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L'hégémonisme de l'ANEP sur la publicité institutionnelle : Un monopole en marge de la loi ?
Publié dans El Watan le 24 - 11 - 2014

Le mécontentement des parties lésées par ce monopole, notamment la presse privée, a été exacerbé par des déclarations de responsables du secteur de l'information selon lesquelles seule l'ANEP est autorisée à gérer la publicité des annonceurs publics. Ce monopole est-il légal au vu des textes législatifs et réglementaires régissant les activités commerciales, notamment l'activité en rapport avec la publicité ? Pour répondre à cette question, il faudrait remonter à l'origine de la création de l'ANEP et au contexte dans lequel a été institutionnalisé le monopole sur la publicité commerciale.
Nous verrons que si l'objectif affiché par les pouvoirs publics, depuis l'instauration du pluralisme politique et son corollaire, le système du libre marché, est la suppression de tout monopole en matière économique et commerciale, certains secteurs résistent encore à cette ouverture.
Le plus emblématique est celui de la publicité institutionnelle qui reste régie par une pratique monopolistique qui est devenue aujourd'hui non seulement obsolète, mais contraire à la loi.
L'ANEP a été créée par une ordonnance portant le n°67-279 en date du 20 décembre 1967, c'est-à-dire à l'époque où régnait le système socialiste et où l'Etat monopolisait tous les secteurs de l'économie. Il va sans dire que ce monopole était somme toute logique et ne soulevait aucune réserve d'ordre juridique puisque c'était le système socialiste qui était en vigueur. Cette ordonnance reconnaissait à l'ANEP le statut d'établissement public à caractère économique et commercial, doté de la personnalité morale et de l'autonomie financière, placé sous la tutelle du ministre de l'Information. Quant aux modalités de fonctionnement et d'organisation de cette agence, elles ont été précisées dans ses statuts annexés à cette ordonnance.
A côté de la promotion, de la prospection et de la diffusion de la publicité par tous les supports et moyens, l'ANEP, comme son non l'indique, a aussi pour objet l'édition dans son acception la plus large, notamment l'édition de revues, d'ouvrages et de bandes sonores à caractère ou à financement publicitaire.
Cette ordonnance et les statuts qui y sont annexés ne prévoyaient pas expressément le monopole de l'ANEP sur la publicité émanant des annonceurs publics ; c'est une autre ordonnance, datée du 2 décembre 1986, qui posa le principe du monopole de l'Etat sur la publicité commerciale et confia à l'ANEP l'exercice de ce monopole sur tout produit ou service.
En 1986, une réforme aux répercussions juridiques et judicaires importantes, bien que n'ayant aucun effet sur le monopole exercé par les entreprises publiques, a été initiée. Il s'agit du décret n°86-283 en date du 2 décembre 1986 déjà mentionné, qui pose, dans ses visas, le principe que conformément aux nouvelles dispositions constitutionnelles, la création, l'organisation et le fonctionnement des établissements et entreprises publiques ne relèvent plus du domaine législatif, mais sont du ressort du domaine réglementaire. Après avoir posé ce principe, ce décret abroge l'ordonnance du 20 décembre 1967 et réorganise le fonctionnement et les missions de l'ANEP pratiquement dans les mêmes termes que ceux de l'ordonnance abrogée. Le principe du monopole de l'ANEP a été maintenu.
Ce décret ouvre la voie à d'éventuels recours devant le tribunal administratif ou devant le Conseil d'Etat au cas où un texte réglementaire créant ou régissant une entreprise publique (décision ministérielle, arrêté, décret) a été pris en violation de la loi, sachant qu'un texte législatif (loi organique, loi, ordonnance) ne peut faire l'objet d'un tel recours.
Dans le sillage des réformes économiques initiées à la fin des années 1980 et en application des dispositions de la nouvelle Constitution du 23 février 1989, il a été mis fin au monopole exercé par les anciennes entreprises socialistes à caractère économique. C'est ainsi que le décret n°88-201 du 18 octobre 1988 abrogea toutes les dispositions réglementaires conférant à ces entreprises l'exclusivité d'une activité ou le monopole de la commercialisation. Logiquement et juridiquement, toutes les entreprises qui exerçaient un monopole sur un segment économique, y compris le secteur publicitaire, auraient dû perdre automatiquement ce monopole. L' ANEP ne devait plus, à partir de cette date, monopoliser la gestion des budgets d'annonces publicitaires des annonceurs publics.
Pourquoi alors, ce monopole exercé par l'ANEP perdure-t-il encore jusqu'à ce jour ?
Il est très probable que les responsables du secteur tirent leur réticence à l'ouverture de la publicité institutionnelle à tous les opérateurs sans exclusive d'un décret en date du 9 août 1993 publié au Journal officiel du 15 août 1993. Ce décret, bien que promulgué après celui du 18 octobre 1988 interdisant le monopole commercial, a bien réinstitutionnalisé le monopole de L'ANEP sur la publicité des annonceurs publics puisqu'il stipule expressément que «la gestion opérationnelle des budgets d'annonces publicitaires des annonceurs publics est confiée de façon exclusive à l'ANEP».
Le problème est que ce décret est devenu caduc à la date du 16 août 1996 et n'a plus aucune valeur juridique puisque son article 1 énonce expressément que ses dispositions sont transitoires et n'ont d'effet que pour une période de trois ans.
A l'époque, pour éviter un probable recours devant le Conseil d'Etat contre ce décret, recours qui aurait débouché inéluctablement sur son annulation pour violation de la loi et pour excès de pouvoir, le gouvernement a pris soin de contourner ce risque en insérant dans la loi de finances pour 1993 un article (l'article 116) qui maintient le monopole sur la publicité institutionnelle par l'ANEP pour une période provisoire de trois ans.
