Des «intox» sont le fruit d'un nouveau type de site web algérien : les publications parodiques, qui, depuis quelques mois, fleurissent sur la Toile. Saïd Sadi propose un Ramadhan de 13 jours. Rebrab rachète le journal français Libération. Neymar reconnaît son origine algérienne et explique que son nom de famille est une déformation de «y en a marre». Point commun entre ces trois informations ? Aussi fausses que parodiques, mais pourtant prises au sérieux pas nombre de personnes. Ces «intox» sont le fruit d'un nouveau type de site web algérien : les publications parodiques, qui, depuis quelques mois, fleurissent sur la Toile. Elles inondent les réseaux sociaux d'informations aussi saugrenues qu' «inspirées de la réalité algérienne, dans ce qu'elle a de plus tragi-comique», décrit Nazim, fondateur de l'un de ces sites les plus consultés : El Manchar. Son intitulé ? «Avec des scies, on refait le monde». Il a à son actif des dizaines d'articles qui mettent en scène, et en boîte, des absurdités qui auraient pu être commises par des personnes publiques, ou grossissent le trait de faits divers et phénomène de société. Pourtant, au départ, le pharmacien de 31 ans, n'y voyait qu'une blague, «page facebook, sorte de micro-blog anarco-satirique». En mai dernier, le jeune homme a pour idée de ressusciter le journal satirique mythique qui paraissait dans les années 1990. En l'absence de contributions de caricaturistes, le jeune homme lance un site parodique, à la manière du français Le Gorafi, qui a fait s'étendre l'exercice de style. Et d'ailleurs, le succès connu par El Manchar et consorts n'est pas étranger à leur style et à la présentation de gags formulés ; bien écrits, drôles ou grinçants, mais également crédibles car – faussement – bien documentés. «Nous vivons dans un pays où tout est possible, j'essaie de repousser les limites de l'absurde. Et j'ai l'impression que plus c'est gros et plus ça marche», s'amuse Nazim. «Voilà pourquoi les articles d'El Manchar sont souvent pris au sérieux : la ligne de démarcation entre la fiction et le réel étant devenue quasi-imperceptible», ajoute-t-il. Et c'est cette même réalité «à l'algérienne», qui flirte souvent avec le surréalisme, qui a inspiré les «parents» de Bled Mickey, quolibet donné à l'Algérie par les citoyens. Les administrateurs du site, contactés par mail, n'ont pas souhaité donner leur identité. Ils ont toutefois raconté la création du site, toujours avec humour. «Je suis Bled Mickey, l'enfant caché d'un banquier et d'un journaliste. L'idée est venue un jour où l'un d'eux devait accomplir une formalité administrative, une énième, à la banque, à l'APC ou ailleurs. Lui vient alors l'idée de ce billet : ‘‘Un homme disparu retrouvé trois ans plus tard à la Grande-Poste''.» Voilà donc pour la genèse. La suite sera alors un challenge : «trouver dans la vie quotidienne» de quoi nourrir le site. La «qualité» des articles est telle qu'il n'est ainsi pas rare de croiser des informations parodiques sur des médias «classiques». «Le premier article pris au sérieux, était ‘‘Issad Rebrab rachète Libération''. C'est allé loin, un syndicaliste de Libé ration a dû démentir», se rappelle Bled Mickey. Nazim d'El Manchar de renchérir : «Pour un journal satirique, c'est un peu une consécration !» Récemment d'ailleurs, l'un de ses «gags» concernant Saïd Sadi a fait la une de nombreuses publications, avant de faire le tour des médias arabes, l'un d'eux ayant même promu l'ancien président du RCD au rang de ministre des Wakfs ! Ce qui, selon Nazim, doit donner matière à réfléchir. «Au-delà de l'aspect comique, je pense qu'El Manchar pose très sérieusement la question du professionnalisme journalistique et de la crédibilité des médias», assène-t-il. «D'autant que jamais aucun journaliste ne m'a contacté pour vérifier si mes articles sont suffisamment et correctement sourcés», déplore-t-il. Internet et la course au «scoop» Tel est même le paradoxe de l'information 