En fait, plus que cette médiatisation au plan international, particulièrement occidental, cette thèse ne pouvait être entreprise et à atteindre les objectifs poursuivis opiniâtrement que dans des conditions bien établies. De toute évidence qu'à la suite d'efforts exceptionnels, surhumains, qu'impliquent nécessairement autant l'engagement et l'érudition que la maîtrise des langues, au passé comme au présent, du pays directement concerné, précisément par le professeur Gilbert Meynier grâce à des publications de valeur, au demeurant recouvrant la quasi-totalité de l'histoire de notre pays, à l'instar de L'Algérie des origines (2007), L'Algérie cœur du Maghreb classique, De l'ouverture islamo-arabe au repli (698-1518), (2010), Repenser l'Algérie dans l'histoire (1913), Histoire intérieure du FLN, 1954-1962 (2003)… Aussi l'histoire de ce premier quart du XXe siècle a-t-elle été décortiquée, bout à bout, grâce à l'exploitation judicieuse d'une masse considérable d'une documentation archivistique inépuisable en parvenant à cerner les motivations profondes et l'âme de ces milliers de combattants perçus certes collectivement, mais souvent personnalisés, parfois même approchés et localisés à travers l'étendue de l'Algérie septentrionale, laissant ainsi entrevoir les particularités et sensibilités rural/urbain, des nuances Est/Ouest, notamment au niveau des deux principaux centres urbains Tlemcen et Constantine, éventuellement d'autres villes secondaires… De surcroît, le tout appréhendé, enrichi et illustré, voire recoupé et corroboré par le vécu recueilli directement auprès de rescapés de la Grande Guerre quoique difficilement repérables sur le terrain, à plus d'un demi-siècle de recul. Quelles belles illustrations, véritables prouesses, tel un travail de fourmi, de rencontrer sur le terrain de rarissimes survivants, de pouvoir déterminer rigoureusement soit leur propre itinéraire, soit les trajectoires de leur descendance (p. 661,667 …), bien après la guerre de Libération nationale en dépit de ses bouleversements de fond en comble. A cet égard, édifiantes sont la lecture et la relecture, attentivement, de nombreux passages et développements, à l'instar notamment des déductions brillamment formulées par les pages 440 et 441, focalisant l'attention sur l'arrière-plan, les événements des plus traumatisants de l'Algérie coloniale, 1830 et 1870, autrement dit savoir se battre et être vainqueur… «pour effacer Staouéli et Isly», et par la même «valoriser en eux l'Algérien». D'autant que «tous les rapports militaires soulignent l'engouement des Algériens pour les armes modernes, pour la technique des travaux de génie, pour la modernisation». A point nommé, c'est bien le constat fait, sciemment, précisément par Hadj Ahmed Bey, précisément l'unique bey de… filiation maternelle algérienne d'ascendance anté-ottomane, qui a déploré l'absence d'artillerie lors du deuxième siège de Constantine le…13 octobre 1830 (encadré ci-dessous). Mémoires de Hadj Ahmed Bey (R A, 1949 :107-108) Le lendemain de la mort du grand de l'armée, que j'ai appris depuis être le général en chef, l'artillerie des Français redoubla de fureur. Ils s'avancèrent et, battant la muraille, ils eurent bientôt pratiqué une brèche considérable. Quoiqu'on ne pût la gravir qu'avec difficulté, ils s'y lancèrent pourtant et s'établirent au sommet, prêts à entrer dans la ville. Tout à coup la mine dont j'ai parlé éclata, tua un grand nombre d'assaillants mais fit en même temps périr beaucoup des nôtres. Les autres manquèrent leur effet, et je dus regretter plus tard lorsque ces circonstances me furent racontées l'absence de gens experts dans cette partie de l'art de la guerre. A elle seule, la focalisation tour à tour sur l'état d'esprit, attitudes et comportements des enrôlés de 1914-1918 ne peut éclipser les autres événements majeurs du premier quart du siècle écoulé, demeurés jusqu'à présent à peine entrevus en dehors de l'émergence du mouvement Jeune Algérien ou l'insurrection du Sud constantinois avec la révolte des Béni Chougran. Assurément, la période étudiée s'est révélée très riche, d'autant que souvent elle est axée sur le socio-culturel. «L'immédiat après-guerre est une période unique d'éveil de la culture populaire» (p 711). A merveille illustrée par l'analyse lexicale fine du discours de l'Emir Khaled. En définitive, loin d'être statique, ce premier quart de siècle s'avère très riche, voire foisonnant en ouvrant de nouvelles perspectives d'approche. Gilbert Meynier : L'Algérie révélée, la guerre de 1914-1918 et le premier quart du XXe siècle, Paris, éd. Bouchène, 789 p.