«S'installer dans la maison de l'islam est un devoir pour tous les musulmans», c'est par ces mots que Abou Bakr Al Baghdadi, dit Ibrahim, le nouveau calife auto-proclamé, a consacré la création d'un nouveau califat s'étalant du nord de l'Irak aux régions syriennes frontalières, une prémisse à la conquête de l'ensemble des terres d'islam. La menace de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) n'est plus, désormais il va falloir appeler le groupe terroriste par son nouveau nom, l'Etat islamique, ou alors son nom arabe qui ne varie pas, le Daash. Si le califat, annoncé par les troupes terroristes qui sévissent en Irak depuis plusieurs semaines, devient une réalité politique, alors la partition de l'Irak que beaucoup craignaient lorsque cette crise a commencé le 9 juin dernier pourrait bel et bien devenir une réalité. Depuis le début de la semaine, l'armée irakienne a lancé une contre-offensive dans le nord du pays afin de reprendre cette partie du pays où sont concentrées les populations sunnites et où les troupes terroristes de l'Etat islamique ont réussi à s'imposer avec une rapidité et une fulgurance déconcertantes. Pour Feurat Alani, journaliste franco-irakien spécialiste de l'Irak, cela a été possible «en raison de la politique du Premier ministre Nouri Al Maliki qui a écarté les officiers de l'armée de Saddam Hussein, lesquels aident à présent les combattants sur le terrain». Pour Nabil Ennasri, doctorant et chercheur spécialiste du monde arabe, Al Maliki s'est rendu coupable d'avoir «méprisé la composante sunnite» de la société. Fantasme Il a ainsi intensifié un clivage religieux ancien celui qui existe entre sunnites et chiites, lequel a précipité la radicalisation de mouvements tels que l'Etat islamique qui s'appuie sur une idéologie extrémiste sunnite dont l'objectif ultime est l'établissement d'un califat allant de l'Andalousie espagnole au Levant arabe. Un projet qui relève du fantasme malgré l'effet d'annonce suscité par la réémergence d'un supposé califat. En effet, si l'Etat irakien se montre incapable d'assurer l'intégrité de son territoire, les puissances régionales et mondiales, elles, s'organisent pour contenir la menace que représente l'Etat islamique. Téhéran s'est ainsi dit «prête» à livrer «des équipements et des armes» à Baghdad si le pouvoir irakien «en fait la demande.» La Russie a, pour sa part, déjà livré une douzaine d'avions militaires à l'armée irakienne pour contrecarrer la menace terroriste, la même que le régime de Bachar Al Assad dit combattre en Syrie. Riyad, dont la doctrine religieuse wahhabite ne considère pas les chiites comme une communauté musulmane, a toujours constitué un «sponsor financier d'une forme d'islamisme radical», selon David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l'Institut prospective et sécurité de l'Europe (IPSE). Et de poursuivre : «Elle est le fer de lance du monde arabo-sunnite» et n'entend pas perdre ce rôle au profit d'un groupe terroriste, même si cela signifie la survie d'un régime chiite en Irak. Ces tensions régionales persistantes entre «axe chiite» et «axe sunnite» expliquent aussi le risque de partition du pays. Référendum Cependant, le califat de l'Etat islamique n'a pas eu qu'un effet retentissant auprès de la communauté internationale, mais il a aussi forcé l'admiration de plusieurs autres groupes djihadistes avec en tête Al Qaîda au Maghreb islamique (AQMI), branche du groupe fondé par Oussama Ben Laden en Afrique du Nord. Abi Abdallah Othmane El Assimi, qadi d'AQMI, a ainsi vivement salué «les combattants les plus pieux» que sont ceux de l'Etat islamique. Et d'ajouter : «Ils sont sur une voie juste qui n'est pas celle du compromis, ils ne craignent pas ce que disent les autres. C'est une voie où la parole d'Allah est supérieure à tout, une voie qui a appliqué la charia.» Dans cette confusion territoriale, le Kurdistan autonome irakien constitue également un facteur de dislocation de l'Irak. En effet, Massoud Barzani, président de cette région autonome, a explicitement évoqué la possibilité de tenir un référendum pour l'autodétermination entière du Kurdistan. Il admet que le pays «vit une situation tragique», mais refuse que le Kurdistan reste bloqué dans celle-ci, raison pour laquelle la région autonome va «organiser un référendum où il sera tenu par la décision de son peuple», a ajouté Massoud Barzani. Celui-ci devrait avoir lieu en octobre prochain et pourrait aboutir à la création d'un nouvel Etat se détachant de l'Irak, lui aussi. Pour Feurat Alani, c'est «une partition préexistante douce» qui existait déjà et qui s'exprime de manière violente. Si un Etat kurde voyait le jour, cela pourrait réactiver les nationalismes kurdes en Syrie et en Turquie où les régimes en place les étouffent depuis des décennies. Le Kurdistan a d'ores et déjà le soutien de l'entité sioniste qu'il reconnaît tacitement et avec laquelle il entretient déjà des relations. Lakhdar Brahimi, diplomate algérien à l'ONU, avait affirmé qu'en «Syrie, le seul vainqueur est Israël». Il semblerait qu'en Irak également.