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« Les grands projets souffrent de l'absence de transparence et d'information sur les coûts et les délais » Abdelhak Lamiri. Economiste, spécialiste en management
Est-il possible, selon vous, d'espérer une meilleure gestion des grands projets par l'élaboration d'un simple guide de management ? L'élaboration de procédures, de principes et de directives sous forme de guide est un pas dans la bonne direction. C'est une première opération qui ne devrait pas se limiter à cet aspect, car il demeure nettement insuffisant pour améliorer le processus de management des grands projets. La gestion de projets est un métier à part entière. Elle ne peut être confiée à des personnes sans formation et expérience suffisantes. Nous avons attiré l'attention sur ce point il y a bien longtemps. Il faut savoir qu'aucune université, aucun institut n'offre des formations longues diplômantes en gestion de projets, alors que les plans de relance et d'appui à la relance proposent d'en réaliser des milliers. Nous n'avons ni licence ni mastère en gestion de projets. C'est une lacune que l'on paye très cher aujourd'hui. Le management des projets a ses propres outils qui touchent tous les aspects : finances, ressources humaines, organisation du travail, audit qualité, reporting, etc. Normalement, un ingénieur d'Etat, qui a une expérience de chantier, doit subir une formation de deux ans à temps plein pour maîtriser les outils de base et commencer à gérer les petits projets. Avec plus d'expérience et de résultats mesurés sur le terrain, il accède à la gestion de projets de plus en plus importants. Si ces derniers sont menés par des firmes étrangères, il doit être en mesure de réaliser un transfert de savoir-faire. Il est inadmissible, par exemple, que la seconde autoroute soit encore réalisée par des firmes étrangères. Quelles sont, d'après vous, les incohérences constatées dans la conduite des grands projets en Algérie ? Nous avons plusieurs types d'infrastructures. Certaines auront des effets économiques, comme l'autoroute ou les barrages. Mais nous avons exagéré le développement des infrastructures au détriment de l'amélioration qualitative des ressources humaines, de la PME et de l'amélioration institutionnelle. Les avantages sont nombreux tout comme les lacunes. En ce qui concerne ces dernières, nous pouvons citer, en premier lieu, la faiblesse du transfert de savoir-faire : on continue toujours à faire réaliser nos infrastructures importantes alors qu'on aurait pu forcer un transfert de savoir-faire au profit de nos entreprises publiques et privées ; nous aurions alors pour le second plan plus de 90% des réalisations qui seraient purement nationales. En second lieu, il sied de mettre en évidence l'absence de transparence et d'informations sur les coûts et les délais en comparaison avec les pays avancés et à revenu moyen. La comparaison force les entreprises nationales et internationales à réaliser en Algérie, selon le rapport qualité/prix mondial. A cela s'ajoute la faiblesse des cultures d'audit. En votre qualité d'expert en management, vous êtes-vous intéressé aux retards enregistrés dans la réalisation des projets et aux surcoûts que cela implique ? J'ai dirigé des thèses de doctorat d'Etat qui se sont penchées sur ce problème. Malheureusement, il y a une séparation trop importante entre l'université et le monde des affaires dans notre pays. Il faut savoir que partout dans le monde, c'est le système universitaire qui innove, crée et aide les entreprises et les institutions à s'améliorer technologiquement et managérialement. Aucun pays au monde n'a pu accéder au développement et devenir compétitif au niveau mondial avec un système universitaire en retard. Mes constatations sont les suivantes : lorsque dans un pays, les outils management scientifique et technologique (TIC) sont peu mis à contribution le pays subit des retards immenses en termes de compétitivité mondiale. Le même phénomène se produit lorsqu'on analyse le management des projets. Faut-il s'étonner de voir des surcoûts et des retards lorsque le management des projets n'est pas enseigné et demeure très peu pratiqué ? Ce sont ces considérations qui nous ont emmenés à produire des recommandations très différentes du reste de la communauté économique. La puissance d'un pays repose sur les qualifications et la motivation de ses ressources humaines, l'utilisation de la science et la technologie, l'entrepreneurship et l'organisation économique globale. S'il y a des défaillances à ce niveau, l'injection de ressources ne produit que des résultats dérisoires. Il faut donc corriger ces aspects pour avoir des résultats probants dans tous les domaines, y compris le management des projets. Terminons par une note optimiste. De nos jours, les phénomènes de rattrapage technologiques et économiques sont rapides. Sous réserve d'une bonne gouvernance, on peut en quelques années, en changeant de priorité, rattraper les retards en technologie et en management. Alors, on parlera très peu du management de projets.