Je vous dirais : mais ils pullulent dans nos mosquées, ils tuent, brûlent, pillent et saccagent à Ghardaïa au nom du malékisme, sous le regard passif des services de sécurité de la République algérienne démocratique et populaire et que certains éléments de ces mêmes services les assistent. Vous allez me rétorquer que l'Etat algérien était pris par le quatrième mandat du Président ; et maintenant il va s'en occuper ! Je vous dirais que plus de cinquante responsables civils et militaires sont passés depuis huit mois à Ghardaïa, en jurant qu'ils «vont frapper avec une main de fer», ils «vont punir sévèrement les criminels», et ramener le calme. On avait même sommé les mozabites de voter Bouteflika pour que la paix revienne. Et les mozabites ont voté en «masse» pour Bouteflika, mais les terroristes, toujours plus agressifs, sèment la terreur, se pavanent avec mépris, arrogance et en toute impunité dans les rues qu'ils qualifient de «zones libérées». Et cette perle du désert est depuis huit mois sous le siège de plus de 10000 agents armés jusqu'aux dents. Si l'affaire s'arrêtait là ; mais le drame est que le langage de tous ces responsables n'a pas changé depuis. Ils ne savent plus conjuguer un verbe au passé ou au présent. Ils parlent toujours au futur en promettant : «Nous allons…, et rien ne va ! Nous ferons…, et rien n'est fait !» Dès qu'ils ont le dos tourné, les loups sortent de leur cachette et mordent encore plus fort ! Maintenant la situation se retourne contre les victimes. De nombreux mozabites se retrouvent en prison parce qu'ils se sont défendus, ou simplement parce qu'ils ont marché dans la rue. Si cela venait des intégristes ou des agresseurs seulement, on aurait dit : c'est la loi de la guerre ! Une guerre déclarée d'un seul côté, bien sûr ! Or, les criminels et leurs soutiens exigent des mozabites des conditions pour la paix. Et si l'affaire s'arrêtait aux criminels et à leur soutien intégriste en Algérie et à l'étranger, on aurait dit comme certains le prétendent : ce sont des trafiquants de drogue, des trafiquants d'armes ou des contrebandiers ; mais non ! Les oulémas d'Algérie, censés être les sages d'un pays en folie, ont repris dans un rapport de mission de «réconciliation» à Ghardaïa les allégations et les «revendications» des criminels ; ces derniers exigent des soi-disant «kharijites» qu'ils combattent qu'ils leur donnent «leurs filles en mariage» ; ils doivent fermer leurs instituts et médersas, et leurs mosquées doivent être soumises au contrôle de l'Etat. Et quand les mêmes arguments sont textuellement repris en mode «copié-collé» par l'ex-secrétaire général du FLN, ex-ministre des Affaires étrangères de la RADP, ex-Premier ministre, et de surcroît conseiller du Président, cela devient de l'hérésie. Ce serait la menace intégriste qui reviendrait, après tant de sacrifices, pour la démocratie, le pluralisme, la liberté de conscience, la liberté de la femme, les droits de l'homme, et pour mille et autres acquis qu'on espérait jamais remis en cause, surtout en début du quatrième mandat d'un Président élu presque à l'unanimité ! Reconnaissons quand même à M. le ministre d'Etat, conseiller spécial du Président, le mérite et le courage de dévoiler ce que personne au pouvoir n'osait dire clairement jusqu'à ce jour. Il a reconnu implicitement que l'Etat n'a pas voulu régler le conflit «malékites-ibadites» à Ghardaïa ! Il a dit haut et en termes crus ce que d'autres responsables sous-entendaient par de fausses promesses et un laxisme désespérant. Revenons à ces «suggestions» que M. le ministre-conseiller a avancées comme étant les causes de la crise «malékites-ibadites» et qui justifierait les 10 ibadites assassinés, et pas un seul malékite, des centaines de blessés, des centaines de