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A Ouargla, la vie dans un hangar
Publié dans El Watan le 02 - 05 - 2014


Ouargla.
Derrière un portail en métal, un groupe d'hommes est assis en rond devant une brouette en bois surmontée d'une étagère qui sert d'étal. Riz, conserves, boissons, pain, les produits sont ceux d'une épicerie normale, sauf qu'ici, les acheteurs vivent dans un immense hangar de tôle. En bordure de la ville de Ouargla, les locaux de l'ex-usine de papier Celpap accueillent depuis plus de quinze mois près de 2000 réfugiés subsahariens. Ils sont Nigériens pour la plupart, mais certains sont aussi Maliens, Libériens, Burkinabés, Guinéens ou Camerounais. Il y a deux ans, ces migrants vivaient dans la rue et dormaient à même le sol en face de la gare routière de Ouargla. En mars 2013, quelques jours avant la visite de Abdelmalek Sellal, alors Premier ministre, ils ont été déplacés sur ce terrain de sable. Aujourd'hui, les migrants ont construit de nombreuses petites baraques à l'intérieur de l'enceinte, le long du hangar ; un immense container à ordures est posé au centre du terrain.
Des blocs de douche ont été installés au début de l'année, des cordes à linge sur lesquelles pendent des vêtements multicolores traversent la cour. Dans une baraque, un jeune homme a improvisé un petit restaurant où des jeunes viennent acheter leur déjeuner. Les gargotiers mettent à griller de la panse et des boyaux de mouton ou de veau achetés à un prix symbolique à l'abattoir de la ville. Zelikha, une jeune femme arrivée du Niger, propose un repas complet constitué de riz blanc, d'une sauce aux légumes et un bout de volaille à 50 DA l'assiette : «Des assiettes en plastique pour faciliter l'entretien. Le riz est très nourrissant et, grâce aux dons, j'arrive à le céder à un prix symbolique.» Zelikha a sa clientèle attitrée parmi ceux qui ne cuisinent pas, les hommes seuls ou ceux qui ne disposent pas d'ustensiles nécessaires. Elle leur propose une cuisine familiale aux connotations africaines où le riz et les haricots secs du Niger,ont une place privilégiée. Ibrahim Souleymane et Adam Issa, tous deux âgés de 27 ans, ont été obligés de quitter leur maison près d'Arlit, au Niger, abandonnant famille et amis pour aller dans un premier temps vers Assamaka, aux frontières nigériennes avec l'Algérie, avant de rejoindre Tamanrasset.
«La sécheresse ne permet plus aux agriculteurs que nous sommes de survivre. Nos familles sont restées là-bas. Nous nous relayons, car nous ne pouvons pas nous permettre de vivre en même temps sous le toit familial.» Comme Ibrahim et Adam, 500 familles essaient de s'adapter à la vie de ce camp de réfugiés inconfortable et nullement fonctionnel. L'immense hangar les accueille le jour. Chaque matin, il faut (re)plier ses affaires dans des ballots pour pouvoir circuler. Les couples et les familles se retirent le soir dans les baraques. Le bloc sanitaire, trois douches cachées derrière des rideaux bleus pour les femmes, trois pour les hommes, n'a été construit que grâce aux dons de matériaux de construction. Une légère amélioration pour le quotidien : «Il devenait très pénible de continuer à sortir du camp pour faire ses besoins», sourit Adam qui est devenu l'un des représentants des habitants du camp avec Ibrahim. «Si quelqu'un est malade, je m'en occupe, si le camp est sale, je me charge du nettoyage, je paie des équipes sur l'argent collecté auprès du groupe. Adam appelle le conducteur du camion à benne affecté par les services communaux.»
