Cela est l'œuvre de deux Algériens, deux patriotes, une femme et un homme, dont le militantisme pour l'indépendance de leur pays est des plus exemplaires. Salima Sahraoui Bouaziz, aujourd'hui neurologue, fut permanente de l'OS de la Fédération de France du FLN, adjointe de Rabah Bouaziz de 1957 jusqu'à l'indépendance. Ce dernier fut commissaire politique de la Wilaya IV historique en 1956, puis membre du comité fédéral de la Fédération de France du FLN, responsable de l'action armée et du renseignement de 1957 à 1962. Dans l'Algérie indépendante, il avait exercé plusieurs responsabilités, entre autres député, préfet d'Alger, avocat au barreau d'Alger. Il est décédé à Alger en 2009. Outre la présentation signée Ferhat (Belkacem Benyahia), le livre est composé de quatre chapitres qui traitent de thèmes, plutôt de faits graves et signifiants : «La naturalisation», «la résistance au service dans l'armée française», «la prostitution» et enfin «l'émigration et le mariage mixte». Salima Sahraoui écrit dans la présentation de la réédition que l'initiateur du livre était Rabah, qui l'avait associée à son élaboration en 1960-1961, au cours de la guerre de Libération nationale. Elle ajoutera : «L'essentiel de L'aliénation colonialiste a été écrit dans le calme d'un studio au dernier étage d'un immeuble dans l'avenue de Versailles à Paris, que Abderrahmane Farès avait mis à notre disposition. Cette ‘‘planque'' dans un ‘‘beau quartier'', providentielle de discrétion et de tranquillité pour nous qui logions habituellement dans des chambres de bonne, n'était connue que de l'adjoint de Rabah, le militant exemplaire Nacereddine Aït Mokhtar, professeur de médecine dans l'Algérie indépendante, hélas disparu.» Mais dans quel but ou pour quelle optique a été écrit ce livre ? «L'intense campagne diplomatique du FLN à travers le monde auprès des personnalités influentes, des chefs d'Etat et des populations des pays amis s'inscrivait dans la perspective des prochaines assises de l'ONU consacrées au règlement du problème algérien. Notre motivation, Rabah et moi, en tant que patriotes engagés, était de participer à cette campagne. Tout en informant nos militants émigrés, nous voulions éclairer nos amis étrangers, les médias et les opinions publiques sur la riposte des familles algériennes permanentes, lourde de sacrifices, aux agressions et manœuvres incessantes de dépersonnalisation organisées contre notre population par l'administration et l'armée coloniales», indiquera-t-elle. De larges extraits du manuscrit avaient paru dans les numéros 182 et 183 en juin et juillet 1961, de la revue Les Temps modernes grâce à Jean-Paul Sartre, avant sa publication par Nils Andersson, signé Saâdia et Lakhdar. De 1830 à 1962, il n'y a eu que la violence, toute la violence, rien que la violence. La colonisation a été jalonnée de massacres, d'enfûmades, de liquidations collectives et individuelles, et autres tortures mortelles ; elle l'a été aussi de l'autre violence, non moins mortelle, celle d'une politique perverse, immorale, exercée sur la population algérienne. Salima Sahraoui dit avoir déchanté en découvrant «avec tristesse», lors de son travail de recherche, que même de «grands hommes» français du XIXe siècle, réputés humanistes, démocrates, penseurs «universels», tels que Jules Ferry, mais surtout le vertueux Victor Hugo (idole de programmes de français au primaire), qu'elle avait admiré jusque-là comme le défenseur du pauvre et de l'exploité, avaient souhaité l'extermination des Algériens par les troupes coloniales. Voici ce qu'écrivait Hugo dans Le Rhin en 1842 : «Chose étrange et bien vraie pourtant, ce qui manque à la France en Algérie, c'est un peu de barbarie. Les Turcs allaient plus vite, plus sûrement et plus loin ; ils savaient mieux couper les têtes. La première chose qui frappe le sauvage, ce n'est pas la raison, c'est la force.» Ah, le grand Hugo des Misérables rattrapé par l'histoire !