Mathématiquement, l'Arabie Saoudite a besoin d'un baril de pétrole à 103 dollars pour équilibrer son budget. Une chose est sûre : l'Arabie Saoudite, qui totalise 33% de la production globale des pays de l'OPEP, riche de 683 milliards de dollars de réserves en devises, résisterait mieux à l'usure des prix du brut. C'est pourquoi la monarchie persiste et signe dans sa stratégie de laisser chuter les prix à même d'éroder le rendement des puits du pétrole de schiste américain. Pendant que les pays de l'OPEP acquiescent à un vœu cher aux Saoudiens en maintenant abondante leur offre de pétrole, la production américaine, grâce notamment au schiste, résiste bien aux prix bas. Les Américains pompent 9,5 millions de barils/jour, dont la moitié est issue du schiste. Les producteurs américains entendent pousser l'aiguille jusqu'à 11 millions de barils/jour à l'horizon 2020. C'est dire que les appareils de forage vrombissent à toute allure, quand bien même certains forages ont été mis en mode veille, en attendant que les prix remontent en dessus de 60 dollars le baril. C'est dire que la stratégie saoudienne face aux producteurs américains est loin d'être payante. Pour l'heure, elle ne fait que creuser davantage les déficits chez les membres de l'OPEP, en mettant à genoux les Etats les plus fragiles, et repoussant aux prolongations la résistance des monarchies du Golfe face au choc des prix. Les Emirats arabes unis qui monopolisent 9,2% de la production globale de l'OPEP, ont besoin d'un baril de pétrole à 73 dollars pour équilibrer leur budget, le Qatar 59 dollars/baril, tandis que la rentabilité du baril du pétrole pour le Koweit (9% de la production de l'OPEP) repose sur un prix à 47 dollars. C'est la stratégie du «chacun pour soi» qui l'emporte finalement au sein de l'OPEP car, faut-il le reconnaître, les monarchies du Golfe comptent bien faire valoir leurs matelas en devises à même de résister à la chute des prix. D'autres pays moins solides du groupe OPEP, à l'instar du Venezuela, se sont mis soit à s'endetter, soit à calculer les pertes, en attendant la bénédiction des marchés qui ne sera apparemment pas pour demain. Le Venezuela, dont la part de production au sein de l'OPEP est de 7,9%, a besoin d'un baril à 121 dollars pour l'équilibre de son budget. La rentabilité du baril du pétrole pour le Nigeria repose sur un prix à 119 dollars, l'Algérie 111 dollars, l'Iran 93 dollars, l'Angola 98 dollars, l'Equateur 117 dollars, tandis que des pays en proie à la guerre, à l'instar de la Libye et l'Irak, ont besoin d'un baril respectivement à 215 et 71 dollars. Impuissants face à l'hégémonie saoudienne au sein de l'OPEP, des pays comme l'Algérie, le Venezuela et le Nigeria doivent leur salut à des choix économiques pour le moins douloureux à même d'affronter les tempêtes qui pointent encore à l'horizon. L'équilibre du marché n'est pas pour demain. L'excédent dépasse les 2 millions de barils/jour actuellement et dépasserait 3 millions de barils/jour dans six mois si les conciliabules autour du nucléaire iranien se soldaient par un quelconque compromis. De l'autre côté de l'océan, les Américains s'affairent à développer les technologies les moins coûteuses à l'extraction de leur pétrole de schiste. En définitive, la stratégie saoudienne, qui a entraîné l'OPEP dans une spirale aux lendemains incertains, se révèle déjà coûteuse. Le pari est loin d'être payant.