Qui sera désigné successeur officiel de Bouteflika ? Le seul vrai problème qui se pose concerne le nom et la personnalité de « l'héritier ». Beaucoup de monde se presse au portillon, mais un seul sera élu : celui qui garantira le mieux la pérennité du système bouteflikien et celle de l'image de « père » et « sauveur » de la nation de l'actuel chef de l'Etat. A l'origine, il semblait que ce rôle était dévolu à son frère Saïd, à l'image de ce qui se fait dans d'autres régimes analogues à l'algérien : la Syrie, l'Egypte et la Libye. La mise à l'écart du frère du Président au début du deuxième mandat semble contredire cette option : Saïd Bouteflika semble avoir fait l'unanimité du sérail contre lui pour différentes raisons dont l'inimitié des hommes les plus influents de l'entourage du Président. Mais rien ne permet de l'éliminer de la succession : il est dans une situation de réserve de la République en attendant le moment opportun pour réapparaître en tant qu'homme de la situation ; celui de dernier recours. Les deux autres candidats les plus plausibles à l'héritage bouteflikien ne sont autres que celui qui a mis sur les rails la révision constitutionnelle, l'actuel chef du gouvernement et secrétaire général du parti FLN et son devancier au poste de chef du gouvernement, le secrétaire général du RND Abdelaziz Belkhadem et Ahmed Ouyahia. Chacun des deux peut, en effet, dans un domaine précis, aspirer à continuer l'œuvre majeure du Président : paix et réconciliation pour l'un, modernisation de l'Etat pour l'autre. Celui qui semble le mieux tenir la rampe est sans conteste l'actuel chef du gouvernement, qui, dans son irrésistible accession vers le pouvoir suprême, semble avoir bénéficié d'un soutien sans faille du président Bouteflika : d'une part, il l'a protégé contre les militaires qui, en 1999 et 2000, avaient émis un veto incontournable contre lui au poste de chef du gouvernement que déjà il était destiné à occuper. Son passé d'islamiste convaincu (le néologisme barbéfélène avait été inventé spécialement pour lui), de soutien du parti du FIS dissous et du contrat de San Egedio, ses accointances vraies ou supposées avec le régime islamiste d'Iran l'avaient décrédibilisé aux yeux de l'armée dont l'objectif premier était de barrer la route à l'Islamisme politique. D'autre part, le Président a fait de lui, non seulement un ministre des Affaires étrangères qui avait toute sa confiance, ensuite le secrétaire général du parti du FLN rénové, tiré des griffes de la contestation et redevenu le cheval de bataille de toute la politique bouteflikienne et enfin un chef de gouvernement chargé d'appliquer la politique du Président et rien qu'elle. Dans toutes ces missions, Belkhadem a brillé par un zèle jamais démenti de servir un Président, source et inspirateur de toute son activité et de ses initiatives politiques. Ajoutons que son attachement à l'islamisme politique, jamais réellement démenti, ainsi que ses relations étroites avec certains anciens éléments dirigeants du FIS dissous rendent sa candidature à la succession acceptable par une frange non négligeable de l'électorat islamiste. Le cas de Ouyahia, contrairement à ce que son éviction quelque peu cavalière du poste de chef du gouvernement pouvait laisser entrevoir, n'est pas scellé. Il n'est ni en train de faire sa traversée du désert ni de faire face, à l'intérieur de RND, à une opération de déstabilisation qui pourrait lui être fatale. Son poste de secrétaire général du RND est trop important pour le lui garder, si réellement il était passé dans l'opposition au Président, comme beaucoup d'analystes avaient essayé de le démontrer au moment de son éviction. Ouyahia n'est pas Benflis, loin de là : il a la maturité politique voulue pour savoir que son sort dépend d'une décision du Président ; un mouvement de redressement est vite créé pour le renverser ; or il continue de tenir fermement les rênes du RND, parti encore indispensable au Président pour faire accroire à une pluralité politique au sommet de