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Chronique d'un conflit social qui sent le soufre
Publié dans El Watan le 21 - 08 - 2015

S'apitoyer sur leur sort, les 350 sidérurgistes d'ArcelorMittal Pipes and Tubes Algérie (Ampta), en grève illimitée depuis avril dernier, ne le veulent plus.
Bien que la direction générale leur signifie que leurs revendications sont «impossibles à satisfaire», les travailleurs de cette filiale – dont le leader mondial de l'acier ArcelorMittal contrôle les actifs à hauteur de 70%, le reste étant détenu par le groupe public Sider – prévoient de radicaliser leurs actions.
A l'origine de ce conflit social, le plus long de l'histoire du complexe, une trop faible révision à la hausse du régime indemnitaire, totalisant 3500 DA (entre primes variables et fixes) par travailleur, dénoncée et rejetée par le partenaire social.
La revendication des grévistes, unanimement partagée, s'élève à 4000 DA (en fixe) : «Nous ne voulons pas de leurs miettes, surtout quand on connaît les capacités de l'entreprise.
Le relèvement demandé se limite à deux sur les vingt-deux points relatifs au régime indemnitaire prévu dans la convention collective déjà négociée», peste Lotfi Farah, secrétaire général du syndicat Ampta, filiale spécialisée dans la fabrication des tubes en acier destinés à l'industrie pétrolière, gazière et hydraulique et dont les capacités s'élèvent à 30 000 t/an.
Ces deux points, détaille-t-il, consistent à porter la prime de femme au foyer (salaire unique) de 1500 à 3000 DA et la prime de panier de 350 à 500 DA/jour.
Ce à quoi la direction générale a opposé un niet catégorique, tout en réitérant son appel au dialogue mais à une condition : désormais, la direction ne veut plus de Abdelghani Atil ni Lotfi Farah, respectivement président du Comité de participation (CP) et secrétaire général du syndicat d'Ampta, à la table des négociations.
Etant sous le coup de décisions de licenciement irrévocable, notifiées en juillet dernier, donc n'ayant plus de relation de travail avec l'entreprise, les deux syndicalistes sont également interdits d'accès au complexe sidérurgique d'El Hadjar. «Nous sommes favorables au dialogue. Mais, vu que Atil et Farah ont fait l'objet d'une décision irrévocable de licenciement, le bureau syndical devrait se faire représenter par d'autres collègues.
Ainsi, nous serions en mesure de trouver un terrain d'entente et mettre fin à cette situation qui n'arrange personne», insiste, dans une déclaration, au téléphone, Salah Hachelfi, DG d'Ampta. La réponse des 350 grévistes est non moins catégorique : «Pas question de dialoguer sans Farah et Atil.
La DG n'a pas à s'immiscer dans les affaires se rapportant à la représentativité des travailleurs. C'est à ces derniers et seulement à eux de décider qui est habilité à les représenter. Ni la centrale syndicale, ni l'union locale, ni l'union de wilaya, ni l'AG ne les ont destitués de leur statut».
Tribunaux
Les relations entre les grévistes, leur syndicat et la direction restent tendues et après plus de 5 mois de conflit, entrecoupé de pauses pendant le Ramadhan, les fêtes religieuses et les week-ends, ils ne veulent rien lâcher de leur position initiale. Le conflit s'est même projeté au-delà des frontières de l'usine qui s'étale sur 800 hectares. Direction et syndicat s'affrontent sur le terrain judiciaire et médiatique.
Une dizaine de dépôts de plainte émanant des deux parties ont atterri chez les juges du tribunal d'El Hadjar. Un nouvel acteur est, toutefois, entré en scène, ces derniers jours. Il s'agit du syndicat d'entreprise ArcelorMittal Algérie (AMA) dont l'empire Mittal a cédé 21% des actifs au profit du groupe public Sider et du Fonds national de l'investissement (FNI).
En effet, réagissant à ses propos publics, où il faisait part de son «soutien inconditionnel à la démarche des actionnaires, du conseil d'administration et de la direction générale» à l'égard du conflit, 22 des 33 membres du conseil du syndicat d'entreprise AMA ont décidé, à l'unanimité, du retrait de confiance au SG, Noureddine Amouri.
L'accusant de «traîtrise», ainsi qu'écrit dans une correspondance officielle, adressée à plusieurs instances, dont l'UGTA-union de wilaya, l'inspection du travail, le président du conseil d'administration AMA, avec copies au procureur général ainsi qu'au chef de sûreté de wilaya de Annaba, les 22 membres ont convenu de se passer des services de ce responsable syndical, d'autant que, notent-ils, son élection à la tête du syndicat d'El Hadjar était au départ entachée d'irrégularités.
