Des cheikhs sunnites libanais ont annoncé, mercredi dernier, avoir obtenu le retrait des combattants de Jabhat Al-Nosra du village libanais d'Aarsal, à la frontière syro-libanaise. Une initiative qui a permis hier aux secours de commencer à évacuer une cinquantaine de blessés dans cette localité. Georges Kétané, directeur de la Croix-Rouge libanaise a ainsi déclaré : «Nous avons jusqu'à présent évacué 44 blessés libanais et syriens dont certains sont dans un état grave vers des hôpitaux dans l'ouest.» Plus encore, 3 soldats ont été libérés par les djihadistes mercredi, alors que 22 autres sont encore détenus prisonniers. «Leur libération est le point le plus épineux des négociations entre les oulémas et les djihadistes», révèle une source ministérielle. Le village d'Aarsal vit de violents combats mettant aux prises l'armée libanaise et le groupe djihadiste. Ces affrontements sont la conséquence directe de l'arrestation d'Imad Ahmad Jomaa, un haut cadre de l'organisation extrémiste affiliée à Al Qaîda, par l'armée libanaise. Ce conflit intervient alors que l'Arabie saoudite a alloué en décembre dernier 3 milliards de dollars à l'armée libanaise pour que celle-ci puisse acquérir des armes françaises, dans le but de renforcer son équipement. Ces armes n'ont pas été livrées à l'heure actuelle, ce qui a suscité l'ire du chef de l'armée libanaise, le général Jean Kahwagi qui a déclaré qu'il «est nécessaire d'accélérer la fourniture d'aides militaires à travers la finalisation des listes des armes demandées à la France.» Bien que le gouvernement libanais se soit montré très ferme vis-à-vis de tout débordement du conflit syrien au Liban, un cessez-le-feu a été conclu mardi grâce à la médiation de cheikhs sunnites. Crise politique Ce cessez-le-feu, qui a tout de même souffert de quelques violations à l'image des affrontements entre les djihadistes et l'armée libanaise dans la nuit de mercredi à jeudi, a tout de même permis le retrait du Front Al-Nosra du Liban, avec un bilan de 17 militaires tués et 86 blessés et plusieurs dizaines de djihadistes décédés. Pour Ziad Majed, politologue libanais et professeur à l'université américaine de Paris, les confrontations à Aarsal «ne sont pas nouvelles, même si la situation s'aggrave. Ce village est régulièrement le théâtre d'affrontements en raison de la perméabilité de la frontière.» A ses yeux, l'incursion djihadiste au Liban s'explique par l'arrestation d'Imad Jomaa, mais aussi par des facteurs plus structurels dont les plus importants sont l'implication du Hezbollah en Syrie et la crise politique que connaît actuellement le Liban. «Le Hezbollah, par sa participation à la crise syrienne aux côtés de Bachar Al Assad, justifie les attaques de ces groupes djihadistes. Si le parti de Dieu explique agir en Syrie pour empêcher l'arrivée des takfiristes, c'est bien son engagement qui suscite les débordements de la crise syrienne», explique-t-il. Par ailleurs, le système politique libanais est dans une situation de grande instabilité : «Les parlementaires ont eux-mêmes étendu leur mandat car ils ont été incapables de s'accorder sur une nouvelle loi électorale. Aujourd'hui, ce Parlement à la légitimité contestée n'arrive pas à élire un président. Enfin, le gouvernement formé par Tammam Salam est faible car soumis à de nombreuses pressions.» hezbollah Cette faiblesse des institutions politiques, doublée de la peur de voir le pays retomber dans la guerre, a conduit les Libanais à soutenir massivement leur armée. Des mobilisations qui transcendent les clivages politiques ont eu lieu pour défendre le rôle de l'armée, perçue comme l'un des derniers symboles de l'unité nationale. Le retrait des djihadistes diminue la pression sécuritaire sur le Liban, mais les interrogations quant à l'avenir du pays demeurent. Ziad Majed exclut toute avancée de groupes comme l'Etat islamique ou Jabhat Al-Nosra : «Un scénario à l'irakienne est impossible car ces groupes n'ont pas les moyens de tenir durablement des positions et d'affronter à la fois l'armée libanaise et le Hezbollah. En revanche, le Liban risque de s'approcher de la situation de l'Irak entre 2004 et 2011 : attentats ciblés et voitures piégées seront encore pour un moment le futur du pays.» En dépit de nombreuses politiques de distanciation, le Liban n'a jamais réussi à se soustraire aux retombées du conflit syrien sur son territoire. Le pays est régulièrement sujet à des attentats à la voiture piégée, en particulier dans les deux premières villes du pays, Beyrouth, la capitale, et Tripoli. Autant de manifestations ponctuelles menaçant la sécurité d'un pays où les tensions suscitées par la mosaïque ethnique, confessionnelle et politique sont exacerbées par la situation en Syrie, mais également la montée djihadiste dans la région.