500 familles
Constitués essentiellement de femmes seules accompagnées de leurs enfants, les effectifs du camp sont sans cesse renouvelés. Certains sont arrivés il y a quelques jours, d'autres sont en Algérie depuis deux ans. «Nous comptons actuellement environ 500 familles. Certains repartent vers leur pays d'origine, d'autres montent vers le Nord», explique Ibrahim. Aboubacar, 22 ans, est un jeune Nigérien longiligne. Il a essayé de «monter vers le Nord», mais il a fini par revenir à Ouargla. «Je suis arrivé le 13 janvier dernier en Algérie par la route d'Arlit. Le voyage a pris une journée puis je suis resté 12 jours à Tamanrasset avant d'arriver à Ouargla. Mais au bout de 10 jours, j'ai repris la route. Je voulais rejoindre le Maroc pour y travailler quelques années.» Mais la réalité était plus complexe qu'Aboubacar l'avait prévu : «Arrivé à Maghnia, je n'ai pas eu assez d'argent pour payer un passeur et les contrôles policiers étaient trop importants pour passer seul, j'ai renoncé à passer la frontière.» Il se replie vers Oran, mais là encore il renonce à rester. «Oran est une grande ville développée, il n'y a pas de travail. Alors je suis retourné à Ouargla. Ici, la ville est en chantier, les gens cherchent des manœuvres. C'est plus simple», raconte-t-il. La plupart du temps, le jeune homme fait un peu de business. Il revend du riz et des haricots un peu plus chers. Il arrive à gagner 1000 DA en une journée. «Si on a plus de chance, avec des travaux de jardinage, tu peux gagner jusqu'à 1500 DA en une journée.»
Babyfoot
Ce jour-là, Aboubacar n'a pas trouvé de travail, alors il passe la journée dans le camp. Des jeunes garçons ont récupéré un vieux babyfoot qu'ils ont calé sur le sable. L'ambiance est calme. Le contrôle des entrées et sorties est très rigoureux, explique Ibrahim, le jeune responsable : «C'est grâce à notre vigilance que nous nous sommes débarrassés des opportunistes, des voleurs et des personnes armées.» Brahim, lui, a tenté sa chance à Constantine en 2012 avant de se résigner à revenir à Ouargla : «Quand les autorités ont mis cet endroit à notre disposition, que le Croissant-Rouge s'est engagé à nous aider et a installé une consultation médicale hebdomadaire, j'ai décidé de m'installer ici. ça me rapproche aussi de Taoua, ma ville d'origine, car je peux facilement accéder aux frontières quand j'ai assez d'argent pour aider mes parents. J'y reste 3 ou 4 mois puis je reviens.» Au fil du temps, les réfugiés se sont faits quelques amis parmi la communauté d'accueil. Des citoyens sont venus d'eux-mêmes proposer de l'aide, notamment pour les enfants. Mais le problème de la langue freine la scolarisation des enfants que les mères préfèrent garder à l'intérieur du camp quand ils ne sillonnent pas la ville pour demander la sadaqa. Le Croissant-Rouge algérien se charge des cas d'urgence, envoie une ambulance en cas de nécessité et donne des habits chauds.
Autosuffisance
Les habitants de Ouargla aident surtout durant le mois de Ramadhan. D'ailleurs, Adam a un répertoire téléphonique fourni en noms de personnes qu'il appelle pour alimenter le camp en eau ou autres produits de première nécessité, tels que le lait et les couches pour bébé. Certains commerçants offrent des vêtements. Mais le camp s'autosuffit en travaillant pour les particuliers. «Il y a parmi nous des soudeurs, des plombiers, des électriciens, des peintres, des mécaniciens, des maçons, des carreleurs, il y a même de très bons agriculteurs qui travaillent toute la semaine dans les exploitations agricoles et ne viennent au camp qu'en fin de semaine.» Les habitants du camp hésitent à critiquer leurs conditions de vie. «Nous sommes mieux que chez nous où l'insécurité et le manque de moyens pénalisent des villages entiers. C'est en cela que nous sommes reconnaissants et nous ne voulons même pas demander plus aux Algériens», dit Adam Issa. «Nous avons beaucoup souffert devant la gare routière», ajoute Moutari Salesou, l'épicier nigérien du camp qui énumère le froid, les fortes chaleurs, l'insécurité, les agressions contre les femmes et les jeunes filles. Mais Mustafa, un grand Malien de 29 ans, chapeau sur la tête, finit par glisser que le camp ne peut pas être une solution à long terme : «Le soir, il y a tellement de monde, qu'il n'y a plus de place pour dormir.» Ce couturier a fait étape à Tamanrasset puis à Ghardaïa sans succès. Aboubacar, le jeune Nigérien, renchérit : «Chez moi, j'ai une maison avec ma propre chambre. Ici, tu dors à côté de gens que tu ne connais pas. Je veux quitter l'Algérie. Il faudra bien que j'arrive à
atteindre l'Europe.»


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