En fonction depuis une année en Algérie, l'ambassadeur de Turquie, Ercümend Ahmet Enç, essaye de donner un nouveau souffle aux relations algéro-turques qu'il souhaite vivement voir s'intensifier. Il exprime sa conviction dans cet entretien que les échanges vont augmenter davantage avec la signature d'un accord de libre-échange qu'il estime nécessaire. Mais force est de constater que le secteur de l'énergie est le seul lien concret entre les deux pays. Comment voyez-vous les relations algéro-turques actuellement ? Les relations algéro-turques sont excellentes. La dernière visite du président de la République, Abdelaziz Bouteflika, le démontre bien. Nous avons déjà planifié les visites d'au moins sept ministres. Quatre ministres algériens vont aller en Turquie et trois ministres turcs vont venir ici en Algérie en visite officielle jusqu'à fin 2005. Nous attendons aussi une visite très importante de notre Premier ministre qui devrait avoir lieu en septembre. Donc, au niveau politique, il y a une consultation permanente entre les hauts responsables des deux pays. Au niveau militaire, il y a des visites de très haut niveau des chefs d'état-major au moins une fois par an depuis quelques années. Et sur le plan économique, on constate les visites des hommes d'affaires turcs et des ministres chargés des questions économiques. Nous avons, par ailleurs, une commission mixte permanente qui se réunit chaque année. Les chiffres démontrent que les relations économiques se développent de jour en jour. Pour ce qui est du commerce bilatéral, le volume a atteint deux milliards de dollars l'année dernière. Nous espérons atteindre 3 milliards de dollars en 2005. Mais on ne compte pas en rester là. Nous voulons arriver à quatre, cinq, voire dix milliards de dollars. Les potentialités des deux pays montrent qu'on peut aller au-delà des deux milliards. Nos relations culturelles aussi se développent. Personnellement, je vais organiser au moins trois manifestations culturelles d'ici à la fin de l'année à Alger. Nous avons aussi un protocole pour restaurer la nouvelle mosquée de la citadelle d'Alger. Nous allons former les restaurateurs et les architectes algériens pour des projets futurs tels que La Casbah ou le palais du Dey à Constantine et celui d'Oran et d'autres sites de l'époque ottomane en Algérie. Pour consolider leurs relations, l'Algérie et la Turquie préparent la signature d'un traité d'amitié et de coopération. Qu'en est-il au juste ? Le traité d'amitié et de coopération est une proposition du président de la République Abdelaziz Bouteflika. Il a affirmé dans les différents entretiens qu'il a eu dans le cadre de sa visite officielle en Turquie que nos relations doivent se développer dans tous les domaines. Il faut donc un traité qui va englober tous ces domaines et que la prise de décision soit rapide et efficace pour mettre en œuvre toutes les décisions. Nous allons recevoir bientôt un projet de texte de nos amis algériens et nous allons l'étudier. Nous espérons terminer les négociations d'ici à septembre et de le faire signer lors de la visite du Premier ministre turc à Alger et de faire en sorte que tous les textes soient prêts au mois de septembre. La Turquie insiste aussi pour la signature d'un accord de libre-échange. On sent que du côté algérien, il y a des réticences pour la signature d'un tel accord... Moi, je n'ai pas la même impression. Franchement, il est vrai que cette proposition ne date pas d'aujourd'hui. Nous avons déjà fait la proposition en 2001 au gouvernement algérien pour la signature d'un accord de libre-échange. Nous avons fait une telle proposition car nous avons un accord d'association avec l'Union européenne (UE) et à partir du mois d'octobre de l'année en cours, nous allons entamer les négociations pour devenir un membre à part entière de l'UE. Aussi, l'accord d'association entre l'Algérie et l'UE prévoit la signature d'un accord de libre-échange avec la Turquie qui est un partenaire de l'UE. Nous avons fait savoir à nos amis algériens au moment où l'Algérie a paraphé l'accord d'association qu'il fallait commencer les négociations. Cet accord n'a pas été encore ratifié par le Parlement. Une fois cette procédure faite, il faut absolument que soit signé un accord de libre-échange avec la Turquie tel que prévu. Nous avons déjà soumis un projet de texte récemment pour dire qu'il faut que les deux accords entrent en vigueur en même temps. J'ai l'impression que nos frères algériens ont accepté ce principe. On va prochainement commencer à négocier. L'accord d'association avec l'UE prévoit une période de deux mois avant d'entrer en vigueur. C'est durant cette période que nous négocierons pour que l'accord de libre-échange entre en vigueur en même temps sinon un peu avant ou un peu après. Sinon cela sera contre la logique de l'espace économique. C'est pour cela que nous avons essayé d'expliquer au gouvernement algérien que quand les Tunisiens ont signé l'accord d'association avec l'UE mais pas avec la Turquie, tous les investisseurs turcs ont quitté la Tunisie. Donc, pour qu'il y ait vraiment des investissements turcs en Algérie et pour mettre fin au trafic de marchandises dans l'espace économique européen, il faut qu'il y ait un accord de libre-échange avec l'Algérie. Moi, je suis très optimiste. Vous avez, donc eu des assurances de la part des officiels algériens pour la signature d'un tel accord... Ce que je voulais dire, c'est que nos frères algériens ont admis qu'un accord de libre-échange avec la Turquie est indispensable à partir du moment où l'accord