Connu pour ses incursions magistrales d'une pureté éclatante, comme il en a si souvent fait montre pour notre plus grand plaisir, de façon inattendue, parfois vicieuse mais d'une évidence naturelle : Bernaoui est resté égal à lui-même. Il a marqué beaucoup de buts de toutes sortes dans toutes les positions, du droit principalement, mais du gauche et du crâne aussi, voire de la… main. Et parce qu'il est un artiste au répertoire riche tant par ses qualités sportives qu'humaines que partenaires et adversaires tiennent tous en haute estime ce joueur joyeux drille, discret… élevé dans le respect du labeur et de la tradition familiale, il n'a jamais voulu quitter le club auquel il est resté fidèle alors qu'il aurait pu se construire un avenir en scrutant les bonheurs qui lui tendaient les bras. Bernaoui Hamid est né le 3 février 1937 à La Casbah, «année de la création de l'USMA», tient-il à préciser. Peut-être pour dire que sa destinée et celle de son club sont liées à jamais. Enfance animée à la rue Kleber au cœur de l'antique citadelle, où avec les gosses de son âge ils d'adonnaient à d'interminables parties de foot. Sans négliger la scolarité à l'école Sarouy. Son père Ahmed, forgeron au Ruisseau, y veillait. Puis, ce fut l'école de la pêcherie, où le camarade de table n'était autre qu'El Hachemi Guerrouabi : «C'est pour cela qu'on a gardé depuis des liens très forts ! Sa disparition m'a fortement ébranlé…» Hamid évoque ses débuts sportifs avec des menus détails «Il y avait Ghani Benelkadi qui jouait au basketball à l'USMA. Un jour, il est venu nous proposer de jouer à l'USMA. On était encore cadets. Le groupe de 6 ou 7 éléments a donc rejoint l'USMA, dirigée par l'entraîneur Hamid Toto. Il y avait aussi Amar Zaaf. Je n'avais pas été aligné lors du premier match. On avait estimé que j'étais chétif et pas apte à tenir le coup. C'est lors du deuxième match que je me suis affirmé. On jouait le matin. un jour, alors que j'étais junior, j'avais décidé de rester au stade pour voir les seniors, et comme il manquait un élément à ces derniers, Dahmane Médjiit m'a fait signe de descendre des tribunes et de rejoindre le groupe. On a joué contre l'USHA. On a gagné 3 à 2 grâce à Rabah Zouaoui notre avant-centre, c'est ainsi que commence mon aventure sportive.» interné à Tefechoun Mais les vents, hélas, ne portent pas toujours les voiliers dans le sens voulu. Ainsi, en 1956, le FLN donne l'ordre aux joueurs algériens de boycotter les compétitions. Militant, Hamid est arrêté comme élément suspect et dangereux. Il est interné en 1957 au camp de Tefechoun (actuelle Khemisti) où il passera 3 longues années aux côtés d'autres internés, dont les footballeurs Sebkhaoui de Blida, Messaoudi de Hadjout, entre autres. A sa libération peu avant l'indépendance et après un intermède à l'ASSE, Hamid, avec un groupe de joueurs, décident de créer le Stade algérien en mars 1961, encadré par les Atbi Chaâbane, Djelloul Djeghadjek, etc. «A la veille du lancement du critérium, on se retrouvait au café la Flèche de Bab Azzoun. Les dirigeants du MCA et de l'USMA ne cachaient pas leur intention de s'accaparer les joueurs du Stade algérien. Premier round, les délégués du Stade avaient négocié avec les dirigeants du MCA au cercle Saint Louis. Ces derniers s'étaient donné un temps de réflexion d'une semaine pour livrer une réponse. Mais celle-ci ne vint jamais. La même délégation du Stade a pris contact avec l‘USMA, principalement avec Ahmed Kemmat et Dahmane Medjit qui étaient sincères avec nous en nous disant qu'ils n'avaient rien à nous offrir, en nous rassurant que la recette du stade nous revenait en partie. Nous