront à tout le pays, y compris dans le M'zab.