Allah Ghaleb, je ne peux pas coloniser les Algériens, dit Hitler dans une vidéo visionnée par plus d'un million d'internautes, je ne peux pas comprendre ce peuple : leur plus grand tube était Shampoing shampoing, gel douche gel douche, leurs filles continuent de dire : «Je t'aime comme un frère, un peuple qui capte l'ENTV avec une fourchette, qui vérifie une fuite de gaz avec un briquet…» L'auteur de ce discours, où l'autodérision le dispute à l'espièglerie, s'appelle Anes Tina, jeune star du Net, ayant à son actif une cinquantaine de «podcasts» humoristiques. Sa dernière vidéo traitant des «chiyatine» (adeptes de la brosse à reluire) aura aussi fait mouche. Des yeux clairs ourlés de longs cils et casquette de travers, il se montre très regardant sur sa manière de se vêtir, sachant qu'en ces temps d'Internet, tout est scruté, jugé, critiqué sans ménagement. La recette de son succès tient à sa vigilance, à sa manière d'être sans cesse à l'affût d'une «actualité» pouvant provoquer le buzz. A chaque période son «podcast» : «Si je fais une vidéo à l'approche de l'Aïd ou du Ramadhan, je sais que ça marchera. Le succès est lié au sujet du moment», explique-t-il. Le jeune homme s'était illustré en appelant le Président algérien à renoncer au quatrième mandat dans une chanson rap. «Ce n'est pas mon plus grand buzz, se défend-il. Certains ont pensé que j'ai émergé grâce à cette vidéo, ce qui est faux. Plus d'un million de personnes ont vu la parodie d'Hitler». Son rap contre le quatrième mandat est, souligne-t-il, sa manière d'exprimer une opinion. «Je voulais faire passer mon avis, qui est aussi celui de beaucoup de jeunes sur cette question. Personne n'est derrière cette vidéo, ce sont mes propres mots». «Le fait de demander au Président de renoncer, de ne pas se re-présenter à un quatrième mandat me faisait peur, je ne vous le cache pas», reconnaît-il. «Mes vidéos ne parleront pas d'amour…» Le fait est qu'Anes Tina n'a pas l'âme d'un provocateur. Il est plutôt du genre à demander l'avis de sa famille avant la publication de chaque vidéo. «Le message au Président aura été la seule vidéo que je leur ai cachée», admet-il. «Il m'est impossible de faire quelque chose sans que mes parents soient au courant. C'est la raison pour laquelle je me montre très prudent, veillant à éviter toute chose qui gênerait la famille algérienne. J'estime qu'on ne peut pas rire de n'importe quel sujet», soulignant que son humour ne s'adresse pas uniquement aux jeunes. «Mes vidéos s'adressent à tous. Je pourrais faire une vidéo sur l'amour, mais je préfère l'éviter. Cela peut gêner certaines personnes. Je préfère aussi esquiver les sujets qui atteignent notre religion ou nos coutumes. Personne ne me fixe des lignes rouges, mais il y a des limites. Je reste dans les limites de ce que prévoit la loi algérienne.» La dérision est, à ses yeux, un moyen efficace pour faire «passer des messages» au risque de déplaire à certains internautes qui n'apprécient pas son côté «donneur de leçons». «Je ne me considère pas comme un grand spécialiste de l'humour. Le plus important pour moi est de faire passer le message. Pour ce faire, l'humour est un moyen comme un autre. Si je n'ai pas pu faire passer mon message par l'humour, je le fais par le rap ou par tout autre moyen.» «Qui représente les jeunes aujourd'hui ?» Avant que ses vidéos ne commencent à affoler Youtube, le jeune agent commercial, titulaire d'un master en finances, écrivait des statuts sur Facebook qui généraient une flopée de commentaires, s'essayait au montage photo et au doublage de voix. «Les gens voulaient savoir qui était derrière ces vidéos. C'est là que j'ai fait mon premier podcast. Le succès était tel que j'ai été sollicité par les chaînes privées», confie-t-il. Il se perçoit comme un porte-parole de la jeunesse algérienne, porté par une légitimité acquise sur Internet. «Tous ceux qui activent sur le Web se voient un peu comme les porte-parole de la jeunesse. Ils le sont un peu d'une certaine manière (…). Qui représente les jeunes aujourd'hui ? La plupart de ceux qu'on voit sont des menteurs. Nous sommes venus d'Internet, personne n'est là pour me dicter ce que nous devons dire.» Depuis quelque temps, il lui est enfin possible de gagner de l'argent sur Internet. «Une broutille», dit-il. «Certaines vidéos font le buzz, mais on n'y gagne pas d'argent pour autant. Ce qui est bien, c'est que les podcasteurs sont en contact direct avec le public. Si la vidéo n'est pas bonne, on me démolira.» Reste plus qu'à accomplir son rêve : faire un jour face à un public, entendre les rires et ressentir les vibrations de la scène.