Destitution
S'en est alors suivie une bataille d'ego syndico-syndicale. Amouri n'a pas tardé à répliquer. «Infondées, toutes ces accusations m'indiffèrent.
Elles n'altèrent en rien la pleine confiance dont m'ont investi mes collègues du conseil syndical et les milliers de travailleurs. Je suis le premier responsable légitime et légal du syndicat d'entreprise AMA», se défend-il, par médias interposés, mettant en avant sa détermination à préserver, dit-il, «la bonne marche du pacte de stabilité sociale». Surtout qu'en est tributaire, argumente-t-il, la mise en route vitale du plan de développement industriel et de réhabilitation du complexe pour lequel a été affectée une enveloppe de plus de 763 millions de dollars.
La réponse de ses opposants ne s'est pas fait attendre. Une assemblée générale des travailleurs de l'usine, dimanche 16 août, a été tenue pour officialiser le retrait de confiance à Amouri et convenir d'un nouveau plan d'actions en faveur de leurs collègues grévistes d'Ampta.
Il était environ 11h30 lorsque plus d'un millier d'ouvriers d'El Hadjar – selon le décompte de Saci Chaabna, huissier de justice, présent sur place – s'étaient rassemblés, à quelques mètres du siège du syndicat. Y ont été votées, haut la main, la dissolution de l'actuel syndicat d'AMA, la vacance du fauteuil de SG, jusqu'alors occupé par Noureddine Amouri.
Et c'est sous un tonnerre d'applaudissements que l'assistance a dit oui à la nomination de Daoud Kechichi, en tant que porte-parole officiel des plus de 3500 travailleurs d'AMA au cours de cette période transitoire, en attendant «la décision de la centrale syndicale, l'union de wilaya ainsi que l'union locale UGTA relative à l'organisation d'une AG élective au terme de laquelle devrait être renouvelée la composante du désormais ex- syndicat d'El Hadjar». Il a été également unanimement «ordonné» la réintégration, dans un délai de 24 heures, à leur poste de travail le président du CP et le SG du syndicat Ampta (Abdelghani Atil et Lotfi Farah).
«Nous exigeons la satisfaction de l'ensemble des points de la plateforme revendicative de nos collègues d'Ampta. Leur combat légitime, juste et sincère, est aussi le nôtre», criaient d'une seule voix les travailleurs, ajoutant : «A partir d'aujourd'hui, si l'on touche à un seul cheveu de nos collègues grévistes, l'employeur devra en assumer les conséquences.» L'assistance était allée encore plus loin dans ses mises en garde, pour ne pas dire ses menaces : «Nous exigeons l'application, à la lettre, de l'ensemble des clauses du pacte social scellé avec la DG AMA, les revendications incluses dans la convention collective dont l'organigramme, fiches de poste, la révision du règlement interne, celle du statut de la zone chaude ainsi que le remplacement des 1500 travailleurs mis à la retraite en 2014…» Sinon, affirme Kechichi, «nous ferons tout pour qu'aucun centime ne puisse être débloqué par l'Etat pour le financement du plan industriel d'investissement».
Solidarité
Car, poursuit-il, «en réalité, le partenaire étranger cherche à s'approprier cette aubaine, au détriment des intérêts du complexe, c'est-à-dire de l'Algérie, ainsi que de celui des 3500 pères de famille».
Cette mise en garde, les travailleurs et leurs représentants la destinaient également au président de la République, au Premier ministre ainsi qu'au ministre de l'Industrie : «Ras-le-bol des injustices, des humiliations, des intimidations, des menaces et des abus de pouvoir à l'égard des ouvriers algériens dont fait preuve l'employeur étranger, depuis son installation en Algérie», s'indignent Kamel, Salah, Azzeddine, Ouahab et Naouri, des techniciens et des agents exerçant aux unités Haut Fourneau et Laminoir à chaud (LAC).
En témoignent, énumèrent-ils, «les séries de licenciements, pour la plupart arbitraires, les compressions d'effectifs continues auxquelles a eu recours l'employeur : le nombre de travailleurs du complexe est passé de plus de 12 000 à environ 4000 et à court terme, il projette de l'amener à 2000».
L'AG de dimanche était une sorte de bouffée d'oxygène pour les travailleurs du complexe, mais aussi et surtout pour les 350 collègues grévistes d'Ampta, «sans salaire depuis environ trois mois». La solidarité, exprimée par leurs pairs des autres filiales, est perçue comme «lueur d'espoir» d'un dénouement heureux d'un conflit qui n'a que trop duré : «La position courageuse du syndicat d'entreprise AMA nous a quelque peu réconfortés», s'enthousiasmaient les grévistes de l'ex-Tuberie sans soudure (TSS), devenue Ampta.
