– Les cours du baril ont ouvert la semaine en baisse. Le brent a atteint jeudi les 48 dollars et le WTI est descendu jusqu'à moins de 45 dollars. Quels sont les facteurs qui alimentent cette baisse ? La baisse des prix du brent a été forte ces dernières semaines et cette chute s'explique par des faits et par des anticipations. Les faits sont l'excédent de l'offre pétrolière mondiale sur la demande, qui persiste depuis 2014 au moins, l'augmentation de la production pétrolière de l'OPEP — non seulement cette organisation a refusé de réduire son plafond de production en novembre 2014 et en juin 2015, mais, en plus, la production globale des Etats membres a augmenté dans les derniers mois — et le ralentissement de la consommation pétrolière mondiale, en particulier en Chine. Les anticipations portent sur l'accroissement futur de la production et des exportations pétrolières de l'Iran suite à l'accord sur le programme nucléaire de ce pays conclu à Vienne le 14 juillet. Certes, l'accord doit être approuvé et ce ne sera pas facile à Washington, mais l'opinion dominante chez les opérateurs pétroliers sur les marchés est que ce sera le cas — ce qui est le scénario le plus vraisemblable — et que les sanctions contre l'Iran commenceront à être levées à partir de la fin 2015 ou début 2016. – L'AIE a estimé, dans son dernier rapport mensuel, que le marché n'a pas encore atteint son plus bas. Ira-t-on jusqu'à un baril de brent en dessous des 40 dollars ? Les prix peuvent encore baisser même si ce n'est pas une certitude, bien sûr. Rappelons que le brent de la mer du Nord était tombé brièvement à 45 dollars le baril au début de cette année. Outre les facteurs baissiers évoqués ci-dessus, il faut aussi tenir compte du fait que les stocks pétroliers (pétrole brut plus produits raffinés) sont très abondants au niveau mondial, ce qui pèse aussi sur le marché pétrolier. Pour les pays de l'OCDE, ces stocks sont à un niveau record. Nous sommes au troisième trimestre de 2015, donc en été dans l'hémisphère nord, et les besoins de consommation sont moindres qu'au quatrième trimestre et au premier trimestre de chaque année au cours desquels la demande est plus forte en raison des besoins de chauffage. Si l'on mélange un excédent de l'offre sur la demande, une consommation peu dynamique, des stocks très importants et une OPEP qui ne joue pas son rôle traditionnel de régulation du marché, on a un cocktail qui est fortement baissier. On ne peut donc pas exclure des prix de l'ordre de 40 dollars le baril. Ce qui est sûr en tout cas, que ce soit 40, 45 ou 50 dollars, c'est que l'on ne voit pas à court terme ce qui pourrait faire remonter les prix de façon significative. On a beaucoup de facteurs baissiers mais on a du mal à trouver, même en cherchant bien, des éléments qui pourraient contrecarrer le maintien de prix bas du pétrole ou une baisse supplémentaire des cours sous réserve de problèmes politiques majeurs affectant des pays pétroliers. Par définition, on peut difficilement anticiper ce type de facteurs. – Peut-on compter sur un rebond des cours en 2016 ou, au contraire, le marché risque-t-il toujours d'être miné par la surabondance de l'offre, avec l'offre supplémentaire de l'Iran, de l'Irak et de la Libye ? En dehors d'une aggravation des troubles et des tensions au Moyen-Orient, au Proche-Orient et en Afrique du Nord — on ne peut pourtant pas dire que la situation est calme dans ces régions mais elle pourrait s'aggraver, ce que je ne souhaite évidemment pas —, il est probable que 2016 sera encore marquée par un excédent de l'offre. Parmi les trois pays que vous citez, la Libye présente la situation la plus imprévisible. Par contre, il est très possible que la production et les exportations pétrolières de l'Irak continuent à être orientées à la hausse et, pour l'Iran, c'est une certitude si l'accord de Vienne est approuvé. Par contre, en 2016, il est probable que les effets de la chute des prix du pétrole depuis l'été 2014 soient plus visibles. Impact en termes de relance de la consommation et de diminution de la production dans certains pays ou zones à coût de production élevé. Un prix du brent de 50 dollars le baril, c'est vraiment bas et il ne faut pas oublier que, lorsque le brent est à 50 dollars le baril, d'autres bruts sont à 45 ou 40 dollars. L'une des grandes questions pour 2016 est donc la suivante : l'impact des bas prix du pétrole sur l'offre et la demande sera-t-il suffisant pour réduire l'excédent de l'offre ou faudra-t-il attendre 2017 ? L'Iran sera un élément-clé de la réponse. Sa production et ses exportations vont augmenter mais de combien ? Plus 500 000 barils par jour ou plus 700 000 b/j ou plus d'un million de b/j en termes de production l'an prochain ? Selon la rapidité et l'ampleur de la montée en puissance de l'Iran, la réponse à votre question pour 2016 sera assez différente. – L'Arabie Saoudite va-t-elle camper sur ses positions et s'opposer à toute baisse des quotas de l'Opep ? Dans cette partie de bras de fer engagée en 2014, il est peu probable que l'Arabie Saoudite soit la première à flancher. Il en est de même pour ses alliés traditionnels, que sont les Emirats arabes unis et le Koweït, et le Qatar est lui-aussi sur une position similaire. Ces grands producteurs estiment qu'il est trop tôt pour réduire la production alors que la chute des prix n'a pas encore produit tous ses effets et ils ont suffisamment de réserves financières pour attendre. L'OPEP doit à nouveau se réunir à la fin de l'année et je ne crois pas que l'organisation pourra trouver un accord pour une réduction de son plafond de production au cours du premier semestre 2016. Cela dit, aucune position de l'OPEP n'est absolument inflexible. L'Arabie Saoudite et les autres pays cités sont notamment attentifs aux conséquences politiques et sociales des bas prix du pétrole chez eux et dans d'autres pays arabes. Mais, pour faciliter un changement de stratégie au sein de l'OPEP, il serait utile que certains Etats non OPEP soient prêts à faire des concessions. Une nouvelle chute des prix du pétrole pourrait les en convaincre.