D'abord en raison des accusations de corruption. Le 1er juin, le Sunday Times a affirmé avoir en sa possession des centaines de milliers de documents prouvant qu'un Qatarien du nom de Mohamed Bin Hammam a distribué 5 millions de dollars de pots-de- vin à plusieurs personnalités de la FIFA, dont l'ancien vice-président. Ce n'est pas un secret : l'attribution de tels événements sportifs planétaires est le théâtre de campagnes de lobbying acharnées. Si l'affaire prend tant d'ampleur c'est parce que, dès le début, les spécialistes et les médias ont émis des doutes sur la capacité du Qatar à pouvoir prendre en charge, dans de bonnes conditions, d'une compétition comme le Mondial de foot. En particulier en été, dans un pays où les températures peuvent atteindre les 50°C. Les conditions climatiques constituent la deuxième menace : si le Mondial se déroule en été, le défi d'assurer un cadre convenable de compétition aux joueurs et de confort minimal aux supporters semble insurmontable. Si d'aventure il se jouait en hiver, cela poserait une multitude de problèmes organisationnels liés au calendrier. – Déplacer la coupe du monde en hiver est-il envisageable ? En théorie, non. L'appel à candidature oblige les prétendants à tenir la compétition en été. En pratique, le président de la FIFA et son secrétaire général c'est une évidence : le Mondial doit se jouer en hiver. Cela pose plusieurs problèmes. Les saisons allant de septembre à juin, la Coupe du monde se tiendrait-elle en 2021-2022 ou 2022-2023 ? Dans l'organisation générale des compétitions mondiales (Jeux olympiques d'hiver prévus en février 2022, compétitions européennes de football qui prévoient de courtes trêves en hiver, CAN, etc.), la tenue du Mondial en hiver créerait de sérieux problèmes de chevauchement. Par ailleurs, les droits télé ont déjà été acquis, notamment par des diffuseurs américains : si le Mondial se tenait en hiver, ils seraient amenés à renégocier les contrats. Aux Etats-Unis, la saison hivernale est rythmée par les compétitions locales (NBA, NHL, NFL, MLB), qui entreraient en concurrence avec la Coupe du monde. Pour les compétitions européennes, le chamboulement pour le calendrier, les joueurs et les clubs, serait total : soit les clubs joueraient pendants la Coupe du monde, soit la date de fin de saison devrait être modifiée. De plus, l'impact sur l'engouement autour de la compétition et les économies locales n'est pas à négliger. L'émir du Qatar, lui, maintient que la compétition se tiendra en été. Et pour finir, les candidats malheureux au Mondial 2022 que sont notamment les Etats-Unis et l'Australie ne manqueraient pas de demander la tenue d'un nouveau vote. Le cahier des charges de la FIFA stipule qu'il faut produire un dossier de candidature pour une compétition estivale. L'attribution de l'événement à un Etat qui, finalement, organiserait la compétition en hiver, avec toutes les complications que l'on connaît, tiendrait de la pure aberration. – Le défi technologique d'organiser une Coupe du monde sous 50°C peut-il être relevé ? C'est compliqué. Le Qatar assure qu'il est en train de mettre au point un système de climatisation permettant d'assurer la tenue de la compétition et le confort des spectateurs. Une équipe de chercheurs anglais a d'ailleurs publié une étude le mois dernier, estimant à 125 MWh la consommation d'énergie journalière nécessaire à la seule climatisation des sites. Un chiffre colossal, qui tranche avec les dispositions de la charte verte de la FIFA, qui exige depuis 2006 qu'une Coupe du monde soit neutre en émission de CO2. On voit mal comment cet objectif pourrait être réalisable, malgré les ambitieux projets qatariens autour des énergies solaires. Il faut savoir que les Coupes du monde 2006 et 2010, organisées respectivement en Allemagne et en