Malheureusement, cette lueur d'espoir s'est vite dissipée : leur nouveau porte-parole a été suspendu le jour même de l'AG (dimanche) par la direction générale d'AMA, «pour avoir incité les travailleurs à un regroupement illégal au sein du complexe, causant des troubles et ayant porté de graves atteintes à la stabilité de la société».
Outre la suspension, Daoud Kechichi est, depuis lundi, interdit d'accès à l'usine et devrait répondre de ses actes devant le juge, puisque une action est engagée à son encontre par l'employeur. Sa riposte a été immédiate : soutenu par des centaines de travailleurs du complexe, Daoud Kechichi a réussi, mardi, à franchir la porte d'«el barraka», siège du syndicat AMA, où il a décidé de lancer une grève de la faim.
Contacté mercredi, il a lancé, la voix à peine audible : «Que la DG et ses serviteurs le sachent : Kechichi est à l'intérieur du complexe. Il se trouve précisément au bureau du SG du syndicat et il est en grève de la faim.» Par cette action, le protestataire entend dénoncer «l'arme habituelle : les menaces et les intimidations».
Impasse
Cette action de protestation n'a pas duré longtemps. Sur instruction de la DG, les agents de la société de gardiennage SGS sont intervenus, mercredi, pour libérer le siège du syndicat. Kechichi quitte les lieux et rompt sa grève de la faim. Depuis, plus rien. Aucun signe positif. La sortie de cette zone de turbulences que traverse El Hadjar s'avère complexe. Tous les observateurs l'affirment : à Ampta comme dans tout le complexe sidérurgique, une sévère crise se profile inévitablement à l'horizon. Santé économique très peu enviable et instabilité sociale récurrente, aggravées par cette longue grève à l'ex-TSS, risquent d'amener le complexe sidérurgique au bord du précipice financier.
Certes, les syndicats d'où qu'ils soient issus (filiales ou société mère), en lutte quasi permanente contre l'employeur, ne sont toujours pas près de lâcher du lest.
Mais le fait que ce nouveau bras de fer, qui a valu à Jakani Saad, l'ex-DG d'Ampta – d'août 2012 à Juin 2015 – son rappel au siège luxembourgeois du groupe ArcelorMittal, s'éternise, incombe aussi à la direction générale. Au vu de la placidité inexpliquée de la tutelle (ministère de l'Industrie), de la centrale syndicale et de l'irresponsabilité dont font souvent preuve ses dirigeants au sommet, le constat d'impasse n'est guère surprenant, estiment les observateurs.
Et ceux qui détiendraient les vérités «interdites» sur les véritables instigateurs de la campagne de déstabilisation dont est victime Ampta sont à chercher, peut-être, du côté de Sonatrach, qui sera contrainte de se tourner vers le marché extérieur pour s'approvisionner en tubes.
Avec une commande issue de la compagnie pétrolière de 952 km de pipelines pour le transport des hydrocarbures, une autre de 25 000 tonnes de tubes pour le transport de gaz passée par Naftal, Ampta risque de ne pas mener à terme son important plan de charge.
Pour Sonatrach, les plannings contractuels de livraison ne devaient pas dépasser fin juin 2015, alors que la filiale a, pour l'instant, pu livrer seulement 60 à 70% de la commande. S'agissant de Naftal, la commande est en passe d'être finalisée, les négociations étant toujours en cours.
«Nous avons une commande s'élevant à plus de 20 000 tonnes, l'équivalent de plusieurs centaines de kilomètres de tubes en acier sans soudure que nous devons honorer en deux ans, et ce, en plus d'autres commandes de tubes, de haute précision, utilisés dans l'enveloppe des puits de forage gaziers et pétroliers de Sonatrach ainsi que ceux destinés au transport de gaz/pétrole et autres tubes de forage hydraulique.
Cette grève est lourdement pénalisante. Les pénalités de retard sont comptabilisées à partir de la date limite de livraison et les grévistes sont loin de l'ignorer», nous confie un cadre dirigeant de l'entreprise.
C'est à se demander si l'ombre de Farid Bedjaoui et son mentor Chakib Khelil ne planait pas encore là où il faut. Car, sous leur règne, révèle le député du Parti des travailleurs et ex-SG du syndicat d'El Hadjar, Smain Kouadria, les achats internationaux de Sonatrach en tubes sans soudure s'effectuaient globalement auprès d'un intermédiaire libanais, un proche de la belle-famille de Farid Bedjaoui.
Depuis le déclenchement de la grève, plus de 3000 tonnes de tubes semi-finis sont en souffrance au port de Annaba. ArcelorMittal Annaba les avait importées d'Ostrava, en République tchèque, où le leader de la sidérurgie mondiale est propriétaire de grandes usines de production d'acier.


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