Films, livres, CD, acteurs, chanteurs, ils ont tous créé l'événement en 2009. Chacun à sa façon. Certains avec bonheur, d'autres par des polémiques dangereuses. Kaléidoscope nécessairement incomplet et subjectif. Paris. De notre correspondant Welcome Solidarité condamnée Le film de Philippe Loiret Welcome continue de susciter une grande polémique en France. La classe politique s'est déchirée sur la politique de l'immigration, dénoncée dans ce film. Le réalisateur raconte l'histoire de Bilal, un Kurde irakien, qui veut rejoindre sa fiancée à Londres à la nage à partir de Sangatte. Un brûlot politique. Et un film époustouflant. Voilà un film qui a bénéficié d'un grand tapage médiatique avant sa sortie ! Le mérite revient au ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale, Eric Besson, qui a lancé une polémique suite au propos du réalisateur. Philippe Loiret qui s'est attaché à démonter tous les discours répressifs sur l'immigration clandestine. Derrière les chiffres, la vie. Simon (interprété avec beaucoup de subtilité par Vincent Lindon) est maître-nageur à la piscine municipale de Calais. Son couple bat de l'aile. Sa femme, militante engagée auprès des réfugiés, est en train de le quitter. Bilal, adolescent kurde qui a fui Mossoul (Irak) pour échapper aux attentats, veut rejoindre sa fiancée à Londres. Unique solution : traverser la Manche à la nage. Bilal demande à Simon de lui apprendre à nager. A partir de cette intrigue simple, un ado amoureux, un quinquagénaire qui cherche à récupérer sa femme, Philippe Loiret dresse un réquisitoire sans appel contre les excès de la politique de l'immigration. Avec Simon, le spectateur découvre avec un regard neuf l'univers des clandestins, car Simon, d'abord par intérêt personnel, finit par faire sien le projet de Bilal. Kamal Hamadi : Le retour gagnant L'Algérie retrouve enfin son maestro. Hommages, spectacles, concerts, distinctions, le jeune septuagénaire effectue un retour impressionnant. Un documentaire et un livre en chantier pour retracer son œuvre. Avec plus de 2000 compositions à son actif, Kamal Hamadi, Larbi Zeggane pour l'état civil, peut se targuer d'être la mémoire vivante de la musique algérienne. D'El Hadj El Anka à Khaled, en passant par Aït Menguellet ou encore sa compagne et complice Nora, Kamal Hamadi a composé pour la plupart des artistes algériens. Au mois de décembre, la Cité de l'immigration lui a donné « carte blanche », une manière d'honorer l'homme des deux rives. Et le dénicheur de talents ne compte pas s'arrêter là. Théâtre, opérette, chansons, il n'arrête jamais de travailler. L'Algérie refait connaissance avec l'un de ses meilleurs enfants et la France distingue son apport à l'immigration. Tahar Rahim : Un grand acteur est né Il ne restera pas inconnu très longtemps. « Eblouissant, stupéfiant, magnifique », la presse a été en panne d'adjectifs pour le jeune acteur. A Cannes, il n'est pas passé loin du prix d'interprétation. A Berlin, il décroche le prix du meilleur acteur du cinéma européen. Il ne reste à Tahar Rahim qu'à confirmer à son prochain essai, car dans Un prophète, de Jacques Audiard, il frise l'excellence, pour reprendre l'expression éculée, il a crevé l'écran. Né le 4 juillet 1981 à Belfort où il a grandi dans une famille nombreuse d'origine algérienne, il a passé son baccalauréat avant de « perdre deux ans en fac de sport et de maths-informatique », selon sa propre expression. Pour son premier rôle, il a failli revenir avec la Palme de la Croisette. Il est presque content d'avoir raté le prix d'interprétation. « Il aurait été une enclume de plus dans la hotte ! » Et puis, quand je regarde l'affiche, je vois : Tahar Rahim pour la première fois à l'écran. Avec le prix, je me dirais : « Tahar Rahim, pour la dernière fois à l'écran… ». Peu de risques que cela arrive. Eric Besson : Identité nationale, le dérapage Il accumule les critiques. L'hebdomadaire Marianne n'a pas hésité à faire de lui sa couverte « L'homme le plus détesté de France ». Le ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale, Eric Besson, transfuge socialiste, cristallise autour de sa personne toutes les crispations. Le débat sur l'identité nationale voulu par Nicolas Sarkozy et mené par le ministre de l'Immigration, Eric Besson, peine à convaincre les Français et devient un dangereux déversoir. Censé répondre à une question existentielle, le débat tourne désormais autour de l'immigration et de l'Islam, avec tous les dérapages imaginables. Au lieu de