Mais derrière l'apparente uniformité de ces groupes se dissimulent des différences notoires. L'annonce de la résurrection d'un califat par l'Etat islamique (EI), à cheval entre l'Irak et la Syrie, a donné au djihadisme une nouvelle dimension. Pour la première fois, un groupe terroriste à l'idéologie islamiste dépasse le simple pouvoir de nuisance que lui confèrent les attentats pour annoncer la création d'une véritable entité politique. Même si celle-ci relève encore largement de l'effet d'annonce, l'EI met le terrorisme dit djihadiste au premier plan de l'actualité internationale une fois encore. Plus tôt, Boko Haram avait provoqué l'émotion de l'opinion publique internationale en enlevant 223 lycéennes dans le nord-est du Nigeria. Tous ces groupes affirment agir au nom de l'islam, comme l'explique Bakary Sambe, directeur de l'Observatoire du radicalisme religieux et des conflits en Afrique : «C'est le même salafisme pouvant aller jusqu'au takfirisme qui est en train d'enflammer aujourd'hui le Moyen-Orient et l'Afrique. L'agenda global est clair : instituer une lecture unitariste et dogmatique de l'islam.» Les conditions qui ont amené à une véritable explosion du djihadisme en Afrique comme au Moyen-Orient sont les mêmes : un affaiblissement de l'Etat central et une diversification des sources de financement menant à une hausse substantielle des ressources. Pour autant, les différents groupes djihadistes n'agissent pas de la même manière et le djihadisme revêt une réalité plurielle. Guerre Samuel Laurent, spécialiste du monde arabe et des questions djihadistes estime que «les djihadistes africains sont plus inégaux dans leurs stratégies, leurs financements, leurs objectifs et leurs ressources à la fois humaines et militaires. Mais ils progressent et représentent une menace non négligeable pour un continent qui demeure faible, rongé par la pauvreté et la corruption, et bien mal préparé au défi de cette nouvelle guerre qui ne dit pas son nom.» Dans le cas du djihadisme au Sahel, «contrairement à la plupart des pays du Moyen-Orient où les forces de sécurité sont plus habituées aux groupes djihadistes, beaucoup de pays d'Afrique subsaharienne commencent juste à mesurer la réelle menace politique et sécuritaire que ces groupes font peser sur les Etats», affirme Imad Mesdoua, spécialiste des questions sécuritaires africaines. Et de poursuivre : «Les groupes djihadistes en Afrique ont été en mesure d'asseoir leur domination où les Etats centraux sont faibles et inefficaces.» C'est le cas en Somalie, où les shebabs constituent plus qu'un groupe djihadiste mais également une véritable force politique. Par ailleurs, la concentration en Afrique d'Etats faibles conduit les terroristes à s'inscrire «dans une logique de ‘‘déterritorialisation''», précise Sambe, avant d'ajouter : «Aujourd'hui, les développements inquiétants dans le sud libyen ainsi que la porosité des frontières dans un contexte d'absence de coordination entre les pays de la région compliquent davantage la situation. C'est dans ce cadre que l'expérience algérienne dans la lutte contre le terrorisme pourrait bien servir aux Etats africains.» Concurrence Si les Etats n'arrivent pas à se coordonner, les djihadistes, eux, arrivent à entretenir des relations pour concrétiser leurs objectifs. Ainsi, les hommes de Belmokhtar — émir d'AQMI — se sont récemment alliés au Mujao. De même, les différentes allégeances de plusieurs groupes djihadistes à l'EI font état du réseau qui existe entre ces organisations terroristes. Cela ne signifie pas que les tensions n'existent pas. Le meilleur exemple est la rivalité actuelle entre l'EI et Al-Qaîda pour le leadership djihadiste. Feurat Alani, journaliste franco-irakien et expert de l'EI, révèle : «Il peut y avoir, et il y a déjà eu, des alliances stratégiques de circonstance, mais l'EI ne veut pas créer de lien avec les autres groupes. Même si pour la prise de Mossoul il a accepté de collaborer avec d'autres factions comme les baasistes, les soufis. La finalité est de faire que ces groupes lui prêtent allégeance. Il n'y a pas de concurrence possible.» Si l'EI a réussi une percée fulgurante en Irak, c'est en grande partie grâce à un mode opératoire particulier, qui s'appuie sur les informations et le conseil militaire fournis par les anciens officiers de l'armée de Saddam Hussein, lesquels «ont été écartés et ont à cœur de retrouver une place au pouvoir», ajoute Alani. La montée du phénomène djihadiste illustre l'incapacité des puissances mondiales à y apporter une réponse adéquate. Ainsi, au Mali, la fin de l'opération française Serval n'est en rien synonyme d'une éradication de la menace djihadiste.