Azza Zarad craint pour la vie de son époux, le journaliste tunisien Taoufik Ben brik, dont le procès en appel pour une affaire de droit commun se tient aujourd'hui à Tunis. Elle a repris hier l'avion pour Tunis après un déplacement de trois jours à Paris et à Strasbourg, où elle a eu de nombreux contacts avec des responsables politiques, des médias français et des parlementaires européens. Une soirée pour les libertés en Tunisie et pour la libération immédiate des journalistes, Taoufik Ben Brik, gravement malade, emprisonné depuis le 26 novembre, et Zouheir Makhlouf, toujours détenu, bien qu'il ait épuisé sa peine de trois mois, a été organisée, mercredi soir, à la mairie du 2e arrondissement de Paris, à l'initiative d'organisations de défense des droits de l'homme tunisiennes, de la FIDH, de la LDH, de RSF et des amis(es) de Taoufik Ben brik. Azza Zarad a bien voulu répondre à nos questions. Avez-vous bon espoir quant à l'issue du procès en appel de Taoufik qui sera rendu aujourd'hui ? Vu l'état de santé de Taoufik, j'espère qu'il sera libéré sur la base de son dossier médical. Vous êtes depuis mardi à Paris, après un déplacement à Strasbourg, quels soutiens avez-vous reçus ? J'ai rencontré tout le bouclier cher à Taoufik, les médias qui lui ont manifesté leur soutien. Des médias français ? Essentiellement des médias français, puisque Taoufik écrit pour des médias français. C'est pour cela que je me suis adressée à la France en premier lieu. Mais si je n'obtiens pas le résultat que j'attends de la France, j'irai vers d'autres pays où j'espère réaliser le but pour lequel je suis venue, la libération de Taoufik. J'ai rencontré aussi des personnalités politiques, la première secrétaire du parti socialiste, Martine Aubry, qui m'a chaleureusement accueillie et qui a été très sensible au cas de Taoufik, un cas humain urgent et qu'il faut régler dans l'urgence. J'ai aussi rencontré Marie-George Buffet, secrétaire nationale du parti communiste qui a exprimé beaucoup de compassion et de soutien ; j'ai aussi rencontré le président du groupe d'amitié franco-tunisien au sénat, Jean-Pierre Sueur qui a été lui aussi sensible à la question humaine, j'ai eu un contact avec Daniel Cohn Bendit et José Bové, des parlementaires européens à Strasbourg en charge du Maghreb. Au parlement européen, la délégation qui m'accompagnait (lire ci-joint, ndlr) et moi-même, nous avons témoigné de la situation de la Tunisie au quotidien, nous avons exposé le cas des étudiantes qui sont en prison pour avoir demandé leur droit au logement en cité universitaire, nous avons parlé de l'autre journaliste, Zouheir Makhlouf, qui est encore en prison bien qu'il ait purgé sa peine en totalité. Nous avons aussi évoqué le cas des prisonniers du bassin minier de R'daïf, sans parti pris. Il est question de la dignité et des libertés des Tunisiens. Et du côté des médias arabes ? Les confrères algériens de Taoufik, dont Omar Belhouchet, que Taoufik aime beaucoup, et les journalistes du quotidien El Watan, nous ont exprimé une solidarité inconditionnelle. Nous avons reçu aussi des marques de soutien du Maroc, du Liban et d'Egypte. Avec mon internet qui est souvent coupé, je n'ai pas accès à toutes les informations. En Allemagne aussi on a un soutien important. Depuis que Taoufik est en prison, la Tunisie est dans les journaux du monde entier, j'ai vu des articles dans des langues que je ne connais même pas. on a parlé de Taoufik en Palestine et même dans des pays africains. Et les Tunisiens, comment réagissent-ils ? Un comité indépendant de journalistes s'est constitué et soutient Taoufik et Zouheir Makhlouf, il a même organisé une journée de grève de la faim, des féministes ont publié un appel dans lequel elles disent que « ce n'est pas parce que Taoufik Ben brik est féministe que nous le soutenons, mais parce que nous savons qu'il n'est pas capable d'actes de violence envers une femme », et elles ont manifesté leur indignation face à l'instrumentalisation de la femme. Qu'attendez-vous de la communauté internationale ? J'ai constaté que les personnalités politiques avec lesquelles je me suis entretenues sont sensibles à la question des droits humains en Tunisie. Elles sont conscientes des dépassements et qu'il y a une différence entre la théorie, les conventions, les chartes signées et le quotidien vécu par les Tunisiens. Certaines démocraties européennes jouent le jeu de la complaisance, on finira par les convaincre