« A quoi sert l'actuel Parlement ? Absolument à rien. La raison est que le Président dispose concrètement du pouvoir et il en use et abuse à sa guise », estime le politologue Rachid Grim. Pour lui, l'Algérie se trouve de fait dans un régime présidentiel, sans aucun contre-pouvoir, absolument comme dans les systèmes dictatoriaux ou totalitaires. La session d'automne du Parlement prend fin dans quelques jours (3 février) sans avoir adopté de projet de loi, mis à part la loi de finances 2010. Comment expliquer ce « chômage parlementaire » ? Bien que le Parlement (les deux chambres confondues) n'ait jamais fait preuve de diligence ni de zèle dans son travail de législateur, c'est en effet la première fois qu'une session ordinaire va prendre fin sans qu'il ne vote aucune loi autre que la loi de finances. Il semblerait que même si ce n'était pas une exigence constitutionnelle et que l'Etat pouvait fonctionner sans loi de finances, cette dernière n'aurait pas été mise à l'ordre du jour. Le seul « travail » qu'a connu la session qui prend fin a été réservé à poser quelques questions (sans virulence ni insistance) aux membres du gouvernement. Les ministres concernés auraient traîné les pieds pour venir répondre aux questions des députés. Certaines questions remontaient en effet à la session antérieure. Tout cela met en évidence une chose : le Président n'aime pas les contre-pouvoirs. Et même si le Parlement, dans ses deux composantes, n'a jamais été rien d'autre qu'une chambre d'enregistrement, il lui est arrivé parfois de déranger la quiétude des gouvernants en abordant des problèmes gênants pour le pouvoir. Certains leaders de l'opposition – le RCD surtout et, quelquefois, le PT – font entendre des voix dissonantes, vite rapportées par la presse privée. Le Président tient à faire savoir qu'il n'y a qu'un seul pouvoir en Algérie : le sien. Tout le reste ne compte pas. Et le pire c'est que tout le monde, y compris les partis de l'opposition – qu'ils disposent ou non de députés ou de sénateurs- s'en accommode. Même par le passé, l'APN n'a jamais pris l'initiative de faire des propositions de loi. Tous les projets sont l'émanation du gouvernement. Ne pensez-vous pas que l'Exécutif a réduit le Parlement à une simple « chambre d'enregistrement » ? Ce problème est étroitement lié au premier. Il n'y a en Algérie qu'un seul pouvoir, celui de l'Exécutif. Et même ce dernier, à la suite de la dernière révision constitutionnelle, se limite au seul président de la République qui en est le seul chef. Nous nous trouvons de fait dans un régime présidentiel, sans aucun contre-pouvoir, absolument comme dans les systèmes dictatoriaux ou totalitaires. L'initiative des lois par le Parlement, si elle était appliquée, lui permettrait de reprendre en main une partie du pouvoir qui lui est conféré par la Constitution et par la même occasion redorerait son blason. Cela est totalement inacceptable dans le système politique en place. Seul le Président dispose concrètement du pouvoir ; il en use et abuse à sa guise. En fait, la pratique des propositions de lois relevant de la seule initiative de l'Exécutif est aussi vieille que l'APN. Cela s'est toujours pratiqué. Le système politique algérien a toujours refusé qu'il y ait des contre-pouvoirs réels. L'actuel Président n'a dans ce cas rien inventé de nouveau. Il n'a fait que continuer une pratique ancienne qui l'arrange. Comment peut-on expliquer le recours excessif aux ordonnances pour légiférer ? Depuis un certain temps déjà, on assiste à ce qui paraît être – et qui l'est réellement – une dérive qui consiste à attendre la fin des sessions parlementaires pour légiférer par ordonnance. La Constitution donne ce pouvoir au président de la République qui ne devrait en user, en principe, que pour les cas les plus urgents qui ne peuvent attendre la reprise des sessions parlementaires normales. Or, il n'échappe à personne que le Président use et abuse de cette pratique pour des raisons qui n'ont aucun lien avec l'urgence de faire passer une loi. La Constitution prévoit en effet la possibilité d'organiser des sessions extraordinaires du Parlement pour légiférer en urgence. Le Président se méfie du Parlement, même s'il est connu qu'il ne s'agit en fait que d'une chambre d'enregistrement. Mais il suffit de quelques trublions pour transformer la tribune de l'APN ou du Conseil de la nation en une chambre de résonance des idées qui ne sont pas dans la ligne officielle. Rappelons-nous les nombreuses interventions à contre-courant du député du RCD, Noureddine Aït Hamouda, et la publicité qui leur a été faite par la presse privée et certains forums sur Internet. Bien que les interventions des opposants ne constituent en fin de compte que des « piqûres de moustique » sans gravité ni conséquence, le Président n'aime pas entendre de sons dissonants. Il préfère donc se passer des discussions sur les lois par les parlementaires et légiférer par ordonnance ; le vote de confirmation des ordonnances par le Parlement exigé par la Constitution ne risque à aucun moment de remettre en cause le contenu de celles-ci. Face à ce constat, quelle crédibilité reste-t-il au Parlement ? Aucune. L'histoire du Parlement algérien (même avant l'instauration du bicaméralisme) est remplie de péripéties qui sont la preuve de son manque de crédibilité. Personne, y compris les députés eux-mêmes, ne peut nier que l'APN et le Conseil de la nation ne sont rien d'autre que des chambres d'enregistrement. L'épisode du blocage de l'APN, occupée à voter les salaires des députés, est dans toutes les mémoires. La dernière augmentation salariale qu'ils se sont accordée aussi. Et cela s'était fait dans un consensus parfait, comprenant les représentants de tous les partis, y compris ceux dits « démocratiques ». Cela suffit à enlever toute crédibilité aux « représentants du peuple ». La boutade populaire qui fait des députés et des sénateurs des machines à lever la main pour dire oui n'en est que plus juste. A quoi sert le Parlement, dans ce cas ? Absolument à rien, si l'on pense à ce qu'un Parlement dans un système démocratique doit être. A faire accroire qu'il existe un régime démocratique en Algérie puisqu'il existe, outre des partis politiques d'opposition, un Parlement « pluriel ». Cela ne trompe bien entendu personne, pas même les parlementaires eux-mêmes, occupés à la défense de leurs seuls intérêts personnels et ceux de leurs clans.