magasins, de palmiers et de maisons calcinés, des milliers de tonnes de marchandises volées, des milliers de milliards de DA de dégâts, des cimetières et lieux de culte profanés en plein Ramadhan. Tout cela pour des problèmes «à régler à moyen et long termes», dit-il. 1- Alliance : les criminels et M. le ministre-conseiller veulent que les ibadites prennent leurs filles par le collet et les engouffrent dans les maisons de ceux qui les agressent et les assassinent depuis des décennies. Ils veulent que les mozabites marient leurs filles à ceux qui cultivent la haine et la ségrégation dans les écoles et les lycées, alors que seuls l'estime et l'amour pouvaient prendre des jeunes par la main et les unir. Mesdames de l'UNFA, de la Ligue des droits de l'homme et des multiples associations féminines algériennes, n'êtes-vous pas outragées ? Les mozabites rigolent en fait de cet «amour intégriste» ridicule ! Que M. le ministre-conseiller apprenne que l'amour ne se force pas et ne se décrète pas par un pouvoir quel qu'il soit. Qu'il sache que de plus en plus de femmes et d'hommes mozabites se marient à des malékites au Nord, ou à l'étranger par amour. Dans l'entourage de ma toute petite famille et parmi mes proches parents, j'en ai dénombré au moins une dizaine : les mozabites marient volontiers leurs enfants à des musulmans malékites ou autres, à condition qu'ils répondent aux recommandations du hadith du Prophète (Salla Allah Alayhi wa Sallam) qui dit : «Si quelqu'un se présente à vous et vous agréez sa religion (ou sa foi) mariez-le ; sinon, une grande sédition et une grande corruption en découleraient». Le mariage mixte vient naturellement par l'émancipation, la culture et les bonnes mœurs ; un mariage forcé ou d'intérêt est forcément voué à l'échec. 2- Placer les institutions ibadites sous le contrôle de l'Etat, revendique M. le ministre-conseiller, comme si elles ne l'étaient pas déjà assez. Toutes ces institutions relèvent du mouvement associatif national. Elles sont légales et soumises à un agrément. Le pouvoir en place depuis l'indépendance les avait souvent exploitées à des fins électorales. Et, de nos jours, c'est à elles que s'adressent les différents responsables qui visitent le M'zab pour tenter de régler la crise à leur manière. Et comment peuvent-ils le faire si ces institutions étaient illégales ? On dénote évidemment chez M. le ministre ex-secrétaire général de l'ancien parti unique, un «parti pris» et une mentalité hégémoniste du temps des monopoles socialistes. D'ailleurs, si ces institutions dérangeaient l'Etat, il suffisait de les dissoudre. Pourquoi tant de massacres et de dégâts pour régler un problème administratif simple ? Il y a donc sûrement une autre raison cachée sous cette proposition. 3- Placer les instituts et les médersas ibadites sous contrôle de l'Etat, demande-t-il. Disons simplement par acquis de conscience que tous les instituts et médersas ibadites fonctionnent soit sous agrément direct ou sous tutelle d'une association. L'institut El Hayat de Guerrara, si convoité, a été classé cette année 1er pour les résultats du baccalauréat de la wilaya de Ghardaïa. Pouvait-il présenter ses candidats s'il était hors-la-loi ? Notons au passage que ces institutions et ces établissements mozabites n'ont jamais enfanté le moindre terroriste ! Elles ont au contraire enfanté des sommités nationales et internationales, telles que Cheikh Tf'eyech, Cheikh Thaminy, Cheikh Abouliakdan, le premier journaliste nationaliste algérien, Cheikh Bayoud, sauveur du Sahara algérien, co-fondateur des oulémas et du 1er comité algérien de soutien à la Palestine en 1948, Moufdi Zakaria, Salah Kherfi, et bien d'autres encore. Il apparaît clairement que M. le ministre et ceux qui l'ont chargé de porter leur parole