Autrefois considéré comme un produit bas de gamme ne trouvant grâce qu'aux yeux des habitants des campagnes, avant de disparaître presque complètement des habitudes de consommation, le « pain noir » ou encore le pain complet trouve, aujourd'hui, partout des adeptes pour le déguster et des boulangers pour le préparer. L'invasion des fours rotatifs, qui ont inondé les boulangeries de baguettes de pain croustillantes, semble avoir fait son temps face à ce retour remarqué du bon vieux pain de campagne. Ils sont, en effet, de plus en plus nombreux ces Algériens, sous le conseil express des nutritionnistes ou des médecins, à délaisser peu à peu le pain dit « blanc » au profit du pain « noir », que l'on prépare généralement avec du froment complet de blé dur, d'orge, de seigle ou de son (sans extraction de l'enveloppe du grain), ce qui lui donne son teint sombre et son nom. Le pain complet, qui se distingue notamment par sa riche teneur en fibres et en sucres lents, est recommandé par les spécialistes pour ses valeurs nutritionnelles et pour ses bienfaits sur la santé des personnes fragiles. Aussi, de nombreuses personnes, surtout les plus âgées ou celles observant un régime alimentaire, le préfèrent de nos jours au pain « blanc », préparé avec de la farine panifiable, extraite du blé tendre, mais qui reste encore un aliment de base pour la plupart des familles algériennes et des enfants, dont les estomacs, encore fragiles, « pourraient être irrités » par les fibres du pain complet, selon un meunier employé dans une entreprise spécialisée en produits de boulangerie. La demande est tellement importante que certains amateurs de ce type de pain l'ont appris à leurs dépens, puisqu'ils doivent dorénavant se lever tôt pour espérer trouver leur ration journalière de pain d'orge chez son boulanger habituel. Sinon, le pain d'orge ou de blé se prépare en galette cuite traditionnellement dans un tadjine sur une tabouna (réchaud à gaz bas). C'est d'ailleurs à ce type de cuisson que recourent actuellement nombre de femmes aux foyers, dans les campagnes ou dans les villes, pour préparer de la galette d'orge, de blé ou de semoule de blé dur qu'elles cèdent à des commerçants dépositaires qui les revendent entre 20 et 30 DA l'unité. L'activité est apparemment tellement lucrative que de petites boulangeries spécialisées ont même vu le jour dans certains quartiers de la capitale. Ce regain d'intérêt pour tous les pains traditionnels fait d'ailleurs regretter à nombre d'anciens boulangers la destruction de leurs fours à dalles et leur substitution par des fours rotatifs. Car « si ces derniers leur permettent de produire en quantité, les premiers leur permettent de diversifier leurs produits et d'obtenir un pain de meilleure qualité », déplore notamment un boulanger qui s'est empressé de substituer un four rotatif à son vieux four traditionnel, mais qui envie aujourd'hui un autre boulanger qui a gardé le sien et qui se targue d'achalander sur ses étagères toute une variété de pain sentant le bon froment, alors que lui ne peut offrir que sa baguette moderne. Il le regrette d'autant plus que tout le monde trouve aujourd'hui plaisir à... « manger son pain noir » mais pour la bonne cause, celle des goûts qui flattent le palais et, surtout, de l'inestimable capital santé.