La chaleur familiale, autour d'un kanoun bien de chez nous, fait revivre de la nostalgie chez bon nombre d'anciens. Avec le retour des premiers flocons de neige, El Hadj Aïssa Ourici, un ancien montagnard des hautes cimes des Bibans, se surprend à évoquer, non sans une pointe de nostalgie, les veillées familiales d'antan autour du kanoun (brasero), qui ont bercé son enfance. La vie douillette qu'il mène aujourd'hui en ville, avec tout le confort qu'apporte le gaz naturezl, le climatiseur et bien d'autres commodités qui relevaient, il n'y a pas si longtemps, du conte de fées, n'est pas arrivée à chasser de sa mémoire cette chaleur si particulière des veillées familiales des années 1950 et 1960 autour du kanoun, où crépitaient des bûches de chêne ou d'olivier et les flammes qui dansaient langoureusement dessinant des ombres chinoises sur les murs, comme des amis invisibles qui viennent réclamer leur part de chaleur ou écouter le conte raconté par la voix apaisante de la grand-mère. Combien de fois il a écouté, sans se lasser, ces bons vieux contes qui relataient de sublimes histoires et des récits du terroir comme La vache des orphelins (Bagrat litama) ou les histoires pleines d'humour caustique de Djeha. Il y en avait aussi qui narraient la vie du Prophète Mohamed( QLSSL) et de ses compagnons, notamment Sidna Ali, le cousin et gendre du Prophète et ses épopées guerrières contre le mal et les ennemis de Dieu. L'épée à deux pointes, qui faisait la réputation de ce preux chevalier, fascinait l'imagination des enfants qu'enchantaient aussi les aventures de l'intrépide Antar Ibn Cheddad. Les ruses de Djeha, cet incontournable donneur de leçons, par la dérision populaire, personnage mythique du folklore traditionnel maghrébin et arabe, « faisaient tordre de rire les enfants candides que nous étions », se souvient le vieux Aïssa. « Ces veillées autour du kanoun par des nuits neigeuses et froides me ramènent, ajoute-t-il, à l'époque où toute la grande famille (père, mère, oncles, frères et sœurs) dormait dans la même pièce, sur une grande natte en alfa (h'sira) et se couvrait avec les mêmes ‘'henbel'', ces grandes couvertures en laine tissées par les femmes de la maison. A cette époque, se souvient El Hadj Aïssa, la relation familiale était quasi "charnelle", car la vie commune et le partage étaient poussés à l'extrême et on mangeait dans la même assiette et dormait côte à côte sur la même natte. C'était l'époque, dit-il, où la vie était simple mais dont le goût était bien plus savoureux que celui, souvent factice, des plaisirs d'aujourd'hui ». En ces temps « à la fois si proches et si lointains, un simple repas, fait d'une galette d'orge trempée dans l'huile d'olive et accompagnée de figues ou de dattes sèches, était un régal car l'altitude aiguisait les appétits et les gens vivaient dans un tel dénuement qu'ils ne pouvaient parfois s'offrir que de tels repas frugaux », se rappelle El Hadj Aïssa Ourici, un moudjahid de la commune d'El Kolla, située au nord de la wilaya et nichée à flanc de montagne comme tous les villages kabyles de la région. Pour les vieux montagnards, « ce temps est bien révolu, cette intimité familiale autour d'un feu à l'intérieur de la maison est bien finie, en même temps qu'ont disparu le tissage de la laine, la confection à la manière traditionnelle des couvertures, des burnous et de la kachabia qui étaient la seule occupation des femmes pendant les longs et rudes hivers de la région ». Cela dit quelqu'un s'aviserait-il, aujourd'hui, à toucher aux postes de télé ?