Partons de ces deux interrogations, toujours actuelles nous semble-t-il. 1- Avons-nous gagné le «pari de la Quantité» ? Il s'agit du logement bien sûr. Si la réponse est non, ce qui semble probable, cela signifie que nous avons besoin de renforcer l'armature urbaine nationale, de prévoir des zones d'extension urbaine, voire de créer des villes nouvelles. Pour cela, nous avons besoin d'aménager des parties de territoire, de restructurer et de densifier des parties de ville, reconversions ou rénovations urbaines, de produire des terrains à bâtir, d'élaborer des règlements d'urbanisme, et… de vendre des droits à bâtir. Nous avons besoin d'un «Urbanisme de Croissans». 2- Avons-nous commencé à relever le «défi de la Qualité» ? Du logement toujours. Bien que l'on peut déjà s'interroger sur cette dichotomie qualité/quantité, pourquoi cela ne marcherait-t-il pas ensemble ? Et il est tellement évident qu'il faut autant de temps pour faire une maison laide, que pour faire une belle maison. Or, cette question de la qualité est au centre, et de manière on ne peut plus explicite, des objectifs et des méthodes, de ce que l'on qualifie d'«Urbanisme de Gestion». Ce qui ne signifie pas qu'un «urbanisme de croissance» en soit dépourvu. Mais l'on a constaté, après une longue période, de reconstruction et d'explosion démographique, d'après-guerre, dominée par un «urbanisme de croissance», l'apport méthodologique essentiel qu'ont constitué les deux ou trois dernières décennies de pratique d'un «urbanisme de gestion». Pour ce qui nous concerne, au vu de l'état de nos villes, la question d'un besoin de cette Gestion urbaine n'est même pas à poser, elle est criante. QU'EST-CE QU'UN «URBANISME DE CROISSANCE» ? L'urbanisme de croissance répond à un contexte de pénurie aiguë, de logements notamment, ou de croissance urbaine rapide et il adopte une démarche de planification stratégique qui ne prend tout son sens et son efficacité que dans la préparation d'objectifs de développement sur le très long terme. L'urbanisme de croissance relève de problématiques relatives aux échelles de l'aménagement du territoire ou d'un schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme régional, ou d'agglomération. La planification urbaine stratégique a des schémas méthodologiques qui lui sont propres : – un champ discontinu de décision, résultant d'une hiérarchie formelle dans les échelles : SNAT, SDAU, POS, règlement d'urbanisme, politique de la ville, etc. ; – une coexistence de différents modes de décision en rapport avec une coexistence de plusieurs types de démarches professionnelles, la notion d'espace urbain revêtant un caractère polysémique ; – et un cadre de prises de décision de nature politique, et donc structurellement inéquitable, du fait des jeux d'acteurs rarement consensuels. Un urbanisme de croissance à toute sa raison d'être aujourd'hui dans le pays, tant les besoins quantitatifs restent importants en matière d'infrastructures, de logements, d'équipements. D'autre part, l'Etat souhaite encourager le développement, et par voie de conséquence le peuplement des régions des hauts-Plateaux et du Sud. Une politique de villes nouvelles a même été esquissée ; se concrétisera-t-elle ? Il est permis d'en douter. Mais cet urbanisme de croissance, à dominance technocratique, contribue à opposer fonctionnaires et élus, et plus généralement à marginaliser les citoyens et à ignorer leurs aspirations. Cet urbanisme technocratique a fini par provoquer la méfiance du citoyen et une crise de l'intérêt général et de l'utilité publique dont il a largement abusé sous la forme d'une tautologie : sont d'intérêt général ou d'utilité publique ce que l'Etat (technocratique) juge d'utilité publique ou d'intérêt général. C'est pourquoi les conflits territoriaux se durcissent et les mouvements citoyens se radicalisent. Quand les citoyens, par exemple, manifestent une préférence pour un habitat individuel, la technocratie d'Etat répond par une défiance à l'individualisme et au mitage de l'espace rural ou naturel. N'y a-t-il pas alors des solutions à rechercher ? Il reste cependant difficile d'associer le citoyen et de déployer une large démarche participative à l'élaboration d'une politique de planification urbaine. En effet, de par ces enjeux trop abstraits et ces objectifs