En plus des baraques en amiante, de hideux bidonvilles ne cessent de croître à l'ombre du laisser-aller, sans la moindre commodité. A mesure que l'on s'approche d'El Gammas, le paysage semble rétrécir, à l'instar de la route sinueuse et étroite qui y mène, le long de laquelle coulent d'innombrables ruisseaux. Ces cours d'eau, formés par des fuites d'eau potable, arrivent de toutes parts, inondant cette chaussée réduite, qu'aucun trottoir ne borde. El Gammas s'annonce par son cimetière, à l'entrée de la cité, qui, en somme, est mille fois plus verdoyant que ce quartier géant, aride et escarpé, né aux alentours de 1972. Un air lugubre se dégage de ces lieux, où les habitations, de tout genre, s'entassent presque l'une sur l'autre dans un désordre indescriptible. Des vieux, rassemblés à plusieurs sur un carré de sol poussiéreux, avare de verdure, s'adonnent à un jeu plus vieux que le monde dans nos terroirs, appelé « kherbga » (jeu de dames creusé dans la terre et dont les pions sont des cailloux). Un peu plus loin, un grand cratère dans le bitume défoncé, rempli d'eau claire, né d'une conduite éclatée, est vite transformé en « station-lavage ». Des voitures, de vieilles guimbardes pour la plupart, sont lavées par leurs propriétaires qui se passent un seau qu'ils plongent à tour de rôle dans l'étang. Là, c'est un pays sans lois, sans règles. De tous côtés poussent des maisons, la plupart érigées de travers, sans plan préconçu, que seules ornent les ordures à perte de vue. Sur un terre-plein se réunissent, en ghetto, les fameux chalets en amiante, plus de 1200, complètement dégradés, ceintes de plaques en tôle rouillées et miséreuses. Entre ces centaines d'infâmes baraques, zigzaguent des labyrinthes à peine assez larges pour laisser passer un homme. Deux adolescents nous disent qu'ils sont nés dans ces chalets. « En hiver, l'eau pénètre à l'intérieur des baraques à partir des toits en ternit ; nous mettons des bassines pour recueillir la pluie, c'est comme si nous étions dehors », dit l'un d'eux, Tarek. Le quartier est sans fin, nous ne faisons que tourner en rond. Un peu plus loin, un groupe d'hommes est réuni à proximité d'un café bondé. Ils veulent tous parler. Un quinquagénaire, la face et le cou ravagé par des plaques rougeâtres, raconte qu'ils sont entassés à six dans deux chambres, tombées en décrépitude. « Ces chalets étaient partis pour durer 10 ans, nous y avons vécu 32 ans ; nous y avons développé toutes sortes de maladies, regardez ces taches, et deux de mes enfants sont asthmatiques », s'est-il écrié. Tous sont égaux dans leur misère, et unanimes dans leur désarroi ! Les enfants sont, pour la plupart, en déperdition scolaire, et ceux qui ont fait des études n'ont pas trouvé de travail. Un vieux tiendra à témoigner sur ce qu'il a nommé le quartier des lépreux, en ces termes : « Nous sommes isolés, tels des pestiférés, si l'un de nous est malade durant la nuit, il vaut mieux qu'il crève, car personne ne l'emmènera à l'hôpital, et le SAMU ne se déplace pas chez nous. » Le tranport et la sécurité font défaut Un jeune homme de renchérir : « Les responsables ici ne bougent pas le petit doigt pour nous, nous manquons de tout, nous n'avons pas de réseau d'évacuation des eaux pluviales alors que de gros tuyaux ont été posés, mais sans être complétés par les regards ; c'est une arnaque, les travaux ont été dévoyés et l'argent est parti avec les entrepreneurs véreux. » Le transport est également le point noir de ce quartier ruralisé. Des transporteurs privés font leur propre loi ; selon ces habitants, ils ne vont pas au-delà de la cité Daksi, alors qu'ils sont censés exploiter les lignes El Gammas-Lalum, et El Gammas-Bab El Kantara. Ils font descendre les plus récalcitrants à coups de poing, en les abreuvant d'injures. « On n'y peut rien contre eux, ils ont les corrompus avec eux, ils font leur diktat comme ils veulent », affirment-ils. Ces gens pratiquent tous le marché informel pour survivre, et bien sûr on les laisse faire, car cette cité de la honte n'est inscrite dans aucun projet d'aménagement. Plus haut, de hideux bidonvilles ne cessent de croître, à l'ombre du laisser-aller, sans eau potable, dans une indigence inexprimable. A partir de 17h, la sécurité des lieux n'est plus assurée par la police, et advienne que pourra, en plein 21e siècle, au pays du pétrole !