voudraient que les malékites fréquentent ces écoles et ces instituts ibadites libres. Mais c'est chose faite ! Les élèves algériens et étrangers qui les fréquentent depuis les années 1930 se conforment simplement à leur règlement intérieur. Est-il nécessaire de rappeler à M. le ministre-conseiller qu'il avait lui-même fréquenté la médersa ibadite Doudou Baïssa à El Anasser, et que de l'institut El Hayat de Guerrara sont sortis des lumières malékites telles que les deux frères poètes Lakhdar Essaïhi, l'illustre savant libyen Ali Yahya M'Aammar, et bien d'autres. En fait, ce sont les malékites qui, en 1962, les avaient quittés en masse, sous la pression du FLN et de l'Organisation des anciens moudjahidine de la wilaya de Ghardaïa, artisans de la ségrégation et de la haine depuis l'indépendance. 4- Il faudrait enfin, propose M. le ministre-conseiller, que les mosquées et les wakfs ibadites soient placés sous le contrôle de l'Etat. Ce qu'il ignore ou fait semblant d'ignorer, c'est que ces mosquées sont placées sous la supervision du Majlis Ammi Saïd, qui est présidé par un coordinateur des wakfs ibadites, désigné par le ministère des Affaires religieuses. Il conviendrait enfin d'ajouter, pour les besoins de la cause, que dans la jurisprudence ibadite il est interdit à l'imam, au muezzin et aux autres serviteurs de la Maison d'Allah de percevoir la moindre rémunération pour leur service. Tout le monde travaille bénévolement et vit de son propre travail à l'extérieur. De ce fait, l'Etat algérien n'a qu'un seul rôle à jouer : celui d'assurer la sécurité des citoyens à l'intérieur et à l'extérieur de la mosquée. En conclusion, si ce n'est la jalousie qui enflamme les entrailles des haineux, quel mal font-elles ces institutions ibadites à l'Etat ou aux malékites du M'zab ? Elles constituent le creuset d'entraide sociale et de sauvegarde de l'identité nationale (Islam-Arabe-Amazigh), au sein d'une communauté qui n'a jamais causé le moindre souci à l'Etat algérien. Que reproche-t-on à ces mozabites pour mériter les massacres dont ils sont victimes dans une République qui se dit «Démocratique et Populaire» et dans un Etat qui se dit de «Droit» ? Et si l'on a des griefs contre les vivants, que reproche-t-on aux morts que les criminels déterrent pour jouer au ballon avec leurs crânes ? N'est-ce pas un crime contre l'humanité et contre Allah ? Apprenez pour la belle histoire de la Révolution, M. le ministre-conseiller, qu'un discours démagogique similaire avait été tenu par des responsables du FLN à Tunis en 1958. Ils voulaient «nationaliser» la baâtha (maison des étudiants) mozabite de Tunis et y intégrer des étudiants malékites. Dans un climat de crise similaire est arrivé le colonel Aït Hammouda Yahya, surnommé Amirouche (Rahimahou Allah). Lorsqu'il a vu l'organisation sociale de la baâtha, ses programmes culturels et religieux, et son rayonnement sur la société tunisienne et arabe, il a dit : «La Révolution détruit le colonialisme et construit l'Algérie de demain. Lorsque je reviendrai à la prochaine mission, je vous demanderai un encadrement pour appliquer les mêmes programmes dans la maison kabyle que nous venons d'acheter ; nous achèterons également d'autres maisons pour les autres Algériens et nous leur appliquerons les mêmes programmes.» Presque illettré, le colonel Amirouche (Rahimahou Allah) voyait loin et haut ; il voulait élever les étudiants algériens perdus à Tunis, en leur appliquant le modèle de la bâatha mozabite. Sans préjugés ni sectarisme, les grands hommes recherchent l'intérêt national d'abord et favorisent le nivellement vers le haut et non vers le bas. Alors, Monsieur le ministre, s'il vous plaît, restez conseiller, porte-parole d'un Etat de droit, non celui des criminels intégristes de Ghardaïa.