Dans une lettre publiée cette semaine sur les réseaux sociaux intitulée «Pourquoi je décline l'invitation du Festival national du théâtre professionnel», le professeur Ahmed Cheniki, l'un des plus grands spécialistes du théâtre en Algérie et en Afrique, dresse un constat accablant de la gestion de l'activité théâtrale et culturelle dans le pays. «L'entreprise théâtrale, traversée par les multiples scories de décisions administratives souvent en porte-à-faux avec la réalité, a déjà, depuis de nombreuses années, connu ses limites», explique-t-il aux organisateurs. La crise du théâtre en Algérie est avant tout une crise de gestion. Elle tire ses origines du fameux «manifeste du théâtre algérien» publié en 1963 par Mustapha Kateb et Mohamed Boudia. Démagogique, populiste, voire liberticide, ce manifeste d'orientation «soviétique» a marqué d'une façon indélébile la gestion de l'activité théâtrale en Algérie. Ses concepteurs, respectivement premier directeur et conseiller technique du TNA, en portent une grande part de responsabilité dans la gouvernance déliquescente de l'activité théâtrale, jusqu'à nos jours. Après une période de gestion sans statut jusqu'à 1970, appelée en management «flou dès la naissance», qui favorise une évolution non durable des activités théâtrales, l'administration a opté pour le statut EPIC (Etablissement public à caractère industriel et commercial) pour gérer le TNA ainsi que les théâtres régionaux. Importé aveuglément de France, ce statut, censé protéger l'entreprise culturelle de la concurrence dans un contexte d'économie de marché, a eu, dans un contexte d'économie administrée, des effets catastrophiques. Il s'appuie sur la triade indissociable : gestion commerciale, contrôle des financeurs publics et reconnaissance du but non lucratif. Mais au moment où un semblant d'économie de marché se dessinait en 1990, l'Etat s'est désengagé pour amputer le statut EPIC de l'un de ses fondements, celui de la reconnaissance du but non lucratif. Et au moment où l'Etat a repris le subventionnement des théâtres publics à partir de 2000, la gestion commerciale et le contrôle financier ont été abandonnés ! Ainsi, les théâtres publics en Algérie, censés tirer la création théâtrale vers le haut, ne respectent pas dans leur gestion la triade. Ils continueront dans ce cas d'être malmenés par des phénomènes économiques puissants, et par conséquent, à faillir à leur mission de service public.