El Manchar était vraiment derrière des canulars qui ont trompé beaucoup de gens ? En effet, plusieurs canulars ont été repris par nombre de journaux. Il y a eu d'abord l'info sur les crédits Ansej pour le mariage, cela a fait la une d'un journal algérien et même celle du JT d'une chaîne satellitaire. Plus récemment, le canular sur Sadi a aussi été relayé par de nombreux médias algériens et étrangers ; même MBC est tombé dans le piège. Mais je crois que l'interdiction totale de la minijupe a été notre plus gros succès, ce canular a été repris par des sites d'extrême droite français et même de l'Etat hébreu. Vous dites succès… Quel est l'intérêt ? Evidemment, c'est de faire rire. Je n'ai pas autre prétention que celle de faire rire, ou du moins, faire sourire les gens qui nous lisent. Après, si El Manchar réussit un tant soit peu à faire changer les choses, à casser des tabous ou à bousculer les mentalités, eh bien ce ne sera pas de refus. En tant que jeune Algérien, quelles sont les choses que vous voudriez changer ? Il y a beaucoup de choses à changer dans l'Algérie de 2015, mais encore une fois, ce n'est pas mon but ni mon métier. Et je serai incapable d'ailleurs de le faire quand bien même je le désirerais. Par contre, en tant que jeune Algérien, je souhaite quand même plus de démocratie, plus d'ouverture et surtout de l'espoir pour ces millions de jeunes qui ont besoin de croire en quelque chose et de perspectives d'avenir. Comment l'idée de lancer un site satirique vous est venue ? L'idée de créer un journal satirique m'habitait depuis fort longtemps. J'ai commencé d'abord avec un blog, où je traitais l'actualité d'une manière un peu décalée. Après l'idée a fait son chemin et j'ai lancé un webzine satirique qui s'appelait El Festi qui n'a pas fait long feu. En parallèle, j'ai créé le site MKD qui est la déclinaison algérienne du site français VDM. El Manchar au départ n'était qu'une page facebook dans laquelle je publiais quotidiennement des vannes courtes (une à deux phrases). La page se définissait alors comme un micro-blog anarco-satirique. Au mois de mai dernier, je me suis dit pourquoi ne pas lancer un site. L'idée première était de ressusciter le journal mythique du même nom qui paraissait dans les années 1990. Comme il me fallait des caricaturistes et des rédacteurs, j'ai lancé un appel à contribution. Je n'ai pas eu beaucoup de retour, du coup je me suis décidé à lancer le site seul, mais il fallait me passer des caricatures, j'ai pensé alors à créer un site parodique à la manière du Gorafi (site français, ndlr). Quelle est votre ambition à travers votre site ? Après plus de deux mois d'existence, El- Manchar, c'est plus de 1 400 000 visites, près de 4 millions de pages vues, 130 articles publiés et 1571 commentaires. Notre ambition est de devenir le journal électronique le plus lu d'Algérie. Avez-vous eu des ennuis avec les personnes qui sont un sujet de satire ? Non, jamais personne ne m'a approché pour exercer des pressions sur moi. Les personnages publics se sont jusque-là montrés bons joueurs, rien à signaler de ce côté. Pourvu que ça dure. El-Manchar se définit comme un journal d'informations fausses et complètement saugrenues. Il a été créé dans le seul but d'explorer le champ de l'absurde. Aussi, les articles qui y sont publiés ne renvoient à aucune occurrence du réel, mais juste à des occurrences du possible. On ne peut pas être plus clair. Je fais de la fiction journalistique qui est un exercice qui exige de créer une impression de réel. J'espère que les personnalités et les institutions «manchardisées» (néologisme qui renvoie à Al-Manchar) l'auront bien compris. Quelle est votre réaction lorsque vous voyez que votre blague a retenti non pas à travers le pays, mais à travers le monde ? J'avoue que tout ça me fait rire. Disons que pour un journal parodique, être pris au sérieux c'est un peu comme une consécration. C'est le comble de l'absurde, donc forcément ça ne peut être que jouissif pour moi. Mais au-delà de l'aspect comique, je pense qu'El-Manchar pose très sérieusement la question du professionnalisme journalistique et de la crédibilité des médias. Ce style de parodie et de pastiche a envahi la Toile, vous ne pensez pas que ça commence à devenir désagréable ? Bien au contraire, internet est le dernier espace de liberté qui nous reste, profitons-en. La liberté de la presse ne s'use que quand on ne s'en sert pas. C'est la devise du Canard enchaîné. Sans vantardise aucune, que nous nous inscrivions dans cette perspective permet d'aiguiser la vigilance et le sens critique du lecteur. L'information parodique participe en quelque sorte à l'éveil des consciences, c'est une éducation aux médias et à l'information. Le lecteur doit faire le tri parmi le flux important d'informations qu'il reçoit par des canaux divers, télé, radio, presse écrite et internet. C'est important pour forger une conscience citoyenne responsable. Quels sont les autres sites satiriques que vous qualifieriez d'intéressants ? Il y a un site dont les rédacteurs sont extrêmement talentueux, les qualifier de géniaux ne serait que leur rendre justice, c'est El-Manchar (rire)… Non, blague ! Bled Mickey me fait beaucoup rire, mais je pense qu'il est à l'arrêt actuellement. Votre appel à contribution est-il toujours d'actualité ? Oui, El-Manchar reste ouvert à toute personne qui voudrait y contribuer. Actuellement, j'alimente le site avec une deuxième personne que j'ai rencontrée sur facebook, et dont le nom de plume est Thétis. Il est vrai qu'on n'est pas nombreux, d'autant plus que Thétis écrit uniquement pour le week-end mais pour le moment nous gérons assez bien, même si on ne s'est jamais rencontrés en vrai. Comment se fait la version arabophone ? La version arabe d'El-Manchar a été lancée récemment. Pour le moment, c'est ma fiancée qui s'en occupe. Elle se limite à faire des traductions des billets publiés sur le site en français. Je profite d'ailleurs de cette occasion pour lancer un appel à contribution pour la version arabe.