En quarante ans, l'Algérie a consommé quatre Constitutions, alors que la cinquième naîtra probablement avant la fin de l'année. Aucune de ces lois fondamentales n'a survécu à son promoteur, ce qui fait dire à Khalfa Mameri, ancien professeur de droit : « Le pays cherche encore, souvent dans le trouble et la douleur, toujours dans le secret, celle qui doit survivre aux dirigeants et aux événements et prendre en charge les aspirations du peuple. » Cet ancien professeur de droit a déclaré, dans une contribution récente à El Watan, que l'important aujourd'hui est de savoir si la prochaine Constitution sera, une fois de plus, celle d'un homme, faite par lui et pour lui, ou bien celle de tout un peuple enfin décidé à gérer ses propres affaires et à tracer pour les générations futures la route de la liberté et du progrès. « Pour que l'Algérie puisse avoir une Constitution enfin valable, inattaquable et acceptable, il faudrait qu'un système de garanties soit érigé pour corriger les défauts de ces Constitutions qui se suivent et se ressemblent sur l'essentiel. D'où que toute nouvelle Constitution devrait comporter des garanties sur les éléments fondamentaux qu'on doit présenter brièvement. » M. Mameri a estimé que, depuis son indépendance, l'Algérie a souffert le plus de l'absence de pluralisme, de libertés, de séparation des pouvoirs, de légitimité et de contrôle, ces paramètres qui reflètent le niveau de démocratie d'un pays. Selon lui, « le pluralisme n'est pas uniquement réservé aux partis (...), il doit s'étendre aux associations et aux syndicats sans aucune restriction (...). Plus qu'une question d'institution, le pluralisme est un état d'esprit qui rejette l'enfermement, l'uniformité et le sectarisme (...) ». Il s'est même demandé, à ce titre, jusqu'à quand nos législateurs et gouvernants vont enfin comprendre que l'association est à la démocratie ce que l'école est à la République. Des libertés sous surveillance M. Mameri a expliqué qu'il ne sert à rien d'inscrire le bloc des libertés dans une Constitution si celles-ci doivent être soumises à des restrictions, à des atteintes, voire à des interdictions répétées comme c'est le cas en Algérie. « A quel horizon l'Algérie pourrait-elle adopter des interdictions absolues aux atteintes aux libertés comme il s'en trouve dans la Constitution allemande, où celle-ci dispose en termes simples : “la censure est interdite” ou dans le premier amendement de 1791 à la constitution des Etats Unis ? Aucune loi ne peut y déroger alors que chez nous des codes pénaux bis sont vite élaborés à chaque fois que le pouvoir veut restreindre les libertés. » A propos de la séparation des pouvoirs, M. Mameri a déclaré que la confusion politique a trop marqué le pouvoir algérien pour être reconduite. Selon lui, « il n'est plus possible que le chef de l'Etat s'arroge en droit et en fait tous les pouvoirs. C'est pourquoi le maintien de la fonction de Premier ministre peut contribuer, à condition de mieux définir ses compétences et de les respecter, à limiter le pouvoir à tendance hégémonique du chef de l'Etat. De plus tout le monde sait que le Premier ministre joue la fonction de fusible, évitant d'exposer directement le premier magistrat du pays pour ne pas fragiliser les jeunes nations sans fortes traditions démocratiques. La limitation à deux mandats présidentiels est, elle aussi, une manière d'éviter des présidents à vie comme c'est le cas dans la plupart des pays arabes. En direction du parlement, la création du Conseil de la nation ne semble avoir été imposée qu'en raison de la bizarrerie du tiers présidentiel, dit tiers bloquant, pour empêcher un coup d'Etat législatif islamiste. Cette bizarrerie renseigne plus sur la peur ou la panique qui s'est emparée des sphères dirigeantes face à l'islamisme menaçant que sur une quelconque utilité parlementaire encore moins vertu démocratique ». Il a expliqué qu'en général, les chambres hautes ne sont qu'une survivance de la noblesse qui fut pendant de longs siècles, la classe politique dominante ou une solution de compromis pour instaurer un système fédéral. M. Mameri a conclu en disant qu'une économie de moyens ajoutée à la double nécessité d'efficacité et de renforcement du pouvoir législatif ne plaide pas pour le maintien du Conseil de la nation. Abordant la question de légitimité, l'ancien professeur a déclaré : « Il n'y a point de légitimité en dehors des urnes. » Bien sûr, a-t-il noté, à condition que les élections soient irréprochables dans leur préparation, leur déroulement et leur proclamation. « La meilleure Constitution ne peut donner le gouvernement le plus légitime, si la fraude électorale n'est pas rendue impossible. Il n'y a pas de démocratie là où le gouvernement assure sa reconduite répétée par des élections truquées (...). La fraude électorale constituant la source du mal algérien. » Il a conclu : « Aucune Constitution n'est neutre. En fondant un régime politique dans sa nature comme dans son fonctionnement, elle décide, en fait, du sort quotidien de chaque citoyen »