2.0. Dans ce grand méli-mélo que représente internet, il est de plus en plus compliqué de se fier aux nouvelles présentées aux citoyens. «Internet reconfigure l'ensemble de la vie des médias. Dans cette dynamique, les médias traditionnels sont mis en demeure de fonctionner en suivant le ‘‘la'' des nouveaux médias, en particulier les sites d'infos», analyse ainsi Belkacem Mostefaoui, professeur à l'Ecole supérieure de journalisme d'Alger. «Les personnes qui y activent ne sont pas dans la profession du journalisme, mais bien plus dans les prestations de la communication», poursuit l'expert en médias. Leurs objectifs est la recherche du sensationnel : par tous les moyens, du bidonnage aux usages du «scoop» le plus improbable. Et c'est d'ailleurs pour brocarder les «bidonnages» et les faux scoops d'une certaine presse sportive que le site Le Compétiteur a été créé. Abdel, 21 ans et étudiant en informatique à l'étranger, a commencé la parodie par un faux compte Twitter d'un titre sportif algérien «connu pour ses fausses informations et autres rumeurs». «Face à l'émergence des sites parodiques, j'ai eu l'idée d'en créer un en reprenant le principe. Le nom ‘‘Le Compétiteur'' est en lui-même le mélange de deux journaux qui m'ont inspiré», relate le jeune homme, dans un clin d'œil à ces «médias sérieux, as de l'intox». C'est aussi cette culture du clic et du buzz à tout prix, que ces sites parodiques tentent d'épingler. Ils en reprennent les codes, les titres «choc» et autres tournures de styles «racoleuses». Façon d'amener les internautes à réfléchir à leur façon de consommer l'information, mais les amener aussi à avoir un regard plus critique sur les milliers d'articles produits chaque jour. A qui incombent les interprétations erronées ? Car dans cette course effrénée à l'info qui fera le plus de bruit, le premier à perdre des plumes est le professionnalisme. Pour preuve, les dizaines de fois où des articles parodiques se sont retrouvés en une de certains journaux ou en ouverture des journaux télévisés des nouvelles chaînes privées. On ne sait pas si lesdits organes ont pris des mesures contre les plagiaires, les tentatives de joindre ces rédactions sont malheureusement restées vaines. Mais rien n'est moins sûr. «Bien des patrons de ces entreprises ne se soucient guère du respect des règles de la production du journalisme», estime M. Mostefaoui. Et les principaux intéressés de ces canulars, comment le prennent-ils ? «Certains joueurs n'ont pas saisi le second degré et l'ont mal pris, tandis que d'autres l'ont pris à la rigolade, comme Anthar Yahia, ou d'autres joueurs de l'équipe nationale. Et je tiens à rassurer tout le monde : aucun joueur n'a porté plainte, pas même Lionel Messi», s'amuse Abdel. Et si, jusqu'à présent, aucune suite fâcheuse n'a jamais été donnée aux «fausses révélations» faites, il semble que cela soit tout de même envisagé dès lors qu'un article prend de l'ampleur. «Les personnages publics se sont jusque-là montrés bons joueurs. Pourvu que ça dure. Les articles ne renvoient à aucune occurrence du réel mais juste à des occurrences du possible. On ne peut pas être plus clair. Je fais de la fiction journalistique qui est un exercice qui exige de créer une impression de réel», explique Nazim. Mais dans ces cas de figure, que prévoit la loi ? Les textes régissant les divers corps de la communication et du journalisme ne prennent pas en charge ce type de canulars. L'article 54 de la loi organique sur l'information de janvier 2012 tente ainsi d'esquisser des principes de régulation des sites internet de droit algérien. Toutefois, «mondialisés par définition, les sites internet sont ‘non-sujets de droits'», rappelle M. Mostefaoui. Alors, au final, à qui incombe la responsabilité des interprétations erronées ? A l'émetteur du message, qui précise clairement sa nature parodique, aux récepteurs peu attentifs, ou aux différentes caisses de résonnances, peu scrupuleuses ? Ghania Lassal