Certes, mes préoccupations sont autres que celles du pouvoir, soucieux de se re-légitimer en faisant croire qu'une adhésion massive au nouveau texte serait un plébiscite en sa faveur, et celles des partis politiques, en quête d'un nouvel ancrage, pour démontrer leur opposition par la politique de la chaise vide, ou convaincus de l'inanité de la participation et de la volonté du pouvoir d'imposer sa propre feuille de route, tant il est vrai que pour une Constitution consensuelle, le mode de discussion est totalement en déphasage avec la réalité et le bon sens : une discussion non un dialogue entre M. Ouyahia et chaque parti ou personnalité, pris individuellement, ne fait pas l'économie du débat franc et direct avec tous les acteurs politique agréés. L'évacuation infondée d'une Assemblée constituante ne saurait faire l'impasse sur un débat a minima dans le cadre d'une conférence nationale regroupant les partis ayant au moins des élus locaux et le pouvoir. La lecture de l'avant-projet soumis dénote la volonté d'asseoir encore plus la prééminence du président de la République et de l'Exécutif sur toute la vie politique et une reprise des prérogatives des autres pouvoirs qui ne seront considérés que comme des appendices du pouvoir exécutif ou, plus crûment, des supplétifs, par des dispositions nouvelles, insidieuses, contestables et sournoises, édulcorées par ce qui semble être des concessions faites aux revendications légitimes des partis. Ces concessions ne sont apparemment faites que pour amadouer les oppositions et dévier le débat pour éluder la question fondamentale de la séparation des pouvoirs et l'indispensable rééquilibrage de ces pouvoirs totalement phagocytés par l'institution présidentielle et son pendant : le pouvoir exécutif. Lors de la campagne électorale pour la présidentielle, des candidats et des forces politiques, y compris parmi ceux qui avaient opté pour le boycott, ont appelé à l'instauration de la Deuxième République, idée vite reprise par les animateurs de la campagne de M. Bouteflika, dont M. Sellal. Mais chacun voyant midi à sa porte, il y eut un immense malentendu : alors que les premiers appelaient de leurs vœux une République plus moderne, plus juste, définissant le rôle de chaque institution dans l'équilibre des pouvoirs, le camp présidentiel y voyait une opportunité pour l'émergence de la nouvelle République impériale. De la séparation des pouvoirs Dans un système démocratique, il ne peut y avoir pouvoir sans l'existence de contre-pouvoirs institutionnels puissants, fiables, efficients et opérationnels et sans séparation des pouvoirs. Or, dans toutes les Constitutions algériennes censées être basées sur un système semi-présidentiel, la prégnance d'une dictature du pouvoir exécutif est inscrite en filigrane, au vu des attributions non limitatives accordées à celui-ci et au domaine réduit supposé être celui du pouvoir législatif, mais confiné au vote uniquement par les incursions et les empiétements ; quant au soi-disant pouvoir judiciaire, il n'a jamais existé que sur les lignes écrites d'un article introduit pour faire démocrate.Plus prosaïquement, sans faire ni dans la théorie du droit constitutionnel ni dans la philosophie, si nous devons réellement construire une Algérie démocratique, il suffirait de : 1- soustraire la magistrature de l'hégémonie présidentielle, en inscrivant dans la Constitution que le Haut conseil de la magistrature n'est composé que de magistrats élus par leurs pairs, que le président de la République n'en est pas le président, que le ministre de la Justice, ni aucun représentant de celui-ci n'en est membre, que ce Haut conseil pourvoit au poste de juge dans toutes les juridictions, qu'il gère les carrières par la promotion, la mutation ou la sanction disciplinaire. Le pouvoir exécutif serait responsable uniquement des représentants du ministère public c'est-à-dire le corps des procureurs de la République. 2- Redonner au Parlement ses prérogatives légitimes. a – d'abord en supprimant totalement la possibilité donnée au président de la République de légiférer par ordonnance, d'autant qu'il aura toujours la possibilité de convoquer une session extraordinaire ; b- soustraire définitivement le Parlement de la censure gouvernementale qui bloque toute initiative des députés. En effet, lorsque des députés font une proposition de loi, le gouvernement a toujours opposé son veto à son inscription à l'ordre du jour. Il est impératif de consacrer la primauté de la proposition de loi émanant des parlementaires en incluant dans la nouvelle Constitution que toute proposition de loi doit être inscrite et étudiée dans les deux mois qui suivent son dépôt sur le bureau de l'Assemblée. Le gouvernement aura la possibilité d'introduire des amendements. Sur un autre plan, le gouvernement a toute latitude de faire appel à sa majorité pour voter contre une proposition de loi qui serait soumise par l'opposition, mais celle-ci aura droit à l'expression libre par la possibilité de proposer et défendre son texte ; c- réintroduire la logique dans le vote d'une motion de censure. Actuellement, le texte constitutionnel en vigueur exige un vote des deux tiers pour faire tomber un gouvernement, dans la pratique cela signifie qu'un gouvernement qui ne compterait que sur le soutien d'un tiers des députés plus un resterait en fonction et le pays serait géré par un gouvernement minoritaire. La logique démocratique voudrait que le vote d'une motion de censure soit soumis à la règle de la majorité. La proposition d'amendements de la Constitution, telle que présentée, est un verrouillage supplémentaire des prérogatives parlementaires, outre qu'elle fait une discrimination dangereuse entre les représentants du peuple, les députés et les représentants des collectivités locales : les membres du Conseil