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Un très fort impact sur la santé des Algériens
Publié dans El Watan le 26 - 09 - 2015


Préambule
La catastrophe de l'effondrement des prix des hydrocarbures à l'international, principale source pourvoyeuse du pays en devises (97% des recettes extérieures), affecte tous les secteurs socioéconomiques du pays. Les secteurs sociaux sont fatalement concernés et, de surcroît, vont en pâtir davantage que les secteurs stricto-économiques. Les dits secteurs sociaux, s'ils ne produisent pas de richesse économique directe (PIB) sont par contre nécessaires, car ils favorisent le développement et la croissance économique.
L'éducation, la formation professionnelle et l'enseignement supérieur forment et fournissent la main-d'œuvre qualifiée et les cadres techniques et scientifiques nécessaires à la production de biens et services (la richesse du pays) et la santé met à la disposition du secteur économique une force de travail humaine saine, en bonne santé apte à produire beaucoup et de façon efficace.
Comparativement aux autres secteurs sociaux comme l'éducation, la formation professionnelle, l'enseignement supérieur, la sécurité sociale et la solidarité, qui ne sont pas concernés de façon «frontale» par le brusque effondrement des recettes extérieures car utilisant peu les produits et services d'importation (inputs), par contre le secteur de la santé est quant à lui directement dans l'œil du cyclone car utilisant des inputs importés que sont les équipements médico-techniques (scanners, radiologie, instrumentation médicale diverse…), les moyens de transport médicalisés (ambulances, véhicules et autres équipements aménagés pour handicapés…), les médicaments, vaccins et matières premières et principes actifs pour la production locale des produits pharmaceutiques, sans oublier les aciers et le ciment pour la construction des nombreuses infrastructures sanitaires programmées (CHU, hôpitaux généraux, polycliniques, centres de santé, salles de soins…).
L'histoire mondiale contemporaine nous a enseigné que l'avènement des crises financières et économiques mondiales s'accompagnent fatalement de coupes budgétaires drastiques qui affectent d'abord, en premier lieu, les secteurs sociaux qui sont par nature non producteurs directs de PIB mais favorisent sa croissance comme expliqué précédemment.
Dinar/dollar/euro : la perte de valeur du dinar est continue et risque d'être vertigineuse et les importations de médicaments et d'équipements médico-techniques seront plus onéreuses
Toute crise économico-financière se traduit par une perte de valeur de la monnaie locale et cela, même si c'est une devise internationale (exemple récent du yuan chinois). Le dinar s'est déprécié à la fois face au dollar et à l'euro. Face au dollar il a concédé une perte de 34% environ (perdant 1/3 de sa valeur) passant de 1 dollar = 79,38 DA en 2013, il est aujourd'hui à 1 dollar = 106,43 DA. Face à l'euro, la dépréciation est de 13%, passant de 1 euro =105,43 DA en 2013 contre 1 euro= 119,04 DA en 2015. Ces dévaluations «non dites» vont fatalement impliquer des coupes budgétaires ou au moins une reconduction des budgets sans augmentation mais dont le pouvoir d'achat sera fortement diminué. L'acquisition des intrants importés (médicaments, équipements médico-techniques) et des matières premières (aciers et ciment) pour les constructions d'infrastructures sanitaires sera onéreuse. Les prix vont augmenter au prorata de la dépréciation du dinar face à l'euro et au dollar.
Les prix des prestations de santé fournies par le secteur privé (cliniques et cabinets) vont également fortement augmenter non seulement pour compenser la dévaluation du dinar mais «c'est dans les grandes occasions d'opportunité que les prix flambent au-delà de la logique économique de crise». Même dans les économies occidentales, les crises provoquent une double augmentation : une augmentation logique pour compenser l'augmentation des prix des inputs mais également «une augmentation illogique, d'opportunité pour profiter de l'aubaine et de l'avènement où on fait tout passer», ça c'est dans les pays occidentaux, chez nous l'ambiance est telle que l'augmentation illogique (indue) va tendre vers des niveaux alarmants.
