Une centrale éolienne à Adrar et un parc photovoltaïque inaugurés en grande pompe au début de l'été, un programme des énergies renouvelables ambitieux qui a pour objectif de réaliser 40% de la production d'énergie avec les énergies renouvelables (37% solaire, 3% éolien) en 2030 et un ministre de l'Energie qui affirme son ambition de «construire 60 centrales électriques et photovoltaïques ainsi que des éoliennes». L'Algérie a tout d'un pays tourné vers les énergies renouvelables, mais sur le papier seulement. Dans les faits, moins de 1% de l'énergie que produit le pays provient des énergies renouvelables et, dans de telles conditions, les objectifs affichés sont irréalisables selon les experts. Un cadre juridique insuffisant «Pour qu'un industriel privé se lance dans l'exploitation des énergies renouvelables, il faut qu'il sache s'il peut revendre l'énergie produite. Les tarifs d'achat d'énergie par l'Etat ont été publiés au début de l'année. Les opérateurs privés peuvent désormais se lancer. Avec ces tarifs proposés, un opérateur économique peut assurer une rentabilité correcte», explique Mabrouk Aïb, du collectif Nabni. Mais il manque une donnée importante. «Il est nécessaire de savoir comment ces projets privés pourraient être raccordés au réseau de Sonelgaz, afin que l'énergie arrive jusqu'aux particuliers. Un investisseur veut pouvoir estimer la lourdeur des procédures administratives. Pour l'instant, ce n'est pas possible», ajoute-t-il. En publiant ce décret, les autorités ont omis des secteurs importants. «Le décret évoque l'énergie photovoltaïque produite à partir de panneaux posés sur le sol ; or, l'intérêt de cette technique est que ces derniers soient posés sur les toits. Et puis, le décret ne parle pas de l'énergie produite grâce aux techniques solaire-thermique», dit Tewfik Hasni, ancien responsable de NEAL, une entreprise chargée du développement des énergies renouvelables détenues à 45% par l'Etat. Un secteur fermé au privé Ce manque de clarté dans les textes rend les investisseurs frileux. «Les investisseurs dans les énergies renouvelables en Algérie se comptent sur les doigts… d'une seule main», affirme Belkacem Bouzidi, directeur de l'Unité de développementdes équipements solaires. «La seule expérience avec le secteur privé, dans laquelle on a laissé entrer les investisseurs étrangers, c'est le projet de la centrale solaire hybride de Hassi R'mel, raconte le responsable du projet, Tewfik Hasni. C'est un succès, mais on n'a jamais renouvelé l'expérience.» Une stratégie économique tournée vers la rente La centrale solaire thermique de Hassi R'mel produit 150 MW par an. Lancé en 2002, le projet a abouti en 2007. «C'est un bijou technologique qui permet à l'Algérie d'être parmi les leaders mondiaux dans ce domaine», explique un chercheur. La valeur de l'entreprise a été multipliée par 30. Pourquoi ne pas avoir lancé des projets similaires ailleurs ? «Ce projet a un taux de rendement de 5,3%. C'est trop bas pour certains», explique Tewfik Hasni, responsable de ce projet. «La culture de la rente anesthésie et décourage tous ceux qui veulent prendre des initiatives», se désole un ancien cadre de l'Energie. «Pour développer les énergies renouvelables, il faut penser les investissements en termes capitalistiques et faire des arbitrages économiques. Cela nécessite de faire des choix stratégiques qui ne sont pas liés au politique», affirme Tewfik Hasni. Des projets industriels mal préparés Le ministre de l'Energie et des Mines avait affirmé que les premiers panneaux solaires algériens sortiraient de l'usine de Rouiba Eclairage (Alger) à la fin de l'année 2013. Cette usine devait produire 60% de la demande en panneaux solaires liée au programme national de développement des énergies renouvelables. «Les échéances ne sont pas encore tout à fait maîtrisées. Tout d'abord parce que c'est une nouvelle technologie de pointe, et le problème se situe au niveau de la réalisation des modules photovoltaïques», explique Belkacem Bouzidi. «Le contrat passé avec une firme étrangère n'a pas abouti suite à des problèmes internes», explique-t-il. «Les Allemands étaient mal préparés et les Algériens ont fait un caprice», croit savoir un proche du dossier. «En attendant, pour combler notre retard, il faut importer des cellules