ressouder les Français, il risque au contraire d'élargir le fossé entre les communautés, les musulmans se sentant plus que jamais stigmatisés. Les digues ont sauté, la haine s'est déversée. Simone Simon : La parole aux sans-voix La photo donne la parole aux sans-voix. Simone Simon est retournée dans le lieu de son enfance. Pendant près de six mois, elle s'est attachée à partager le quotidien des habitants d'une barre d'immeubles HLM promise à la démolition. A l'Ariane, banlieue nord-est de Nice, « le Saint-Pierre » se vide dans la douleur. L'Ariane était, il y a encore cinquante ans, une campagne niçoise, traversée par le paillon où coulait une eau claire, des paysans y vivaient pauvrement du profit de leur terre. Puis, le miracle de l'urbanisme a fait pousser des barres, avant que les urbanistes ne réalisent un demi-siècle plus tard l'excroissance déshumanisante. Les habitants sont principalement d'origine maghrébine et gitane. Simone Simon s'est donné pour objectif de donner la parole aux femmes et leur demander de s'exprimer sur leur vécu dans ce grand ensemble. La démolition va rayer de la carte en quelques minutes leurs habitations, les éloigner de leurs amis, de leurs habitudes, même si l'espoir d'une vie meilleure se dessine, cela reste un grand déchirement. Les entretiens sont transcrits le plus fidèlement possible en essayant de conserver la musicalité du récit oral, chaque femme y apporte un éclairage différent. Elle constate que dans les familles où le père travaille et quand son autorité est respectée, l'équilibre familial est maintenu. Les femmes seules, divorcées ou abandonnées avec des enfants sont les plus en détresse et les plus exposées ; il ne fait pas bon d'être privé de protection. Un livre poignant, juste. Les portes de Saint-Pierre, Simone Simon, Le passager clandestin Abed Azié : Omar Khayyam et Saint-Jean L'artiste est exigeant, perfectionniste. Son œuvre est iconoclaste, inclassable, intemporelle. Son monde imaginaire est peuplé de références littéraires, de mythes, de cultures anciennes, oubliées malheureusement, revigorées, grâce à lui, de spiritualité. Il est à la fois avant-gardiste et gardien d'une mémoire enfouie au plus profond de notre subconscient. C'est l'essence de la musique arabe, pas la vérité formatée pour l'oreille l'occidentale, qui se retrouve soudain presque accessible. Le désert, la mer, les montagnes du Moyen-Orient bruissent dans Omar Khayyam. Le oûd, le qanoun et le nay racontent l'histoire. Ils laissent peu de place aux adjectifs. Quand la spiritualité ne rime pas avant commerce. Qu'on se le dise, Abed Azrié, en transcendant les genres musicaux, a atteint l'universalité par la plus grande porte, celle de l'authenticité. Après s'être attaqué à un texte d'Ali Ibn Abi Taleb, il montre tout son talent, si besoin est, avec l'Evangile selon saint Jean. L'enfant d'Alep ne se satisfait pas du prêt-à-chanter. « Pour moi, un travail artistique est un détournement. Le sculpteur détourne la pierre pour en faire une sculpture. Le musicien détourne le silence pour en faire de l'écriture musicale. » Deux albums à écouter et à réécouter. Azrié Abed, Omar Khayyam et l'Evangile selon Saint Jean, DouMtak, Nocturnes Anouar Benmalek : Le Rapt, un kidnapping réussi Les histoires de haine finissent mal en général. Celle que nous offre Anouar Benmalek encore plus. Il y a du Dostoïevski chez l'auteur du Rapt, l'humour en plus. C'est un livre qu'on n'a la chance d'avoir entre les mains qu'une fois tous les dix ans. La dernière œuvre d'Anouar Benmalek est d'une rare puissance. On y pénètre hilare, on y reste le cœur serré, stressé et on en sort complètement retourné. L'écrivain algérien le plus talentueux depuis Kateb Yacine nous kidnappe dès la première page. Chaque livre de l'auteur d'Ô Maria est un événement, celui-ci est un condensé de tout son art. Il y retrouve son Algérie et nous y perd, à notre grand bonheur et malheur. Ça commence comme dans un sketch de Fellag au meilleur de sa forme (la scène de l'otage au pantalon blanc est suavement absurde). On se prend à culpabiliser de rire de nos malheurs. Et à ce jeu, Anouar Benmalek n'a pas son égal pour décortiquer la société algérienne. Les puissants et les petites gens en prennent pour leur grade. Les grandes lâchetés et les petits compromis, comme des plaies jamais cicatrisées, sont de nouveau ouvertes par un chirurgien ivre d'une Algérie prise en otage par les barbus, même ceux au visage glabre. Le Rapt, Anouar Benmalek, Fayard, 2009