Afrique du Sud, ont dégagé à elles deux près de 20 tonnes de CO2, même en l'absence de plan de climatisation massive. Si le Mondial 2022 venait à être disputé en été, l'émirat serait dans l'obligation de compenser ces émissions, au-delà du défi technologique qui l'attend. Enfin, rien ne permet aujourd'hui d'affirmer que le projet pharaonique de climatisation des stades et des centres d'entraînement est réalisable à si grande échelle. Le Qatar a d'ailleurs réduit de 12 à 8 le nombre de stades qui doivent accueillir le Mondial. On parle aujourd'hui d'un budget global de 150 milliards d'euros pour le Mondial 2022, quand le Mondial 2014 n'en a coûté «que» 10 milliards. A noter que ces 10 milliards d'euros font du Mondial brésilien le plus cher de l'histoire à ce jour, et de loin. – Quelles sont les personnalités impliquées dans le Qatargate ? Alors que des soupçons de corruption pèsent sur l'instance même de la FIFA, trois personnes sont au centre du scandale : Mohamed Bin Hammam, ancien président de la Confédération asiatique, Jack Warner, ancien vice-président de la FIFA, et Michel Platini, actuel président de l'UEFA. Ce dernier est accusé d'avoir participé à une réunion à l'Elysée le 23 novembre 2010 en compagnie de Nicolas Sarkozy, alors président de la République, et le prince du Qatar, Tamin Bin Hamad Al Thani. L'ex-président français lui aurait demandé de changer d'avis et de soutenir la candidature qatarienne. Par ailleurs, Platini a admis avoir rencontré Mohamed Bin Hammam à quelques jours du vote qui s'est tenu le 2 décembre 2010. Bin Hammam, ancien président de la Confédération asiatique de football, a été radié à vie de la FIFA en 2012 à la suite d'une affaire de corruption lorsqu'il briguait la présidence de l'institution en 2011. Le sulfureux Qatarien est soupçonné d'être au cœur du système mis en place par l'émirat en vue de l'organisation du Mondial. Il se serait servi dans des caisses noires pour distribuer des pots-de-vin à hauteur de 5 millions d'euros, dont 1,7 million pour le seul Jack Warner. Le comité de candidature du Qatar s'est quant à lui fendu d'un communiqué assurant que Bin Hammam n'avait exercé aucune fonction en son sein, «ni officielle ni officieuse». Les révélations du Sunday Times et les conclusions de l'enquête diligentée par la FIFA, prévues pour septembre, devraient permettre d'y voir plus clair. – Est-ce que cette confusion profite à quelqu'un ? A première vue, non. Cette affaire jette le discrédit sur la FIFA et révèle son amateurisme et ses pratiques clientélistes au grand jour. Mais si une personne pouvait sortir renforcée de ce désordre, c'est bien Sepp Blatter, son président depuis 1998. Après avoir annoncé à de nombreuses reprises qu'il ne serait pas candidat à sa propre succession, il a changé d'avis et a déclaré qu'il briguerait un 5e mandat. En tant que président de la FIFA, il n'a pas participé au vote d'attribution du Mondial. Ce qui lui permet aujourd'hui de qualifier d'«erreur» la nomination de l'émirat. A la suite des premiers remous provoqués par cette attribution controversée, Blatter a pris la décision de réformer le mode d'attribution, qui sera désormais du ressort du congrès de la FIFA. Jusqu'alors, le vote était réservé au comité exécutif, composé d'une vingtaine de membres à peine. Toujours souriant, d'une voix posée, Blatter ne manque pas une occasion de faire référence aux soupçons qui pèsent sur Michel Platini, son ancien protégé, qui n'a jamais dissimulé ses ambitions présidentielles. Mohamed Bin Hammam, au centre du scandale, était lui aussi un adversaire de Sepp Blatter, avant d'être radié à vie. En résumé, le président de la FIFA, en plus de se dédouaner, passe pour un militant de la transparence à travers son projet de réforme, et élimine la concurrence sans forcer. Tout un art.