de long terme, une telle politique ne parle pas aux préoccupations des gens. Par contre, dans ces phases d'application successives, règlementaires et opérationnelles, la planification urbaine a pu bénéficier des apports méthodologiques de l'urbanisme de gestion, qui lui a succédé, grâce aux démarches participatives et aux avancées de l'aménagement durable. QU'EST-CE QU'UN «URBANISME DE GESTION» ? Avec le tassement des besoins quantitatifs et le ralentissement de la croissance urbaine s'est développé, d'abord dans le monde occidental, un nouvel urbanisme de gestion qui s'est attaché à prendre en charge la qualité du vécu quotidien des citoyens dans la ville. Au cœur de la démarche de cet urbanisme, il y a la Valeur d'Usage. C'est par ces valeurs, souvent vernaculaires, que se réalise l'adéquation entre un mode de vie et un cadre de vie. C'est, en effet, de la manière dont les habitants s'approprient les lieux que s'apprécie la réussite d'une opération d'aménagement. L'occultation de ces valeurs, par contre, a engendré les échecs les plus retentissants d'opérations d'urbanisme et d'aménagement. La référence à ces valeurs d'usage porte essentiellement sur la formation d'«Images Sociales» et de «Mémoires Collectives». Ce système d'images a engendré de nouvelles méthodes participatives, d'analyses, d'études, de prises de décision et d'action dans toutes les branches de l'urbanisme de gestion. Dans l«URBANISME PARTICIPATIF» Il s'agit d'une méthodologie relative à l'esprit et aux pratiques de la participation. La démarche se caractérise de la manière suivante : – constater la subjectivité des jugements et reconnaître que cette subjectivité implique des références implicites à une mémoire collective des lieux ; – comprendre et analyser ces jugements et ces références collectives ; – rechercher dans quelle mesure des jeux de signes sociaux sont en cause ; – expliciter en définitive ce qui fait l'Esprit des Lieux. L'intérêt de ce travail méthodologique réside : – dans l'apport d'informations sur l'état des lieux, essentielles au pouvoir décisionnel et à l'aménageur pour l'élaboration des projets ; – dans la facilitation qu'il apporte à l'appropriation des lieux et des nouveaux espaces aménagés par les citoyens. DANS L'«URBANISME REGLEMENTAIRE» Avec le transfert de la compétence en matière d'urbanisme à l'échelon de la commune, les POS communaux tendent à jouer le rôle d'outil de planification stratégique locale. Ils le sont davantage lorsqu'une large démarche participative leur est associée. Il s'agit en l'occurrence d'amener les citoyens à s'exprimer sur la manière dont ils souhaitent vivre ensemble sur le territoire concerné, de leur faire préciser quelles parties de ce territoire ils entendent conserver dans leur aspect actuel et quelles autres parties ils souhaitent voir se transformer. La référence aux mémoires collectives des lieux est ici évidente et les règlements qui sont générés dans les différentes zones du POS doivent faire appel à une analyse des formes architecturales et urbaines héritées du passé et de l'Histoire. Les jeux de signes sociaux qui se sont constitués dans le passé et qui figurent dans la mémoire collective des lieux doivent être précisés et explicités. La bonne démarche consiste à rechercher ce qui fait Sens aux yeux des habitants et de définir les règles qui permettront de maintenir la cohérence d'un discours collectif implicite sur l'Esprit des Lieux. Dans ce travail, l'attention, la délicatesse et la sensibilité sont des qualités essentielles des intervenants ; une grande humilité est nécessaire pour ne pas occulter la lecture de ces jeux de signes sociaux par des jugements de valeur a priori hâtifs et personnels. DANS L'«URBANISME PATRIMONIAL» Le cas particulier du patrimoine monumental urbain qui appartient à la mémoire collective nationale ne peut pas être préservé par une simple démarche locale. Sa préservation appelle un traitement technocratique reposant sur une compétence professionnelle spécifique. La vie du citoyen doit pouvoir continuer à évoluer dans des quartiers protégés tout en maintenant les valeurs collectives inhérentes au patrimoine national. Réaliser ces conditions d'un cadre de vie très particulier est difficile, mais bien évidemment essentiel pour la communauté nationale. DANS