Ramadi et Fallouja en début d'année, Mossoul la semaine dernière et maintenant les provinces de Salaheddine et de Tikrit ; les combattants du groupe djihadiste de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) n'en finissent plus d'avancer dans le nord et l'ouest du pays, sans que l'armée irakienne n'arrive à contenir les assauts des terroristes. Mercredi, étouffée par l'organisation minutieuse des troupes de l'EIIL, l'armée a été obligée de se retirer du nord du pays. La province de Ninive, dont Mossoul est le chef-lieu, est à présent entièrement entre les mains des insurgés islamistes. C'est là une position stratégique dans la mesure où il s'agit non seulement de la deuxième ville du pays après la capitale Baghdad, mais aussi, une des régions les plus riches en ressources pétrolières. Nouri Al Maliki, Premier ministre irakien chiite, a ainsi appelé les forces irakiennes «au repli vers Baghdad pour assurer la sécurité de la capitale». Face à cette débâcle, les autorités autonomes du Kurdistan irakien sont les seules à montrer une résistance sérieuse aux hommes de l'EIIL. Ainsi, les Peshmergas, les forces de sécurité kurdes, assurent depuis hier la sécurité de Kirkouk, grande ville multiethnique et également cœur de la production pétrolière, qui a failli tomber la veille aux mains de l'EIIL. Inexpérimenté Le colonel Fateh Raouf, à la tête des Peshmergas, au cours de cette opération a ainsi affirmé : «Nos forces ont achevé leur déploiement autour de Kirkouk et nous contrôlons désormais toute la ville.» Et d'ajouter : «Les forces du Kurdistan autonome ne permettront pas l'entrée à Kirkouk d'un seul membre de l'EIIL.» Pour Feurat Alani, journaliste franco-irakien spécialiste de l'Irak, le fait de voir des autorités fédérales plus fortes et plus efficaces que les autorités nationales s'explique par le fait que «le Kurdistan a une longue tradition de lutte contre les groupuscules islamistes. En revanche, l'armée irakienne actuelle manque d'expérience, d'expertise et d'organisation dans le maintien de la sécurité de l'Irak et dans la lutte contre le terrorisme, plus particulièrement». Pour autant, ce qui reste surprenant est la fulgurance et la rapidité avec lesquelles les troupes de l'EIIL se sont emparées de leurs positions actuelles, et de Mossoul en particulier, tombées en à peine quelques heures. Là encore, «cela est possible pour deux raisons. La première est que Mossoul a toujours été un foyer d'insurgés islamistes depuis 2003 et l'intervention américaine. Luttant contre les Etats-Unis, désormais c'est le pouvoir central qu'ils prennent pour cible. La seconde réside dans le mode opératoire très particulier de l'EIIL. Le groupe djihadiste a des contacts avec plusieurs anciens officiers de l'armée irakienne du temps de Saddam Hussein, installés pour la plupart dans le nord du pays. Ils profitent de leur expertise et en échange, eux, espèrent pouvoir revenir dans le jeu politique», analyse Feurat Alani. Déplacés En effet, l'armée américaine en 2003 avait démantelé les forces de Saddam Hussein, sans même garder les éléments réellement neutres et chevronnés de l'armée. La politique adoptée par Al Maliki dès 2006 n'a en réalité été que la prolongation de l'initiative américaine. D'ailleurs, la Russie n'a pas tardé à acculer Washington par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, qui a déclaré : «Ce qui se passe en Irak est l'illustration de l'échec total de l'aventure qu'ont engagée avant tout les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.» Le Conseil de sécurité de l'ONU, pour sa part, a tenu une réunion d'urgence alors que la diplomatie américaine a évoqué l'hypothèse d'avoir recours à des frappes aériennes, une option que le gouvernement irakien s'est dit disposé à accepter. Pour Feurat Alani, les événements en Irak et dans l'ensemble de la région montrent que «les frontières qui ont été établies par les Accords Sykes-Picot et imposées par les Occidentaux au sortir de la Première Guerre mondiale sont obsolètes». Et de poursuivre : «Le projet de l'EIIL est clair : former un Etat islamique englobant le Nord irakien et l'Est syrien où il est également fermement implanté. Le Kurdistan, quant à lui, accepte d'aider les autorités de Baghdad pour pouvoir librement disposer de ses ressources en pétrole, car actuellement c'est encore Baghdad qui est en charge de la gestion et de la vente notamment.» Dans une telle configuration, l'Irak implose et semble très proche d'une scission entre trois territoires distincts, le Nord sunnite dirigée par l'EIIL, le Sud chiite sous le contrôle de Baghdad et le Kurdistan irakien à l'extrême nord. Cela, si Baghdad ne tombe pas aux mains des djihadistes, ces derniers se rapprochant dangereusement de la capitale. Conséquence directe du chaos actuel en Irak, l'Organisation internationale des migrations (OIM) estime à plus de 500 000 le nombre de déplacés au sein même du pays, un chiffre qui s'apparente à une crise humanitaire, selon les critères de l'ONU.