Lundi sera le dernier jour de dépôt des candidatures pour les sénatoriales qui se tiendront le 29 décembre. Au sein des partis, la bataille a commencé depuis des mois. Mais quel est le rôle véritable de ce « Sénat » algérien ? Quels sont les véritables ressorts de cette institution. Des juristes et des sénateurs dévoilent la vraie facette du Conseil de la nation. À quoi sert le Conseil de la nation ? Dans les textes… Le Conseil de la nation est la deuxième Chambre (ou Chambre haute) du Parlement algérien, la première étant l'Assemblée populaire nationale (ou Chambre basse). Ce système, calqué sur le bicaméralisme des démocraties occidentales, a été adopté en Algérie lors de la révision constitutionnelle du 28 novembre 1996 (Art. 98). Le Conseil de la nation a pour fonction de modérer l'action de la chambre basse : cette dernière, élue au suffrage direct (représentant donc directement le peuple), doit soumettre toutes ses décisions à l'examen de la chambre haute, élue généralement au suffrage indirect (représentant souvent des départements ou des APC) En réalité… « Hormi le lever main pour dire oui à n'importe quel projet de loi, ces « sénateurs » ne font absolument rien ! », s'énerve un employé du Conseil de la nation. Un constat que partagent de nombreux analystes que nous avons approchés. Pour le docteur Fellali, juriste spécialiste de la Constitution, et vice-président du Comité international des droits de l'enfant aux Nations unies, « Même si la loi ne leur permet pas de s'immiscer dans la vie politique, rien ne les empêche de créer des artifices juridiques qui seront traduits en loi. En cas de conflit d'intérêt général, le Conseil de la nation peut intervenir. Regardez ce qui s'est passé pour Diar Echems et la grève des enseignants, souligne le juriste. Le Conseil de la nation aurait dû être à l'écoute des préoccupations de la population pour éviter qu'elles ne se développent en crise, d'interpeller le gouvernement et d'entrer dans le jeu pour apaiser les tensions. » Résultat : « Notre rôle ne se résume qu'à enregistrer les lois et autres amendements décidés par le gouvernement et approuvés par l'APN », critique un sénateur du FLN. Qui sont les membres du Conseil de la nation ? Dans les textes… Le Conseil de la nation comprend 144 membres. Deux tiers, soit 96 membres, sont élus au suffrage universel indirect, parmi et par les 15 000 élus des assemblées locales (APC et wilayas). La durée du mandat au Conseil de la nation est de six ans, mais un renouvellement s'opère toutefois par moitié tous les trois ans, comme c'est le cas cette année. Deux membres de chaque wilaya sont retenus pour les représenter au Conseil de la nation. Le tiers restant, soit 48 membres, est désigné par le président de la République d'après « leurs compétences scientifiques, culturelles, professionnelles, économiques et sociales ». En réalité… Ce fameux tiers présidentiel « déroge au principe des fondements de la démocratie puisque ce ne sont que des VIP choisis par le président, qui ne représentent donc pas la voix du peuple au sein des institutions de l'Etat, dénonce un ancien sénateur. Du coup, la prise de décision concernant les grands projets de lois devient partielle. » Le docteur Kamel Fellali ajoute : « Certains des sénateurs du tiers présidentiel constituent un groupe de pression au sein du Parlement, et fonctionnent avec une logique de parti. Au lieu de jouer leur rôle constitutionnel, ils se transforment en agents de l'Etat. » Pourquoi les élus veulent être élus au Conseil de la nation ? En théorie… Par engagement politique, car le Conseil de la nation constitue une sorte de « Conseil des sages » à l'image de la Chambre des Lords en Grande-Bretagne ou du Conseil des sages en Italie. « Les membres du Conseil de la nation devraient être les garants des droits de l'homme et des libertés », insiste Kamel Felalli. En pratique… « Les élus cherchent avant tout le prestige de la fonction et une position sociale, dénonce un élu du FLN. Et… une immunité parlementaire qui les prémunit contre tout procédure judiciaire. Une grâce que certains « sénateurs » utilisent pour leurs affaires personnelles. Un excès de zèle toléré par la loi. » Pire encore, toujours d'après la même source « les élus usent de leur titre auprès des autorités administratives pour régler les affaires des proches et de la famille ». Autre carotte : le salaire. Bien sûr, il est difficile sur cette question, d'obtenir des informations officielles. Mais en coulisses, on nous explique qu'il dépasse les 200 000 dinars. Une somme à laquelle il faut ajouter les frais de mission et autres privilèges. « Ils profitent des largesses du pouvoir, confesse un ancien sénateur de l'opposition. Une voiture de service, un logement, un téléphone portable avec crédit illimité et quelques bons d'essence ou de restaurants... » Le mode de sélection des membres du Conseil de la nation est, d'après l'ancien sénateur du FLN, « devenu un business pour certains partis politiques. Les paramètres d'éligibilité sont assujettis à des calculs d'intérêts personnels et d'influence au sein de sa communauté. La plupart de nos élus sénateurs sont des commerçants sans un niveau intellectuel qui leur permet de débattre d'un texte de loi. Ils représentent l'oligarchie politicienne et se fichent éperdument de l'opinion populaire. Le Sénat symbolise ce qu'il y a de plus antidémocratique dans la démocratie indirecte, où règnent des groupuscules privilégiés, et non le peuple », conclut-il. Le président du Conseil de la nation, le N° 2 de l'Etat Le président du Conseil de la nation est désigné à son poste à l'unanimité par des élus de la Chambre haute. Il est choisi parmi les autres sénateurs après des discussions et des négociations… en coulisses. « En Algérie, nous savons très bien que le choix de Abdelkader Bensalah n'est pas fortuit et qu'il est désigné par le président de la République, remarque un sénateur du FLN. D'abord, parce qu'après avoir occupé le poste de président de l'APN,il est aujourd'hui président du Conseil de la nation. Ensuite, c'est un fervent défenseur du programme du président. Son dévouement pour servir les intérêts de quelques cercles n'est pas à démontrer, du moins en coulisses », confie-t-il. « En cas de décès ou de démission du président de la République, c'est le président du Conseil de la nation qui lui succède pour une durée maximale de 60 jours, au cours de laquelle des élections présidentielles sont organisées. »