avons marché dans cette voie et l'USMA se retrouvait grâce à ce renfort championne de son groupe dans ce critérium qui renfermait six poules. On a joué la finale du championnat d'Alger contre le MCA qu'on a battu 2-1. La semaine d'après, dans le championnat d'Algérie, on est encore tombé sur le MCA qu'on a battu 3-0, dont un but de moi…» Hamid s'est toujours laissé guider par les événements pour ensuite mieux les appréhender. Tout boute-en-train qu'il est, Hamid a une manière à lui de les raconter. Que dire sinon qu'il est toujours là dans les grands moments et qu'il a marqué des buts fabuleux, d'autres contestés comme celui qui est évoqué anecdotiquement souvent pour caricaturer une carrière plutôt flamboyante. «C'étaient les quarts de finale contre l'OMSE, on jouait la deuxième prolongation et l'immense Boubekeur, que Dieu ait son âme, refusait de céder. Alors, sur une montée et comme je ne pouvais pas atteindre la balle de la tête disputée avec Boubekeur, je l'ai boxée et elle est rentrée, à la grande stupeur de Boubekeur qui a couru vers moi me menaçant : ‘‘Hé, négro, jure que tu as marqué de la main !'' Devant la colère de ce géant qui avait l'écume aux lèvres, je ne pouvais qu'acquiescer. Et comme il était sûr de son fait, il m'emmena devant l'arbitre pour confirmer mon aveu. Et là, surprise. Face au referee, j'ai dit que ne je n'avais pas marqué de la main et qu'il ne fallait pas tenir compte de ses propos car ça ce comprenait, il était énervé. Si j'avais utilisé ma main, vous l'auriez vue, monsieur l'arbitre. Face à ce désaveu, Abderrahmane redoubla de férocité et la fuite était le meilleur moyen d'échapper à sa vindicte. Je m'en suis tiré à bon compte.» Hamid est ainsi, entier et plein d'humour. «Il est là pour mettre les ballons au fond. Il fait bien ce qu'il a à faire et ce n'est pas nouveau pour un joueur qui, en plus du talent, a de la malice», témoigne son ami et ancien coéquipier, Hamid Benkanoun. «A mon ami Saïd Ouchene que j'ai fait tomber derrière la ligne avec le ballon sur un coup d'épaule lors du match contre le NAHD, j'avais dit sur le coup : ta prime, elle va me revenir. L'arbitre avait validé le but», raconte Bernaoui, non sans se fendre d'un rire contagieux. Homme habitué à renverser les obstacles plutôt qu'à les contourner, Hamid est foncièrement optimiste, il prend la vie comme elle vient et cela suffit à son bonheur. «Au milieu des défenseurs qui s'attendent à tout sauf à ce qui suivra, son corps se désaxe prenant tout le monde à contrepied et cela, seul lui peut le faire», admet Nouredine Youb, irréductible supporter des Rouge et Noir. Une grande équipe, des joueurs artistes, une galerie incomparable et des résultats peu reluisants durant des années, sans compter la malédiction de la coupe où l'équipe s'est «coincée» à plusieurs reprises en finale. «Nous étions l'équipe à abattre depuis l'avènement de Boumediène, car notre président d'honneur n'était autre qu'Ahmed Ben Bella. Comment concevez-vous qu'avec un effectif fourni, nous n'avons remporté ni championnat ni coupe pendant des années ? s'interroge Hamid, avec la conviction d'avoir déjà la réponse. En étayant ses propos par la suspension injuste durant une année. On s'entraînait à Bologhine et on jouait nos matchs officiels à Blida, même la finale, la seule qu'on a remportée au cours de cette période, en 1981, elle s'est jouée à Sidi Bel Abbès !» Hamid y voit une nette discrimination qui a lourdement pénalisé le club. «On avait une très bonne équipe cosmopolite, ouverte aux talents, même ceux qui sont venus d'horizons divers, mais qui se sentaient chez eux comme les Aïssaoui, Rabet, Ali