L'« URBANISME OPERATIONNEL» Pour l'urbanisme opérationnel, il s'agit en fait d'opérer le passage d'un urbanisme de croissance à un urbanisme de gestion avec tout l'apport de connaissances provenant des méthodes de l'urbanisme participatif. Le pouvoir décisionnel local et l'aménageur définissent les caractéristiques physiques de l'image sociale qu'ils veulent promouvoir sur le long terme. Les promoteurs qui eux agissent dans le court terme vont proposer de réaliser des images sociales d'immeubles ou de maisons interprétables par les habitants ou les futurs acquéreurs. La démarche de l'aménageur implique une attention constante aux dynamiques sociales et à la coordination de la production des espaces publics et des équipements, qu'il mène directement, avec la réalisation des systèmes d'habitat proposés par les promoteurs. Une dialectique complexe, et parfois imprévisible, amène les habitants, nouveaux et anciens, à s'approprier les lieux avec plus ou moins de satisfaction… qu'il faudra bien entendu gérer. Le projet d'urbanisme doit donc à la fois être fini et explicité pour les premiers arrivants et ouvert aux futurs arrivants afin qu'ils puissent à leur tour intervenir sur la poursuite des opérations, encourageant ainsi une démarche collective d'appropriation, tout en sachant que cette appropriation de l'espace peut engendrer des modes d'utilisation imprévus et peut-être même des détournements d'objectifs, phénomènes bien connus des professionnels de l'aménagement et des architectes. DANS L'«URBANISME DURABLE» La ville et l'environnement urbain peuvent être pensés en termes d'écosystèmes naturels ou artificiels imbriqués les uns dans les autres. La démarche dans ce domaine de l'urbanisme va consister soit à préserver ces écosystèmes, soit à les faire évoluer, avec modération et prudence pour ne pas compromettre l'avenir. Ces écosystèmes constituent de fait des «Mémoires collectives matérielles» qui ont leur propre logique, le plus souvent des mémoires d'échelles géographiques. L'aménagement durable exige une connaissance préalable approfondie de ces écosystèmes locaux qui résultent des conclusions des études d'impact environnementales et implique un art de l'action progressive et en douceur, tout cela recoupe en fait les démarches précédemment évoquées de l'urbanisme opérationnel avec ses dispositions d'atténuation ou de compensation, POUR CONCLURE PROVISOIREMENT Nous avons certes des besoins quantitatifs importants à résorber. Nous sentons aussi qu'il est urgent d'engager une véritable gestion de nos villes. Par ou commencer ? Chacun aura compris, par les deux en même temps. L'enjeu est majeur, il s'agit ni plus ni moins, et dans l'immédiat, de prévenir des explosions sociales, ou le pire est à craindre, de lutter contre la pauvreté, les inégalités, contre toutes les formes de ségrégation, à travers une mixité spatiale et le renforcement des liens sociaux, de proximité et d'identification. Il s'agit d'avoir un citoyen fier de son quartier, de sa ville. Il s'agit de ne pas laisser la fracture et la facture sociale, qui risque d'être exorbitante, à nos enfants et nos petits-enfants. L'enjeu est de taille, nul n'en doute, il se joue principalement à deux niveaux : – au niveau local, qui fait Sens ; – au niveau national, où il revient de lier ces Sens à des objectifs de politiques publiques d'aménagement et d'urbanisme. La décentralisation de la décision en la matière doit être effective, et doit organiser un large et véritable transfert des compétences au profit des APC. Ce transfert de pouvoir, qui doit aller des fonctionnaires au profit des élus locaux, s'appuie sur un souhait légitime des citoyens, un besoin de concertation, pour une meilleure gestion de la ville et une plus grande satisfaction des citoyens. Le citoyen ne demande pas «qu'on lui règle ses problèmes», mais tout simplement «qu'on le laisse libre de participer à la résolution de ses problèmes»,… et la société, déjà, s'en porterait bien mieux. Pour cela, les APC devront être dotées d'une structure forte, dédiée à ces tâches et ces enjeux, de moyens humains pluridisciplinaires, et spécialement formés, et de moyens financiers pour mener des actions multisectorielles, et s'engager dans une véritable maîtrise du développement urbain et de la gestion de nos villes.