l'Etat (le RND, dans ce schéma, représenterait les démocrates et les modernistes que les véritables partis de ce pôle ont refusé de jouer). Bouteflika a besoin de cette illusion démocratique qui constitue l'une des pierres angulaires de sa politique : celle qui veut faire cohabiter la mini-jupe et le kamis, les modernistes et les conservateurs, les islamistes, les nationalistes et les démocrates. Le chef du RND sait parfaitement jouer cette partition de la cohabitation. Pour qui penchera la balance le moment venu ? Personne n'est aujourd'hui en mesure de le dire. Tout se jouera, le moment venu, en fonction des données de l'heure et de l'ascension ou de la chute relative d'une des composantes de l'alliance : si à ce moment, c'est l'idéologie nationaliste (très fortement teintée d'islamisme) qui à le vent en poupe et ce sera Belkhadem l'héritier ; ou c'est la frange « moderniste » de l'alliance qui tient la rampe et Ouyahia sera le gagnant de la course à l'héritage bouteflikien. Quid de l'islamisme, qui est la troisième branche de l'alliance présidentielle ? Aboudjera Soltani, a-t-il quelques chances dans la course au trésor du pouvoir suprême ? Absolument aucune dans l'avenir immédiat. Les islamistes du MHS le savent très bien, qui continuent à faire de l'entrisme et à occuper le terrain en engrangeant un maximum de postes dans les gouvernements successifs (où ils veulent démontrer leur compétence, à l'image de leur porte-drapeau Amar Ghoul, l'actuel ministre des Travaux publics), dans la Fonction publique (administration, école, justice) et dans le mouvement associatif. Leur objectif est à plus long terme : 2012. D'ailleurs, le patron du parti islamiste, dans une déclaration qui est quelque peu passée inaperçue, avait affirmé qu'en 2012, le HMS sera majoritaire à l'APN et sera en mesure de former et de diriger le gouvernement. C'est avant tout à cela que le parti travaille. La succession de Bouteflika, pour l'instant, ne fait pas partie de ses objectifs stratégiques immédiats. La constitution révisée pourra-t-elle pérenniser le système bouteflikien ? La révision constitutionnelle en chantier pourra-t-elle réellement servir à perpétuer le système bouteflikien ? Pourra-t-il y avoir un « Boutefkisme » sans Bouteflika ? Probablement pas dans sa forme actuelle, où la très forte personnalité du Président domine tout le reste. Il est difficile de croire que l'un des trois dauphins puisse disposer des qualités personnelles et de l'aura de l'actuel chef de l'Etat. Abdelaziz Bouteflika a pu accaparer l'ensemble des pouvoirs grâce à une personnalité hors du commun (très proche de la mégalomanie) et à des capacités manœuvrières exceptionnelles. Ni Belkhadem, ni Ouyahia et encore moins Saïd Bouteflika ne peuvent rivaliser avec l'actuel Président pour se faire accepter du sérail et lui dicter sa loi. Le prochain Président devra donc jouer sur un autre registre que celui du pouvoir personnel omniprésent et omnipotent. Il devra nécessairement composer avec ses alliés et adversaires potentiels. Il ne semble pas que l'armée (sauf en cas de crise majeure, mettant en péril le devenir même de la République) ait envie de réinvestir la sphère politique : son nouveau rôle d'armée de métier semble lui convenir tout à fait et accapare toute son énergie. Les partis politiques de l'actuelle alliance présidentielle seront donc les seuls vrais acteurs de la scène politique, du moins dans un premier temps. C'est sur eux qu'il devra exercer son pouvoir ; et rien ne dit que la passation de pouvoirs se fera sans heurts. C'est pour cela que le président Bouteflika tient absolument à construire dès maintenant les passerelles constitutionnelles qui permettront un passage de relais entre lui et le successeur qu'il désignera lui-même. Le rôle de l'héritier sera de sauvegarder le système politique mis en place et la perpétuation de l'image de rassembleur, d'homme de paix et de père de la nation que l'actuel chef de l'Etat tient absolument à laisser à la postérité. L'auteur : Politologue