de la nation, lors de la saisine du Conseil constitutionnel (40 sénateurs ou 70 députés) dévalorisant ainsi les seconds. Deux remarques s'imposent : d'abord les chiffres sont excessifs. Dans la majorité des pays, 20 est le chiffre le plus usité, ensuite cela s'apparente à une exclusion des partis de l'opposition du droit de saisine par ce numerus clausus. L'autre verrouillage est latent, dissimulé dans le renvoi exorbitant aux lois organiques : le lecteur doit savoir que le recours à ces lois organiques est un privilège léonin du pouvoir exécutif : pour voter une proposition émanant de députés ou simplement des amendements, il est exigé un vote positif des deux tiers de l'Assemblée, alors que les mesures issues du projet gouvernemental sont votées à la majorité simple. L'amendement de l'article 115 procède, lui aussi, de la volonté d'affaiblissement du Parlement touchant au pouvoir des deux Chambres d'élaborer leur budget et de le voter, prenant ainsi la forme d'une loi. De manière très vicieuse, l'amendement inverse la tournure pour que ces budgets soient déterminés par le pouvoir exécutif mettant fin à l'autonomie financière du pouvoir législatif. Une duperie aussi profonde qu'une faille tectonique concerne les membres du Conseil constitutionnel élus par leurs pairs au sein des deux Chambres du Parlement : le nouvel article 164 bis stipule que «Les membres du Conseil constitutionnel, élus ou désignés, doivent… ou avoir été élus dans l'une des deux Chambres durant deux (02) législatures au moins». Or, le système actuel ne permet pas au sénateur élu dans une circonscription (wilaya) de briguer deux mandats au sein du Sénat, ipso facto, les seuls à pouvoir postuler seront ceux du tiers présidentiel (je laisse aux partis politiques la critique de la persistance de ce tiers présidentiel). Il aurait fallu réformer le statut des sénateurs en leur laissant le droit de cumuler un mandat local avec un mandat national, (sénateur-maire ou sénateur-président d'APW). Ils pourraient alors se représenter aux élections au terme du mandat local et pouvoir se faire réélire. L'avantage serait de ne pas couper le sénateur de sa base électorale pendant son mandat et de créer ainsi une «mémoire» au sein de la Chambre haute en réduisant le turn-over. Une concession de taille est faite à Mme Louiza Hanoune en introduisant subrepticement le «mandat impératif» dans l'article 28 amendant l'article 100, prononçant la déchéance du député qui quitte sa formation en cours de mandat sous couvert de lutte contre le nomadisme politique, ce qui introduit une contradiction de taille avec d'autres dispositions de la loi fondamentale : le député est l'élu du peuple et son représentant, le mandat électif n'appartient pas à son parti. D'autres formes de lutte contre ce phénomène existent, elles peuvent faire l'objet d'une loi ou simplement d'un gentlemen-agreement entre les partis. Du pouvoir exécutif Ce qui dans d'autres pays est naturel et normal, sans que cela mérite d'être écrit dans une Constitution, ne l'est pas en Algérie et doit être porté noir sur blanc dans la loi fondamentale pour éviter toute interprétation abusive et surtout donner un sens à l'action politique et l'existence des partis, c'est le choix des hommes et femmes appelés au gouvernement. Le but ultime de tout parti politique est d'arriver au pouvoir par les urnes et d'appliquer le programme qu'il a soumis au peuple. Il est donc normal que le parti ou la coalition qui forment la majorité parlementaire soient chargés de diriger les affaires du pays, sinon cette majorité rejetterait le programme du gouvernement qui lui est soumis. En conséquence, le Premier ministre, chef du gouvernement, ainsi que les ministres devraient obligatoirement être choisis parmi les militants de ces partis et de préférence parmi les élus qui ont acquis la légitimité indispensable pour gouverner. L'article 47 de la Constitution de 1963 stipulait que : «Le président de la République est seul responsable devant l'Assemblée nationale. Il nomme les ministres, dont les 2/3 au moins doivent être choisis parmi les députés et les présente à l'Assemblée». Pourquoi ne pas le réintroduire pour éviter tout abus et renouer avec un principe démocratique universel. En toute logique, seuls les ministres des Affaires étrangères, de la Défense, domaines réservés du Président et celui des Affaires religieuses, pour soustraire la religion à l'utilisation partisane, pourraient ne pas être des élus, comme il est inconcevable que le président de la République, chef suprême des armées ait aussi rang de ministre en accaparant le portefeuille de la Défense. En conséquence, la révision profonde promise n'a pas touché au déséquilibre des pouvoirs consubstantiels au système bureaucratique qui gouverne le pays depuis 1965, une relecture de la Constitution de 1963 montre que celle-ci, bien qu'élaborée par le parti unique, avait une construction plus logique et plus équilibrée. Elle reste avec celle de 1989 une référence, malgré que toutes les deux aient été marquées par des insuffisances, néanmoins elles n'avaient pas pour souci d'instaurer l'autoritarisme comme mode de gestion des affaires publiques. Un ensemble hétéroclite de dispositions tautologiques de truismes et de constitutionnalisation de textes de loi déjà votés – (en principe la loi s'inspire de la Constitution et non le contraire) – ne suffit pas à faire une réforme. Le texte proposé n'est même pas du replâtrage, c'est tout au plus un fardage inutile et handicapant pour le consensus recherché. Il n'est que l'habillage juridique du refus de la démocratie, de la négation du pluralisme partisan et des choix populaires, du mépris de la classe politique et du choix délibéré du nouveau système dominé par la nouvelle oligarchie de l'instauration de l'autoritarisme censitaire.