En visite à Alger, l'ancien ministre français de la Culture et de la Francophonie a bien voulu répondre à nos questions. L'Expression: M. le ministre, vous déclariez tout à l'heure que le fait de remuer le passé peut avoir des conséquences tragiques. Cela a été le cas fort malheureusement, avec la polémique qui a entouré le film Hors-la-loi de Rachid Bouchareb. Quel est votre avis à ce sujet? Jacques Toubon: Pour moi, sur le film Hors- la-loi, il n y a pas de polémique. J'ai eu l'occasion de dire que c'est une oeuvre artistique, il faut le juger en tant que tel. Il y a des gens qui aimeront le film, d'autres qui ne l'aimeront pas mais ce n'est pas un documentaire historique donc, il ne faut pas le juger en tant que tel. Des harkis sont quand même venus manifester à Cannes contre le film, ce n'est pas un retour exacerbé vers le passé? Il y a eu des opinions diverses à ce sujet. Encore une fois, l'objet du film n'est pas de reconstituer l'histoire, c'est de faire un film de cinéma avec une grande mise en scène car Rachid Bouchareb a disposé cette fois-ci de moyens très importants et il développe une thèse qui est une histoire mais ce n'est pas l'«Histoire». Les mémoires c'est quelque chose comme le nom l'indique, de subjectif. Chacun ressent sa propre histoire et ce qui s'est passé, librement. Les mémoires doivent contribuer à l'histoire et non pas s'opposer à l'histoire. Il faut écrire l'histoire telle qu'elle a été et qu'elle soit écrite par des historiens mais ça n'empêche pas, par ailleurs, que chacun peut ressentir les choses librement. Quand on écrit une vraie histoire de l'émigration, on arrive peu à peu à réconcilier les mémoires même lorsque celles-ci étaient opposées au départ. Il ne faut pas que des mémoires forcément subjectives ou qui s'opposent, empêchent d'écrire une histoire car, sur le même évènement il y a une seule histoire mais cette histoire il faut qu'elle soit écrite de manière pluraliste parce que bien entendu, si l'histoire semble être le point de vue de l'un ou le point de vue de l'autre, elle ne sera pas admise par l'autre. Elle deviendra encore une fois une mémoire c'est-à-dire quelque chose de subjective et sujette à caution.. Vous êtes aujourd'hui secrétaire général du Cinquantenaire des indépendances africaines. Vous avez annoncé récemment, la tenue le 13 juillet prochain à Paris, d'une réunion regroupant le chef de l'Etat français et ses homologues de 14 pays africains ayant accédé à la souveraineté en 1960. Aussi, peut-on connaître comment va se traduire la célébration de ce cinquantenaire et son programme? C'est un héritage, 50 ans après l'indépendance de ces pays, il faut l'expliciter, il faut en particulier revenir sur l'histoire et comme je l'ai déjà dit sur l'histoire coloniale de la France, à partir de là, cet héritage il ne faut pas le garder comme du passé. Il faut en faire un capital pour l'avenir. L'Afrique et, notamment l'Afrique noire est très certainement un continent de l'avenir, un endroit du monde où l'avenir du monde se jouera dans les 20, 30 ou 40 prochaines années. Car c'est là où il y aura des hommes, des terres, et des ressources et si l'Afrique trouve, notamment avec le soutien de l'Europe et de la France, un modèle de développement durable c'est-à-dire d'une croissance qui ne soit pas la copie de la révolution industrielle, du XIXe siècle, ou de ce qu'ont fait la Chine et l'Inde depuis 20 ans, à ce moment-là l'Afrique, va tenir une place essentielle dans le monde. Ce que nous disons, nous, est que ce cinquantenaire c'est en quelque sorte à travers ce que chacun des pays va faire pour le célébrer - le Sénégal a commencé le 4 avril - à travers ce que nous allons nous aussi faire, c'est-à-dire les 13 et 14 juillet, à travers des colloques, des rencontres, des événements culturels, essayer de faire en sorte que cette relation soit explicitée, qu'elle soit tournée vers l'avenir et encore une fois qu'elle devienne un capital qu'on investit dans l'avenir. Parce que je crois que de la même façon qu'il y a eu dans le passé une histoire partagée, il y a - j'y crois profondément - un avenir commun entre la France et certains pays africains. Pour rebondir sur ce que vous avez dit encore une fois, notamment sur les droits et devoirs de chacun et le respect des lois de la République, un reportage diffusé il y a quelques mois sur Tf1 a soulevé un tollé. Il était question, notamment d'une famille salafiste qui ne reconnaît de croyance que la religion c'est-à-dire l'Islam et donc pas les lois de la République. Quel est le sort de ces Français ou musulmans de France, eux-mêmes issus de l'immigration? Ils ont tort! En France il n'y a qu'une seule loi, c'est la loi de la République, c'est la Constitution. Il est évident qu'on ne peut pas appliquer d'autres lois à la fois aux individus et aux groupes. Mais je pense que ce n'est pas une question. Aucune société ne peut fonctionner s' il n'y a pas une loi générale qui est celle votée par les institutions démocratiques, s'il n y a pas pour chacun de ceux qui vivent dans le pays, d'admettre que chacun a des droits et des devoirs en même temps et que personne enfin ne détient la vérité. La laïcité c'est justement la neutralité de l'Etat par rapport à toutes les religions et la liberté de pratiquer le culte ou la pensée qu'on veut. Alors qu'en est-il pour le polygame, M.Hebbaj, qui a défrayé la chronique, récemment en France, si vous dites que vous respectez les pratiques du culte d'autrui. La polygamie est interdite par la loi en France. Le Code civil ne reconnaît pas la polygamie.