Dépenses de santé des ménages «out of pocket», inégalités des Algériennes et des Algériens devant les soins et la mort
L'étude «Comptes nationaux de la santé» réalisée par nos soins dans le cadre du Programme d'appui au secteur de la santé, programme de coopération entre le ministère de la Santé publique, de la Réforme hospitalière et la Communauté européenne, a établi un constat majeur qui est la part anormalement élevée de la dépense de santé des ménages évaluée à 24,7% (1/4 presque) de la Dépense nationale de santé qui est déjà problématique à ce niveau lorsque les organismes internationaux OMS et Banque mondiale recommandent qu'elle ne devrait pas dépasser 10% et ne devrait concerner que les ménages aisés. Pour les ménages économiquement faibles, il y a un risque d'appauvrissement, les familles vendent leurs biens, consomment leurs maigres économies dans des dépenses onéreuses auprès non seulement du secteur médical privé de façon directe mais également indirectement dans le secteur public, où souvent ils doivent faire des examens et des analyses médicales chez le privé car pas toujours faciles dans le secteur public.
Dépense nationale de santé en 2012 (milliards de dinars)
Les dépenses de santé des ménages, jugées déjà élevées, vont rapidement croître et seront accentuées par le risque de non-prise en charge des malades dans les établissements publics de santé pour cause d'indisponibilité de médicaments et d'équipements médico-techniques due aux restrictions budgétaires dont leur seul recours sera le privé local ou l'étranger pour les plus nantis et les débours seront par conséquent importants.
La catégorie des ménages à «revenus moyens» va rejoindre les économiquement faibles, estimés à 30 % environ de la population, ce qui va faire augmenter cette catégorie sociale pour atteindre 50% de la population algérienne. Les ménages à revenus élevés continueront à se soigner dans les cliniques privées locales et dans les structures sanitaires étrangères (France, Suisse, Tunisie et récemment la Turquie) et le niveau de devises qui sortira du pays sera plus important (il n'y a pas de données fiables, mais une grossière estimation laisse penser qu'à raison de 5 000 euros par patient et pour 100 000 malades qui se soignent annuellement à l'étranger, la sortie de devises serait de l'ordre de 0,5 milliard d'euros et qui a tendance à progresser de plus de 20% environ par an à cause de l'incurie du secteur public de santé qui va connaître des coupes budgétaires concernant les médicaments, les explorations fonctionnelles et examens des équipements médico-techniques.
Le programme prévisionnel de construction de nouveaux CHU et de nombreuses structures sanitaires est compromis et sera fatalement relégué à au moins 05 ans. Les inégalités sociales devant la santé vont se creuser davantage et la fracture sociale va créer l'inégalité des Algériennes et des Algériens devant la mort. Les plus faibles économiquement mourront plus nombreux que les populations aisées qui se soigneront à l'étranger.
Le cas spécial du plan cancer 2015-2019
Le cas du «Plan national cancer 2015-2019, une nouvelle vision stratégique centrée sur le malade», est problématique du fait qu'il bénéficie du caractère de priorité avec des plans et des programmes nationaux intégrés et intersectoriels. La volonté présidentielle d'accorder la priorité nationale à la lutte contre le cancer est contrariée par le retournement du marché pétrolier, dont tous les indicateurs et les tendances laissent présager une accentuation de l'effondrement des prix sur une longue durée, qui va au-delà de la période du plan cancer : 2015-2019. Le budget prévisionnel de ce plan pour la période 2015-2019 est évalué à 178, 674 milliards de dinars. Sur le plan financier, ce plan souffre d'abord d'une insuffisance en matière de prévision financière sur le long terme et ensuite de la charge qui va peser sur la perte de pouvoir d'achat du budget prévisionnel, du moins pour les intrants importés -équipements d'oncologie et médicaments – induite par la perte de valeur du dinar.