Si le texte inséré dans la loi de finances mettait ce décret à l'abri de tout recours judiciaire puisque s'agissant d'un décret pris en application d'une disposition législative, il n'en est plus de même aujourd'hui, le délai de trois ans étant expiré.
Si tel est l'état de la législation nationale qui interdit désormais tout monopole commercial, notamment le monopole sur la gestion des budgets d'annonces publicitaires des annonceurs publics, se pose alors la question de l'application de ce principe tant par les pouvoirs publics que par les entreprises publiques détentrices de monopoles.
Pour la question qui nous concerne, peut-on juridiquement obliger l'ANEP ou sa tutelle, en l'occurrence le ministère de l'Information, à mettre un terme au monopole exercé sur la publicité institutionnelle et à appliquer la règle de la libre concurrence ? La réponse ne peut être que positive. Il faut d'abord signaler que la question du monopole ou de la concentration d'une activité commerciale entre les mains d'un opérateur économique fait l'objet, en droit comparé, d'une jurisprudence très dense qui tend vers la condamnation de telles pratiques, des pratiques qui sont censurées soit par la juridiction commerciale quand le monopole est exercé par une entreprise de droit privé, soit par le tribunal administratif ou le Conseil d'Etat au cas où c'est un texte réglementaire qui institue ce monopole.
En Algérie, les mêmes principes juridiques et jurisprudentiels s'appliquent. Mieux encore, le législateur algérien a créé une institution (le Conseil de la concurrence) à qui sont dévolus, comme nous le verrons, de très larges pouvoirs pour faire cesser tout abus d'une situation issue d'une position monopolistique sur un marché ou un segment de marché.
Tout d'abord, comme déjà souligné, depuis le 16 août 1996 et beaucoup plus depuis la promulgation de l'ordonnance du 25 janvier 1995 relative à la concurrence, toute entreprise privée ou publique qui exerce de fait ou de droit un monopole sur une activité commerciale ou toute décision ou acte administratif, quelle que soit sa nature, contenant des dispositions instaurant ce monopole, est susceptible de sanction ou de nullité. Cette sanction peut être prise soit en vertu d'un recours ou d'une action en justice introduite, suivant les cas, devant le tribunal commercial, le tribunal administratif ou le Conseil d'Etat, ou en vertu d'une plainte pénale devant le tribunal correctionnel.
S'agissant du monopole sur la publicité institutionnelle exercé par l'ANEP, il n'y a aucun doute qu'on se trouve devant un cas flagrant de monopole et de concurrence déloyale puisque l'agence détient l'exclusivité absolue de la distribution des annonces publicitaires des annonceurs publics, ce qui fausse la libre concurrence et constitue une violation de la loi, en l'occurrence la violation du décret 88-201 du 18 octobre 1988, mais surtout une violation des dispositions de la loi relative à la concurrence notamment la violation de l'article 1 qui interdit les pratiques anticoncurrentielles tendant à restreindre ou à fausser le jeu de la libre concurrence ou à limiter l'accès à un marché.
Une action en justice tendant à faire cesser cette pratique ne peut qu'aboutir du point de vue du droit. Par ailleurs, en sus des actions judiciaires qui pourraient être intentées par l'organe de presse écrite ou audiovisuelle à l'effet de faire cesser le monopole exercé par l'ANEP, une autre procédure tendant aux mêmes fins a été prévue par l'ordonnance relative à la concurrence. En effet, cette ordonnance reconnaît au Conseil de la concurrence, qui est opérationnel depuis le mois de janvier 2013, le pouvoir de sanctionner ou de faire cesser toute pratique monopolistique. Le monopole exercé par l'ANEP relève de cette procédure.
Il faudrait donc à l'organe qui s'estime lésé par ce monopole saisir le Conseil de la concurrence, suivant la procédure de saisine en vigueur, sachant que la décision de cette institution doit intervenir dans un temps relativement court ne dépassant pas les 60 jours.
Au vu des éléments du conflit opposant certains organes de presse qui se sentent lésés par le monopole exercé par l'ANEP et au vu des décisions expresses ou tacites émanant de la tutelle dont relève cette agence, qui tendent à conforter le bien-fondé de ce monopole, et compte tenu des lenteurs des recours ou des actions judiciaires, il serait préférable d'opter pour la saisine du Conseil de la concurrence à l'effet de trancher le litige et, à l'occasion, permettre à cette institution de donner son avis sur la légalité de ce monopole.
Juridiquement, la solution au litige est évidente puisqu'on se trouve devant un cas d'école en matière d'exercice d'une activité commerciale monopolistique que la loi interdit et réprime. Il restera, en tout état de cause, le recours devant la cour d'Alger contre la décision rendue par le Conseil de la concurrence au cas où cette décision ne satisfait pas l'une des parties.
Cette cacophonie en matière de gestion de la publicité institutionnelle interpelle plus que jamais le législateur, qui doit intervenir en promulguant une loi sur la publicité qui doit être conforme à la Constitution et aux lois fondamentales du pays qui, toutes, consacrent le principe de la libre concurrence dans le domaine économique. Et il serait plus juste et plus conforme à l'Etat de droit que cette loi évite toute discrimination entre les opérateurs économiques. Le choix de l'organe servant de support à la publicité serait alors laissé à l'appréciation des annonceurs publics concernés, sans aucune ingérence de l'autorité administrative.


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