Les djihadistes de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) continuent à gagner du terrain dans le nord de l'Irak, où, après la prise de Mossoul, ils ont progressé le long du Tigre en direction de Bagdad, fondant sur la ville pétrolière de Baïji puis s'emparant mercredi de plusieurs secteurs de Tikrit. A Mossoul, ils retiennent 48 ressortissants turcs au consulat de Turquie, dont le consul, a-t-on appris auprès du cabinet du Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan. Selon des sources proches des services de sécurité irakiens, les hommes de l'EIIL, dont l'objectif est de restaurer un califat sunnite englobant une partie du territoire de la Syrie et de celui de l'Irak, sont arrivés mardi soir à Baïji à bord de véhicules armés. Ils ont incendié le tribunal et le commissariat de police après avoir libéré des prisonniers. Ces djihadistes, dont le chef, Abou Bakr al Baghdadi, s'est émancipé de la tutelle d'Al Qaïda, ont laissé environ 250 gardiens de la raffinerie de Baïji quitter les lieux sains et saufs. Située en périphérie de la ville, elle-même à mi-chemin entre Mossoul et Bagdad, cette raffinerie d'une capacité de 300.000 barils par jour fournit en produits pétroliers la plupart des provinces d'Irak et elle est essentielle à l'alimentation en électricité de Bagdad. Un ouvrier du site a déclaré que les employés du matin n'avaient pu prendre leur service. Le ministre irakien des Affaires étrangères, Hochiar Zebari, a appelé tous les dirigeants irakiens à s'unir face au péril "grave, mortel" que représente la progression des insurgés sunnites, déjà installés depuis le début de l'année dans des villes de la vallée de l'Euphrate comme Falloudja et Ramadi. DEMANDE D'AIDE AUX PESHMERGAS? "Cette réponse doit se faire sans tarder", a dit Hochiar Zebari, en annonçant une "coopération plus étroite" entre le gouvernement central de Bagdad et les autorités autonomes du Kurdistan pour lutter contre les djihadistes. A Bagdad, certains responsables évoquent une possible demande d'aide aux peshmergas, les combattants kurdes. Les Etats-Unis, qui ont retiré leurs forces combattantes d'Irak fin 2011, plus de huit ans après avoir renversé Saddam Hussein, se sont engagés mardi à "fournir toute l'aide nécessaire au gouvernement irakien" pour "repousser cette agression". Ils jugent que l'EIIL "est non seulement une menace pour la stabilité de l'Irak, mais une menace pour l'ensemble de la région". Djassim al Kaïssi, un habitant de Baïji, a déclaré que les miliciens islamistes avaient conseillé aux policiers et aux militaires de ne pas les affronter. "Dans la soirée d'hier, des hommes armés ont pris contact par téléphone portable avec les principaux cheikhs tribaux de Baïji et leur ont dit: 'Nous venons pour mourir ou prendre Baïji, nous vous conseillons donc de demander à vos fils dans la police et l'armée de déposer leurs armes et de se retirer avant la prière du soir'," a-t-il dit. Les islamistes sont ensuite entrés dans la ville à bord d'une soixantaine de véhicules. Quelques heures avant cette percée sur Baïji, les combattants de l'EIIL avaient pénétré dans Mossoul, cité historique de l'islam sunnite, après quatre jours de combats contre les forces gouvernementales. DRAPEAU NOIR Un demi-million d'Irakiens ont déjà fui Mossoul et la province dont elle est la capitale, Ninive, a déclaré mercredi l'Organisation internationale des migrations (OIM). D'après des habitants ayant choisi cet exode, les hommes de l'EIIL impriment leur marque dans toutes les villes qu'ils font tomber, hissant leurs drapeaux noirs sur les commissariats, les casernes de l'armée et les divers bâtiments publics. "Ils sont tous masqués mais ils ne nous font aucun mal", assure un adolescent de 13 ans originaire de Mossoul. Un homme de 40 ans ayant fui la ville avec sa famille témoigne pour sa part: "Nous sommes effrayés parce qu'on ne sait pas qui ils sont. Ils se présentent comme des révolutionnaires. Ils nous ont dit de ne pas avoir peur et qu'ils étaient venus nous libérer de l'oppression." Réputés pour leur rigorisme religieux et leur audace au combat, les hommes de l'EIIL se sont aussi implantés en Syrie à la faveur de la rébellion armée contre le président Bachar al Assad, n'hésitant pas à combattre d'autres groupes insurgés sunnites pour y étendre leur territoire. La prise de Mossoul après les avancées enregistrées dans la province d'Anbar, où se trouvent Ramadi et Falloudja, permet à l'EIIL de consolider ses positions le long de la frontière avec la Syrie. Cette offensive fragilise en outre le Premier ministre irakien, le chiite Nouri al Maliki, accusé par ses détracteurs d'avoir nourri la rébellion en marginalisant la minorité sunnite en huit années d'exercice du pouvoir.