Messaoud, Atoui, Rahou, Zeghdoud, Dziri, pour ne citer que ceux-la. C'était une famille. Mais le meilleur d'entre nous, c'était Abderrahmnae Meziani, à qui je souhaite une prompte guérison et qui reste un ami auquel je suis très attaché.» l'USMA, une grande famille Hamid, qui ne cache pas sa fierté et son bonheur d'avoir joué à l'USMA aux côtés de Abdelaziz Bentifour, «un immense joueur», estime qu'il n'a pas eu en face de lui un adversaire spécifique qui l'a muselé ou empêché de donner libre cours à son talent. «Nous, comme un tourbillon, on se déplaçait sans cesse et on savait comment échapper à la vigilance de nos anges gardiens. Mais dans l'ensemble, tous les défenseurs étaient dangereux. C'était leur rôle de nous contrer.» Sportif accompli, Hamid a su communiquer cette passion à son entourage, dont son fils Krimo, sans doute le meilleur volleyeur que l'Algérie a enfanté. «Pourtant, à 13 ans, je l'ai emmené à l'USMA pour jouer au football ; il était doué. un jour, ils avaient un match amical à Chéraga. Au retour, le fourgon qui devait les ramener à fait défaut, les dirigeants leur ont donné de l'argent pour prendre le bus. Je n'ai pas accepté cette attitude irresponsable, alors j'ai mis fin à cette expérience. Mon fils est parti avec ses amis à la DNC pour jouer au volley. Il a percé pour devenir ce qu'il est devenu.» Son malheur a fait son bonheur. Depuis sa retraite de l'équipe nationale, il est entraîneur de haut niveau. Il est passé par l'Espagne et actuellement il fait les beaux jours de Wasta à Dubaï, cela fait quinze ans qu'il est à l'étranger. Bien qu'il n'aime pas se référer au monde du football, à l'heure actuelle assimilé à une grande foire, Hamid qu'on ne peut soupçonner de «passéiste» s'élève contre les pratiques qui gangrènent notre sport-roi. Le professionnalisme ? C'est bien beau de le clamer sur tous les toits, mais la réalité du terrain est amère. On parle beaucoup plus de vente de matches, de scandales, de violence dans les stades que de compétition saine et attractive. Il n' y a qu'à lire la chronique quotidienne pour constater que c'est loupé, c'est négatif. L'argent est partout. Certes, c'est le nerf de la guerre comme on dit, mais lorsqu'il est mal utilisé et lorsqu'on oublie les vertus essentielles du sport, on ne doit s'attendre qu'à du gâchis… Enfin, en grand sportif qu'il est, Hamid n' a pas eu que des glorioles et des fleurs. Au début de ce siècle, un gros malaise cardiaque l'a affecté, ce qui a nécessité son transfert en Ecosse où il a subi un triple pontage. «Le médecin m'a dit : le cœur, c'est comme le moteur d'une voiture, quand il se grippe il faut tout simplement le dégripper.» Hamid a pris ces paroles avec philosophie et continue à vaquer normalement à ses occupations de retraité bien dans sa peau, entouré de l'affection de sa famille et de ses amis. Et ils sont fort nombreux… Hamid va-t-il au stade actuellement ? Rarement. Peut-être que les matchs de foot tels qu'ils se déclinent n'offrent ni le spectacle espéré ni ne suscitent les émotions attendues. Et l'avantage des émotions, c'est qu'elles nous font sortir du cadre établi. Hamid préfère se ressourcer au café Tlemçani, où la nostalgie est convoquée à travers les anciens dirigeants Benelkadi Mahfoud, Mahiedine Allouache, Rachid Hamar, Mehdi Benkanoun, Dahmane Sedoud, Amrani Reda qui viennent souvent se retremper dans l'ambiance d'antan aux côtés d'anciens joueurs comme El Ghazi Djermane, Rachid Debah, Mansouri, Oukid, Fayçal Boutaleb, Sediki et autres Belbekri et Zemmour quand ils sont de passage à Alger… Nous vous le disions, l'USMA ce n'est pas seulement une école, c'est un état d'esprit.