d'arrêter de jouer ce jeu parce qu'elles sont complices d'un crime à l'encontre d'un peuple qui aspire à la dignité et à la liberté. Comment expliquez-vous l'acharnement des autorités tunisiennes contre Taoufik Ben brik et les journalistes qui se battent pour la liberté d'expression et l'Etat de droit ? C'est tout un état d'esprit, toute personne qui écrit dans un sens contraire touche à l'interdit. Le pouvoir en Tunisie est devenu en quelque sorte sacré, on n'y touche pas. Depuis 1988, on a muselé les journalistes, ce n'est pas nouveau. Le 11 septembre a été fatal aux journalistes. Un nouveau cap a été franchi par le régime tunisien, celui de monter des procès de droit commun aux journalistes pour éviter les procès d'opinion et les procès d'ordre politique. Est-ce que vous ressentez l'impact et l'influence du combat de Taoufik Ben brik et de ses camarades sur la société tunisienne ? Les choses bougent-elles ? La société étouffe, les gens sont étouffés et comme le dit si bien notre poète Abou El Qassim Echabbi : « sous les cendres, il y a la braise. » Derrière chaque Tunisien, il y a un policier, on est sur écoute, les gens n'osent même pas parler chez eux, on parle à voix basse chez soi lorsqu'on parle du régime, c'est pour vous dire à quel point on a peur, on n'a confiance en personne, on est assiégé. Moi, je ne peux pas rendre visite à qui je veux, mes amis ne peuvent pas venir chez moi, malgré cela, les Tunisiens sont solidaires, les gens en ont marre. Quand cela va-t-il réellement bouger ? on ne le sait pas, c'est un système tellement pernicieux, tellement cynique qu'il ne laisse pas beaucoup d'espoir. La ville de R'daïf a été assiégée pendant six mois, aucune personne ne pouvait en sortir ni y entrer. Est-ce que vous arrivez, malgré tout, à communiquer ? Il m'est très difficile de communiquer avec les gens. L'Algérie est inaccessible par téléphone, ainsi que Reporters sans frontières. Mon téléphone ne sonne jamais, sauf à certains moments, pour la famille, ou quand ils se fâchent ou qu'ils estiment que je suis allée trop loin, comme lorsque j'ai publié un démenti pour répondre au Quai d'Orsay, ce jour-là ni ma mère ni mes enfants ne pouvaient me joindre. Et vos enfants, dans quel état d'esprit sont-ils ? Mes enfants sont terrorisés. Quand il voit la police, mon fils me dit : « maman, vite, vite on monte dans la voiture, ou vite on rentre à la maison avant qu'ils nous fassent quelque chose. » La police l'a même escorté jusqu'à l'école. En 2000, mon fils a eu un choc et j'ai dû le faire soigner, il était devenu un autiste social, il ne communiquait plus, il ne jouait plus avec les enfants. Et maintenant, ça reprend. Vous continuez de travailler ? La liberté et la dignité passent avant tout. Je suis prête à mourir. Aux policiers qui stationnent devant ma maison, moi et mes deux enfants, nous disons : « Messieurs, avancez et tuez-nous », nous n'avons plus rien à perdre. Rien. Nous préférons mourir que vivre sous la persécution de la police qui ne nous lâche pas. Vous avez vous-même ainsi que la famille de Taoufik observé pendant trois semaines une grève de la faim que vous avez arrêtée à la demande publique de vos soutiens, mercredi soir. Pourquoi cette grève ? Nous n'avions plus d'autres moyens, on nous avait muselés, nous ne pouvions plus faire passer notre message. Il fallait donc faire une nouvelle action pour sensibiliser les gens sur la gravité de la situation et à l'urgence de la libération de Taoufik parce qu'il risque de mourir à chaque instant, même chez lui. Taoufik souffre d'une maladie très rare, le syndrome de cushing, soit un dysfonctionnement des glandes surrénales qui régulent le métabolisme. Cette maladie engendre un manque d'immunité, des allergies et un état d'extrême fatigue. Les glandes surrénales défaillantes sont remplacées par un médicament dont le dosage est minutieux et variable et qui doit être pris à des heures fixes. Récemment, un prisonnier est mort parce qu'il n'a pas eu les soins nécessaires au moment voulu. Taoufik est dans une prison de Siliana, à 130 km de Tunis, où il n'y a pas d'infrastructures hospitalières et la route jusqu'à Tunis est très mauvaise. D'où l'urgence de le libérer. On a droit à cinq minutes de visite une fois par semaine, on n'a le droit de parler de rien, seulement des enfants. C'est une véritable punition, parler à Taoufik de la solidarité internationale lui donnerait un bon moral, c'est ce qu'ils ne veulent pas.