d'association avec l'UE entre en vigueur. C'est une question de temps. Des réticences ont disparu. Et puis ce que j'ai essayé d'expliquer aux autorités algériennes depuis mon arrivée il y a une année, c'est que l'accord de libre-échange avec la Turquie ne sera pas un simple accord de libre-échange. Nous avons des relations économiques basées sur le libre-échange depuis les années 1980 avec les pays européens. Nous avions déjà signé un accord d'association avec l'UE en 1963. Durant les années 1980, on avait terminé la phase préparatoire et la libre circulation des marchandises avait commencé. Et dans les années 1990, plus exactement en 1996, l'union douanière a été instaurée entre la Turquie et l'UE. Maintenant, toutes les marchandises qui arrivent sont en libre circulation entre la Turquie et les pays de l'Union européenne. C'est le cas aussi des services. L'intérêt des opérateurs turcs pour le marché algérien est grandissant. Cela va-t-il se traduire par des investissements ? L'intérêt des opérateurs turcs n'est pas suffisant. Ils ont redécouvert l'Algérie. Depuis 1830, je dis bien 1830, nos relations n'ont jamais été aussi bonnes. Depuis 1962, nos relations étaient bonnes mais pas profondes. Il n'y avait pas de visites réciproques et nos relations se résumaient aux ambassades. Nous avons découvert que nous avions la même histoire et la même culture. Pour un Turc, venir investir ici c'est comme s'il le faisait en Turquie. Il y avait aussi le problème du transport. Il n'y avait pas de vols directs Alger-Istanbul ou Alger-Ankara, pas suffisamment de bateaux qui desservaient les ports turcs et algériens, pour exporter ou importer des marchandises. Mais une fois que nous avons signé en 1995 un accord d'achat de gaz liquéfié, les rapports sont devenus très intenses. Pour pouvoir investir dans un pays, il faut que le climat soit propice aux investissements. Nous avons réalisé que le calme est revenu. Mais si vous me demandez si nous avons suffisamment investi, je vous dirai non. Il est vrai qu'on est passé de rien à 50 millions de dollars et en une année de 50 millions à 160. L'investissement a triplé mais 160 millions de dollars, c'est encore rien. On peut investir des milliards de dollars. Les investissements turcs en Roumanie s'élèvent à plus de 6 milliards de dollars ; en Russie, ils sont de 15 milliards de dollars et pourquoi pas en Algérie. Comment expliquer le fait que les opérateurs algériens, qui affirment avoir des produits compétitifs, n'arrivent pas à se placer dans le marché turc ? En ce qui concerne l'investissement étranger, notre pays est l'un des plus ouverts au monde avec notamment les réformes qu'on a faites dans le cadre de notre adhésion à l'UE. Actuellement, investir en France, en Italie ou en Turquie, c'est la même chose car nous avons les mêmes règles, la même législation. Il y a certains secteurs dans lesquels l'Etat algérien peut investir, dont celui des hydrocarbures. Nous sommes très ouverts à un partenariat entre les institutions algériennes et turques. D'ailleurs, c'est pour cela qu'il y a eu d'intenses négociations et des visites des deux parties ces derniers mois. Nous allons même investir ensemble dans un pays tiers par exemple dans la mer Caspienne, au Kazakhstan dans la mer Noire. Il y a des zones qui appartiennent à la compagnie pétrolière turque où on va faire des explorations. Pour ces explorations, on a proposé à Sonatrach de travailler ensemble là-bas. On a également proposé à Sonatrach de venir en Turquie pour la commercialisation mais aussi pour des investissements en matière de phosphate. Il y a donc des opportunités d'investissements en Turquie et on travaille dessus. Mais la déception des opérateurs algériens vient du fait qu'il n'y a pas d'exportations hors hydrocarbures vers la Turquie. Si vous avez un bureau en Turquie et un personnel qui connaît le marché, c'est possible d'exporter vers la Turquie. Et puis après la signature d'un accord de libre-échange, les opérateurs algériens pourront exporter plus facilement car ils n'auront pas à payer de taxes douanières. Est-ce qu'il y a des investissements turcs importants en vue ? On est encore au début en matière de relations économiques. Une fois que les deux accords qui sont très importants pour nous - l'accord de libre-échange et l'accord sur l'investissement entrent en vigueur -, je vous promets que les investisseurs turcs vont venir en masse. Ils vont venir pour de grands investissements. Actuellement, il y a de grands investissements dans le domaine de l'acier, de la biscuiterie et du ciment. On affirme souvent aussi que ce sont les produits turcs qui alimentent le marché informel à travers notamment le commerce de la valise. Qu'en dites-vous ? Le marché informel existe également en Turquie, et dans tous les pays du monde il existe une économie informelle. On ne peut pas l'empêcher à 100%. Il est vrai que, dans certains pays, le taux de l'informel est très important. Mais s'il est question ici des petits importateurs qui vont en Turquie avec leurs valises et qui apportent leurs marchandises, on ne peut pas les en empêcher. C'est à la Douane algérienne de prendre des mesures et non à la Douane turque. Dans le marché turc, il y a une totale liberté. Mais je sais que dans certains pays, c'est encouragé à cause du chômage ou pour la création de petites entreprises. Dans tous les pays en transition, l'informel est assez élevé par rapport au commerce formel mais ça finit par évoluer. Les « trabendistes » ouvrent un jour leur magasin et travaillent formellement et commencent à produire.