De telles «performances» étaient inattendues. Mieux, le MROS, service central du Département Fédéral de Police et Justice (DFJP), n'en a jamais connu depuis sa création en 1998 et il les doit, essentiellement, à la collaboration active des intermédiaires financiers, les banques en particulier : plus de 85% des communications à leur actif. Ce chiffre record n'était pas prévisible car, comparativement à 2011 et 2012, respectivement marquées par l'avènement du Printemps arabe et un cas de grande envergure, aucun événement majeur pouvant expliquer la hausse des communications de soupçons de recyclage d'argent d'origine douteuse n'a été enregistrée en 2014, fait remarquer l'imposant 17e rapport 2015 du MROS, 2015 dont El Watan Economie a été destinataire d'une copie. S'agissant des sommes impliquées, la hausse de 12% les a hissées de 2,98 à plus de 3,34 milliards de francs suisses, un montant jamais égalé et qui a même dépassé le record de 2011. A cela une raison : en 2014, une communication a franchi le seuil des 200 millions de francs, tandis que 6 autres concernaient des montants dépassant les 75 millions de francs. A elles seules, ces 7 communications ayant ainsi pesé presque un tiers du chiffre total des valeurs patrimoniales annoncées, est-il relevé dans le même rapport. Et l'origine des fonds, objets d'annonces de suspicion de recyclage, émanant de la place financière où, outre les banques, interviennent essentiellement des entreprises fiduciaires, sociétés de transfert de fonds, négociants en devises, casinos, fondations, avocats, notaires, négociants en valeurs mobilières, gérants de fortune/conseillers en placement, courtiers en matières premières et métaux précieux, etc. La corruption à grande échelle a été l'infraction préalable au blanchiment la plus répandue en 2014 : avec 357 communications de soupçons d'actes de corruption, c'est le double du score de 2013 qui a été atteint, relève le MROS. Est-ce à dire que les délinquants en col blanc, de tous horizons, ont fait de la Suisse où le mythe du secret n'est pas près de se déconstruire entièrement un point de chute idéal ? Pour les organismes helvètes anti-blanchiment d'argent, le marché secret de la finance n'est pas une particularité suisse. Attachés à la préservation de la sérénité de leur pays, ces organismes veillent scrupuleusement à ce que l'image de marque de la plus célèbre place financière ne soit écornée davantage. «Il ne faut pas déduire de cette tendance que le blanchiment d'argent est en augmentation. La Suisse ne compte d'ailleurs ni plus, ni moins de cas de blanchiment que d'autres places financières de même type», se défend l'Office fédéral de la police (Fedpol), tutelle du MROS, mettant plutôt en avant le sentiment de responsabilité et la prise de conscience réelle des intermédiaires financiers de plus en plus perceptibles. Pour preuve : alors que le nombre de communications des banques a augmenté de 33%, passant de 1123 en 2013 à 1495 en 2014, celui provenant du reste du secteur financier est en baisse. Ce qui témoigne des efforts considérables déployés par le secteur banquier dans le développement de leurs systèmes de contrôles internes. Aussi, soutient Stiliano Ordolli, le boss du MROS, la tendance haussière du nombre de dénonciations de soupçons de blanchiment d'argent est le fruit des récentes modifications apportées par le législateur en matière, à la fois, d'obligation de communiquer et de droit de communication. A la demande de la place financière qui recommandait son maintien, précise le Dr Ordolli, ce dernier (droit de communication) avait fait l'objet d'une opposition de suppression lors de la consultation de 2013 de la loi sur la mise en œuvre des recommandations révisées du Groupe d'actions financières (GAFI) dont la mission est de promouvoir des politiques internationales de lutte contre la grande délinquance financière. Au nombre de 40, ces recommandations ont été formulées et revues dans la perspective de lutter contre l'usage abusif de systèmes financiers à des fins de blanchiment de capitaux. Parmi ces recommandations, la plus importante, celle portant extension des prérogatives du MROS, et ce, au même titre que les 127 autres Cellules de renseignements financiers (CRF) dont la CTRF algérienne, toutes membres du Groupe Egmont. Ainsi, outre le partage sécurisé, rapide et juridiquement admissible avec ses homologues étrangers d'informations se rapportant aux numéros de comptes bancaires, renseignements sur les transactions de capitaux ou aux soldes de comptes, le renforcement des capacités d'analyses a, ainsi, permis à l'Organe suisse d'approfondir le filtrage des communications de soupçons réfutables. Ce qui explique, selon M. Ordolli, spécialiste dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d'argent, la tendance baissière observée ces trois dernières années des communications transmises aux autorités de poursuite pénale. En témoigne : en 2014, celles-ci ont été destinataires de 1262, c'est-à-dire 72 % sur 1753 annonces de soupçons. D'où un taux de transmission de 7% plus bas que celui de 2013, déchargeant de fait les ministères publics, se réjouit cet ancien diplomate du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).