Sediq et Cherif, âgés respectivement de 4 et 2 ans, semblent peu concernés par l'agitation qui les entoure. Pourtant dans la cuisine, on s'active. Wahyda, leur maman, prépare le dîner de rupture du jeûne. Au menu de ce soir, la fameuse chorba frik, assortie d'un menu peu orthodoxe, «pour changer», s'amuse la maîtresse de maison : poulet et riz à l'indienne. «Normalement, le plat typique jijélien c'est le seksou bel'hout, le couscous à base d'orge et de poisson», explique-t-elle. «Et puis on fait aussi souvent du mesfouf, chez moi avec des raisins et des pruneaux, en période de Ramadhan.» Cette jolie rousse de 40 ans raconte qu'ici, tout tourne autour de la marmite. «C'est la bouffe, la bouffe, la bouffe !» Hamid, le père de famille, passe justement devant la porte de la cuisine et s'exclame : «Mais nous, on ne le fait pas comme ça à la maison ! Ce n'est pas comme cela que l'on a été élevés. L'esprit du Ramadhan c'est aussi de ressentir la faim, de comprendre les plus pauvres. On essaie d'inculquer ça à nos enfants.» Wahyda, infirmière de profession, précise, le plus sérieusement du monde : «Théoriquement, l'idée c'est de se purifier l'âme et le corps. Grâce à la diète, on chasse aussi les toxines, et on s'astreint à une meilleure hygiène de vie, à ne manger qu'à sa faim.» Tout en surveillant sa casserole du coin de l'œil, elle raconte que dans la région de Jijel, il y a «un avant et un après-décennie noire». «Aujourd'hui, chacun reste chez soi, ce n'est plus comme avant. Avant, les familles se réunissaient du f'tour jusqu'au shour», se souvient-elle avec envie. Mais selon cette maman gourmande, il reste encore des «petits plaisirs» que l'on ne retrouve à aucun autre moment de l'année. Par exemple, les étals de zlabias qui fleurissent un peu partout, ou le kalb el louz qu'on peut déguster à chaque coin de rue. Soudain, Wahyda est surprise en pleine rêverie. Le plus jeune des garçons de la famille se met à pleurer bruyamment, rappelant les sirènes de ses ambulances miniatures. «Tiens, il est l'heure pour eux de se mettre à table !», en conclut sa mère.