– Votre définition du baltaguia ? C'est une définition collective car les baltaguia n'agissent jamais individuellement. Ils sont souvent chômeurs, issus du milieu du trafic ou de petit banditisme, ils ne sont pas forcément proches de l'Etat et souvent se font dénoncer par les citoyens. Ils se font attribuer des appartements indûment et exercent une influence au niveau local. Historiquement, ils représentent le fond de la base du parti-Etat, le FLN. Ils travaillent en étroite relation à la fois avec la sûreté urbaine de proximité, la PJ, mais aussi les Renseignements généraux quand il s'agit d'affaires concernant les militants ou les mouvements de protestation. Ils ne sont pas formellement et organiquement liés au parti, mais gravitent autour de structures et de réseaux liés aux différentes mouhafadhas pour servir de courroie de transmission au parti et à la police politique. Dans les périodes de velléités de changement ou de grands mouvements, les baltaguia se transforment en brigades de contre-insurrection en tabassant les meneurs et en essayant d'embrigader le maximum de gens identifiés comme étant subversifs. – Qui se sert de ces gens-là ? Dans les années 2000, plusieurs baltaguia ont été recrutés par le FLN et le RND pour préparer les scrutins électoraux. Le but étant de réussir les campagnes électorales des partis-Etat, mais aussi de servir de réseaux d'informations. En 2001, avec l'avènement du Mouvement citoyen des archs, nous avons connu la première utilisation des baltaguia à grande échelle. Il y a eu une jonction des baltaguia des partis-Etat avec les associations de supporters, notamment ceux du Mouloudia d'Alger (MCA) et du CR Belouizdad. C'est l'un des commissaires de l'époque, connu sous le nom de Ammi Ahmed, qui manipulait l'équation avec ses réseaux déjà constitués. Lors de la marche du 14 juin 2001, ce sont ces gens-là, avec l'aide des services de la police, qui ont agressé des manifestants. Je prends en exemple les locaux de l'Etusa brûlés par les baltaguia pour projeter une image négative sur le Mouvement des archs. Dans les années 1990, les milices islamistes étaient allés recruter les plus radicaux dans les mêmes milieux. L'objectif qui leur a été attribué était de détruire l'appareil policier dans les grandes villes comme Alger. Le DRS avait aussi envoyé, en puisant dans ses réseaux d'informateurs, ses propres agents dans le but de les infiltrer. Certains sont connus, comme Flicha ou Kamel le Blanc, considéré comme le premier militant armé du FIS. La légende raconte que Kamel aurait désarmé un policier à mains nues vers la fin des années 1990. En contrepartie de leur recrutement, les islamistes leur ont offert un cadre économique et social confortable pour qu'ils puissent subvenir à leurs besoins et pour utiliser leur potentiel en matière de renseignement et de violence. Même Bouteflika en a profité lors de la collecte des signatures pour la dernière élection présidentielle. – A qui appartiennent-ils ? Le conflit qui perdure entre la Présidence et le DRS nous donne une réponse claire sur ce qui se passe en bas de l'échelle. Bouteflika, notamment depuis les événements du Printemps noir, a essayé de rééquilibrer l'appareil sécuritaire en faveur d'une plus grande influence de la police. Certains chiffres font état de deux millions d'informateurs sous Kasdi Merbah. Je pense qu'il y a une volonté des services de la police, notamment depuis la création des Renseignements généraux, d'avoir un réseau aussi étoffé que ce dernier. Plusieurs prérogatives ont été enlevés au DRS et ont été reportées à l'appareil policier qui est lié au ministère de l'Intérieur. Ce qui nous mène à croire que ces baltaguia sont financés finalement, de manière directe où indirecte, par le ministère en question.