Qu'est-ce qui a pu motiver la justice algérienne pour décider la saisine de son homologue suisse concernant Chakib Khelil ? Le lien dans l'affaire Sonatrach qu'entretenait ce dernier avec Riadh Benaissa, l'ancien vice-président à la division construction de la firme montréalaise d'ingénierie SNC-Lavalin y est-il pour quelque chose ? Si oui, quels sont les éléments permettant d'établir ce lien que le magistrat en charge de l'instruction a pu réunir ? Le compte secret que détiendrait dans une banque suisse l'ancien ministre de l'Energie serait-il l'objet de la demande d'entraide ? Des questions parmi tant d'autres qui restent pendantes en attendant ce à quoi aboutirait l'entraide judiciaire en cours entre le parquet d'Alger et son vis-à-vis helvétique. En effet, c'est vers le début de l'été, soit plusieurs mois après l'ouverture de l'enquête judiciaire sur l'affaire Sonatrach 2, que la justice algérienne a jugé nécessaire la mise en branle de l'accord d'entraide du 3 juin 2006 la liant à son homologue helvétique, a-t-on appris de sources proches de l'affaire. Connues pour leur inflexibilité sur le secret des procédures pénales menées hors de leur territoire, les autorités judiciaires suisses n'ont rien laissé filtrer sur la nature de l'assistance sollicitée par l'Algérie autour de Chakib Khelil. Effectivement, «pour le cas Chakib Khelil, l'Algérie a transmis une demande d'entraide à l'office fédéral de la justice (OFJ) le 2 juin 2013», s'est contenté de confirmer à El Watan Economie Raphael Frei du Département fédéral de justice et police (DFJP) relevant de l'Office fédéral de la justice (OFJ). Le mythe de la haute «rigueur morale» helvétique n'est décidément pas près de s'effondrer. Car même du côté du Ministère public de la confédération (MPC) auquel, toujours selon M. Frei, l'OFJ a délégué l'exécution de l'entraide, il s'avère illusoire de chercher à percer le secret. Là encore, impossible de soutirer le moindre détail sur le motif de la demande algérienne. «Nous nous limitons à vous confirmer que le Ministère public de la confédération (MPC) est en charge de l'exécution de différentes mesures d'entraide à la demande des autorités judiciaires algériennes dans ce contexte de fait», nous déclarera Jeannette Balmer, la porte-parole du MPC. Sans se départir de son intransigeance légendaire, la responsable de l'institution judiciaire implantée en différents lieux en Suisse et dont le siège est à Berne ajoutera sur un ton ferme que toute «information sur le contenu de la demande ou sur les résultats de son exécution est du ressort exclusif de l'autorité requérante (ndlr l'Algérie). Il ne nous appartient pas de communiquer des informations sur une procédure pénale conduite à l'étranger.» En Algérie, justice et police croient qu'une part importante des paiements douteux, qu'ils soupçonnent d'être des pots-de-vin, est aussi passée par des comptes bancaires en Suisse pour être ensuite reversés aux maîtres d'œuvre du stratagème. Un des principaux destinataires finaux de ces rétro-commissions serait Chakib Khelil. UNE PART IMPORTANTE AURAIT TRANSITE PAR LA SUISSE Raisons et moyens de cette rapine gigantesque : un système de gestion opaque et truffé de failles que ce dernier a longtemps entretenu au sein de son secteur et des techniques de blanchiment d'argent de plus en plus intelligentes, laissant libre cours à toutes les «extravagances». Pour déterminer l'étendue de ce que l'expert en criminalité financière internationale, Messaoud Abda, — parlant de Chakib Khelil — a qualifié de «grave manquement au code d'honneur», de «pratiques outrageusement exagérées», les magistrats algériens ont fait appel aux enquêteurs de la Cellule de traitement du renseignement financier (CTRF). A leur tour, ces enquêteurs ont sollicité l'expertise de leurs collègues suisses du Money Laundering Reporting Office-Switzerland - Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (MROS). Où en est cette collaboration ? Quelle en est la nature ? Là aussi, l'on ne saura malheureusement rien ou presque : les suisses ne baissent jamais la garde sur tout ce qui est érigé en secret. En témoigne, cette autre réponse qui vient, cette fois-ci, du patron du MROS. Cet organe, est-il utile de le préciser, est rattaché à l'Office fédéral de la police (fedpol) dont peut également disposer le Ministère public de la confédération (MPC) pour les enquêtes pénales internationales qu'il a la charge d'exécuter dans le cadre de l'entraide, à l'image de celle en rapport avec Sonatrach et Chakib Khelil. «Nous ne pouvons pas nous exprimer au sujet de la collaboration avec votre CTRF, cela relève du secret de fonction», nous a déclaré Stiliano Ordolli, le chef du MROS, institution jouant le rôle de relais et de filtre entre les intermédiaires financiers et les autorités de poursuite pénale. Autrement dit, «ce service central reçoit, analyse et, si nécessaire, transmet aux autorités de poursuite pénale les communications de soupçons relatives au blanchiment d'argent, au financement du terrorisme, aux fonds d'origine criminelle ou aux organisations criminelles provenant des intermédiaires financiers : banques, sociétés de transfert de fonds, fiduciaires, gérants de fortunes, conseillers en placement, avocats, courtiers en assurance, entreprises de cartes de crédit, casinos, négociants en devises et en valeurs mobilières». La CTRF, mobilisée pour les besoins de l'enquête, a-t-elle signé un accord de coopération technique avec le MROS concernant les mouvements des capitaux suspects en lien avec l'affaire Sonatrach ? Car, depuis le 1er novembre dernier, date d'entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur le blanchiment d'argent (LBA), l'Organe helvétique est habilité à partager des informations avec ses semblables étrangers des numéros de comptes bancaires, des informations relatives à des transactions de capitaux ou des soldes de comptes. Des données auparavant couvertes par le secret bancaire ou de fonction. «En Suisse, le MROS fonctionne depuis 1998 et a toujours échangé des informations avec les homologues étrangers. La nouveauté, en vigueur depuis 1er novembre 2013, est que le MROS peut désormais échanger aussi des informations de nature financière. Avant cette date, il échangeait seulement des informations de nature criminelle», insistera Stiliano Ordolli, spécialiste de la lutte contre le blanchiment d'argent «en ce qui concerne la signature d'un accord avec nos collègues de la CTRF, la réponse est non», infirmera avec diplomatie M. Ordolli qui dirige le MROS depuis septembre dernier après un passage au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). En tout cas, même si échange d'informations il y a entre le CTRF et le MROS, «les informations données ne peuvent être transmises par l'autorité d'exécution de l'entraide à une quelconque autorité judiciaire étrangère sans autorisation préalable du MROS. De plus, de telles informations n'ont qu'une portée administrative. En aucun cas elles ne peuvent servir de moyens de preuve» relèvera, pour sa part, Kamel Rahmaoui.