Le cas français sur le possible rachat des activités «Energie» du géant Alstom, par General Electric ou par Siemens, en fait un sujet d'actualité. A l'heure où l'Algérie étudie un éventuel cadrage de sa loi sur l'investissement, pour notamment adapter les règles de l'Investissement direct étranger et plus particulièrement étudier l'impact de la limitation du pourcentage de participation des sociétés étrangères au capital des co-entreprises, la France rallie le clan des protectionnistes à l'occasion de la cession de la branche énergétique du champion national français Alstom. Lorsque le 30 avril dernier le conseil d'administration d'Alstom annonçait qu'il étudiait l'adossement de sa branche énergie à l'américain General Electric, dont il avait reçu une offre ferme de 12,35 milliards d'euros, sans fermer la porte à d'autres offres non sollicitées, notamment celle de l'allemand Siemens, le projet en question était plutôt présenté sous son aspect stratégique. Ainsi, Alstom dans son communiqué officiel annonçait que si cette offre était validée et ce projet mené à bien, «Alstom se concentrerait sur ses activités dans le domaine du transport, dont elle est un leader mondial et qu'elle utiliserait le produit de la cession pour renforcer ses activités Transport, leur donner le moyen d'un développement ambitieux, rembourser sa dette et redistribuer le solde à ses actionnaires». Peu de temps après, il était annoncé que Siemens préparait également une offre qui en plus de payer le prix de l'activité Energie apporterait l'intégralité de son activité Transport. Situation anodine de marché concurrentiel, si ce n'est que l'offre de Siemens intervenait dans un contexte où le conseil d'administration d'Alstom se donnait un mois pour qu'un comité d'administrateurs indépendants procède à un examen approfondi de l'offre, en tenant compte des intérêts de l'ensemble des parties prenantes, y compris ceux de l'Etat français avec lequel ce comité devait échanger leurs points de vue respectifs. Il aura fallu à peine quinze jours pour que l'état français réagisse par la publication d'un décret sur l'acquisition d'entreprises dites stratégiques. Ainsi, sans remettre en cause l'ouverture aux investisseurs étrangers, le décret en question permet d'engager des phases de discussion et de négociation pour peser dans de telles transactions dites stratégiques et y préserver les intérêts de la nation. Ce décret étend à l'énergie et aux transports le mécanisme de protection des entreprises stratégiques contre les acquisitions de groupes étrangers et fait de l'Etat français l'arbitre des négociations entre Alstom et les prétendants à un rachat partiel du groupe. Désormais désigné comme le «décret Alstom», ce texte oblige tout investisseur étranger à solliciter l'autorisation préalable du ministre de l'Economie dès lors que seraient touchées les activités de nature à porter atteinte notamment à l'ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la Défense nationale. Il vient élargir le champ de l'autorisation préalable aux activités dites essentielles à la garantie des intérêts du pays, en l'étendant à l'approvisionnement en électricité, gaz, hydrocarbures ou autre source énergétique, à l'exploitation des réseaux et des services de transport, à l'approvisionnement en eau, aux communications électroniques et à la protection de la santé publique. Les déclarations officielles sur ce sujet faisaient référence, sans ambages, à un choix de patriotisme économique par des mesures de protection des intérêts stratégiques en rassurant sur le fait que l'esprit est dans la construction d'alliances et non de blocages. Ces mêmes déclarations, sans nier le fait que le dossier Alstom a été un accélérateur du processus de protection, ont également rappelé que la réflexion était engagée de longue date dans le cadre de la réciprocité commerciale engagée avec les partenaires européens, histoire d'anticiper sur la validation par la Commission européenne qui n'a pas tardé à rappeler, sous la signature de son commissaire chargé du Marché intérieur, qu'il convenait de vérifier si l'objectif de protection des intérêts essentiels stratégiques est appliqué de manière proportionnée sans verser dans le protectionnisme. Le décret sur les investissements étrangers n'est pas une exception française et l'Algérie est très bien placée pour le savoir D'autres pays s'inscrivent également dans des logiques de protectionnisme, soit de veto, soit de négociation. Les Etats-Unis, par exemple, ne peuvent bloquer un investissement étranger que lorsqu'il menace la sécurité nationale et de ce fait n'inclut de périmètre stratégique que lorsqu'il est lié à des actifs qui concernent la sécurité du pays. En Europe, alors que la Grande-Bretagne n'est pas fondamentalement opposée à la prise de contrôle de groupes britanniques, tant qu'il n'y pas de menace sur la pluralité des médias, sur la sécurité nationale ou sur la stabilité du système financier, d'autres pays sont plus conservateurs. Ainsi, en Italie, le gouvernement peut s'opposer par des droits de veto aux acquisitions d'entreprises stratégiques dans les secteurs de l'énergie, des télécommunications et des transports, en plus de celles qui ont un intérêt pour la défense et la sécurité nationale. En Espagne, c'est le ministère de l'Industrie qui a le droit d'imposer des conditions pour les prises de participation dans les sociétés du secteur énergétique, par des investisseurs hors communauté européenne. L'Allemagne n'est pas en reste, puisque le gouvernement peut interdire les prises de participation de plus de 25% quand l'acquéreur est situé hors Communauté européenne. L'Algérie, faut-il le rappeler, soumet à l'autorisation du Conseil national de l'investissement (CNI) tout investissement dont le montant est supérieur à un milliard et demi de DA et se réserve un droit de préemption sur toute cession de part ou d'action part un investisseur étranger. Ces domaines alimentent très rapidement les débats nationaux. La reprise des activités «Energie» d'Alstom par General Electric est ainsi devenue un sujet public . Du coup, General Electric a prolongé la durée de validité de son offre, ce qui lui donne un temps supplémentaire pour étudier les concessions demandées par le gouvernement français, alors que l'allemand Siemens finalise son offre. Il existe même un plan franco-français pour qu'en cas d'échec des négociations le gouvernement français s'assure une voie de sortie. En attendant, tous les moyens de lobbying étant autorisés, il en est un qui n'est pas des moindres et qui n'aura pas échappé à l'attention des téléspectateurs, celui par lequel nous apprenons sur les écrans de télévisons que «General Electric fait partie intégrante du paysage français depuis plus de cent ans». C'est ce que révèle un spot publicitaire où une voix féminine affirme «Ensemble, nous nous engageons à créer des milliers d'autres matins, faits d'emploi, d'innovation et de croissance.» La conquête par la communication réussira-t-elle dans un environnement de crise avec des promesses aussi engageantes ?