photovoltaïques», ajoute Belkacem Bouzidi. C'est notamment ce qui permet à l'entreprise Condor de produire des panneaux photovoltaïques aujourd'hui. Mais le projet «Rouiba Eclairage» fait sourire un expert : «Fabriquer des cellules photovoltaïque nécessite des salles blanches, un environnement complètement protégé. On veut nous faire croire qu'un tel projet est en préparation là-bas…» Des compétences nationales fragiles De nombreuses universités à travers tout le territoire proposent des formations liées aux énergies renouvelables. «L'Algérie regorge d'enseignants universitaires spécialisés, ayant même travaillé dans de grands centres de recherche ou dans des entreprises à l'étranger, mais ils ne sont pas utilisés par nos industriels», regrette Zakaria, doctorant. Un consultant est plus sévère : «Contrairement à ce que prétendent certains classements, la compétence de nos chercheurs se traduit par le nombre de brevets et d'innovations que nous produisons. Dans le Maghreb, nous sommes les derniers. Et nous n'avons rien fait pour amener la recherche à être performante dans le domaine des énergies renouvelables.» Au-delà de la recherche, certains acteurs industriels ont été «mis de côté» malgré leurs compétences. «Cevital était un acteur crédible», affirme Tewfik Hasni, pourtant, le projet international Desertec, dans lequel le groupe de Issab Rebrab devait investir 600 millions de dollars, a été abandonné. Un réseau déjà défaillant «Il faut impérativement se pencher sur les problèmes de réseaux, opérer certains raccords, notamment dans le Sud et dans la liaison Nord-Sud. Pour éviter la perte trop importante d'électricité, les centrales devront être placées les unes derrière les autres sur le réseau, comme les maillons d'une chaîne», estime un responsable du Centre de développement des énergies renouvelables. Comme on ne peut pas stocker l'électricité, il faut pouvoir l'acheminer jusqu'au consommateur. Or, aujourd'hui, c'est la vétusté du réseau de raccordement électrique qui est responsable de nombreux délestages, non pas une production insuffisante. Une politique inadaptée Le programme national évoque principalement l'exploitation de l'énergie solaire avec les techniques photovoltaïques et l'exploitation de l'éolien. «Mais le potentiel de notre pays repose sur le solaire thermique, c'est la surface de notre désert qui fait notre atout. Cette technologie a un rendement supérieur à 25%, alors que le photovoltaïque ne dépasse pas 12%, souligne Tewfik Hasni, ancien responsable de NEAL. La décision n'est pas prise suivant une logique technique, elle n'est pas économique non plus, elle est politique.» Qui prend les décisions ? «Sonelgaz considère qu'elle n'a rien à voir avec les énergies renouvelables, que ce n'est pas sa mission. Elle ne fait pas grand-chose», explique un membre du Club énergie qui décrit les décideurs comme des gens «qui refusent d'admettre qu'ils ont fait des erreurs.» Le ministère de l'Energie n'a pas voulu répondre à nos sollicitations. A la tête de la politique énergétique du pays, il y a donc le ministre Youssef Yousfi. C'est lui qui lance le programme des énergies renouvelables en 2011, «pour frapper les esprits» raconte-t-on, mais pas vraiment par conviction. «A son arrivée en 2010 à la tête du ministère, Youssef Yousfi a calqué les solutions choisies par la Tunisie, pays où il venait de passer un an. Le programme algérien, c'est tout simplement le programme tunisien multiplié par 10 ou par 20», raconte un cadre. «L'objectif de 12 000 MW est inatteignable. Le ministre a choisi le chiffre de 12 000 comme ça, de la même manière que Chakib Khelil avait choisi de forer des puits de pétrole comme aux Etats-Unis», ajoute-t-il. De même, l'objectif ambitieux d'exporter en 2030, principalement vers l'Europe, 10 MW d'électricité produite à partir des énergies renouvelables est très difficile à atteindre. «Pour transporter de l'énergie solaire, il faut installer une centrale tous les 50 kilomètres. Or on ne sait pas installer ces centrales sous la mer. Il faut donc passer par le Maroc ou par Gibraltar. Cela poserait des problèmes difficiles à résoudre en 15 ans», explique un consultant. Pourquoi alors lancer un programme irréalisable pour 2030 ? Un ancien responsable soupire : «Eux ne seront plus là.»