Prévision financière «erronée»
Tout économiste ou comptable vous dira que lorsqu' on fait des prévisions financières à terme, il faut «actualiser» les sommes prévues selon la formule classique de l'actualisation qui est une méthode permettant de voir combien vaut aujourd'hui un dinar qui sera dépensé dans le futur, dans une ou plusieurs années. Les économistes et les comptables accordent de l'importance au temps. L'érosion monétaire fait que le dinar d'aujourd'hui a plus de valeur que le dinar de demain du fait de sa dépréciation à cause de l'inflation. Si le montant prévu en 2015 reste inchangé et vaudra le montant affiché (67,819 milliards de dinars), ceux prévus pour 2016, 2017, 2018 et 2019 auront un pouvoir d'achat amoindri et ne peuvent suffire à la réalisation des activités programmées pour ces années.
Les budgets prévisionnels en milliards de dinars des centres anti-cancer (CACs) fonctionnels et prévus et des unités d'oncologie ne pourront jamais suffire à la réalisation des activités prévues, car ils auront avec le temps subi une perte de valeur (érosion monétaire due à l'inflation et à la dévaluation du dinar avec l'euro et le dollar). Il fallait les actualiser. Pour le cas de l'Algérie, ce taux devrait se situer à environ 10% chaque année et censé compenser la dépréciation des montants prévisionnels à cause de l'inflation.
– charge qui va peser sur la perte de pouvoir d'achat du budget prévisionnel à cause de la dévaluation du dinar
Etant donné que le plan cancer prévoit la réalisation de nombreux centres anti-cancer et d'unités d'oncologie à travers le pays, il est évident que le gouvernement va débourser plus pour les inputs importés comme les équipements médico-techniques et les médicaments à cause de la perte de valeur du dinar par rapport à l'euro et au dollar.
Le plan cancer est réellement menacé dans cette composante d'inputs importés. Les budgets ne pourraient être augmentés pour compenser cette perte de valeur. Les inégalités sociales vont se creuser davantage et la situation des cancéreux, qui seront entre-temps plus nombreux car la maladie progresse rapidement, serait dramatique, les personnes économiquement faibles mourront en masse et les nantis moins, car se soignant à l'étranger. La «fracture» sanitaire algérienne est explosive.
Crise financière et démographie
Il y a une dangereuse juxtaposition de deux phénomènes que sont la crise financière induite par la baisse des revenus pétroliers et le «re-babyboom» algérien. Dans sa récente revue Démographie algérienne 2014 : Revue ONS n° 690» l'ONS établit une vérité inquiétante : «Au 1 er janvier 2015, la population résidente totale en Algérie a atteint 39,5 millions d'habitants. L'année 2014 a été marquée par une augmentation conséquente du volume des naissances vivantes, qui a dépassé pour la première fois le seuil de un million.
Cette année a connu également une hausse du volume des décès et un léger fléchissement du nombre des mariages contractés.» Après une baisse tendancielle du taux d'accroissement démographique et de l'indice synthétique de fécondité, voilà que l'Algérie renoue avec la démographie galopante. Nous sommes 39,5 millions d'habitants en 2015 et nous seront 40,4 millions en 2016. La croissance démographique est un facteur contraignant pour l'Algérie, pays à moyen revenu qui dispose déjà d'une population jeune et un vieillissement lent et n'a pas besoin d'une redynamisation de la démographie.
Au contraire, ce «re-babyboom» va peser lourdement sur le pays soumis à une crise économico-financière qui va durer et tous les indices l'indiquent : nouvelle inondation du marché pétrolier avec l'entrée en lice de l'Iran, le pompage intensif de l'Irak, la reprise de la production de la Libye à court terme, les gaz de schiste et la récente découverte d'un immense gisement de gaz «off-shore» en Egypte d'une part et les progrès rapides des énergies renouvelables (solaire et éolien) d'autre part. Un million de naissances supplémentaires par an veut dire plus d'accouchements dans les maternités publiques et privées, plus de soins pour les parturientes et les nouveau-nés, plus de médicaments, de vaccins, d'échographies, de césariennes et de futures personnes à soigner. Ces charges augmentent pour les intrants importés.
Conclusion
Le secteur de la santé va connaître de fortes pressions et d'insoutenables contraintes budgétaires qui vont se traduire par un renoncement aux projets de développement aggravés par la transition sanitaire qui fait prédominer les maladies chroniques non transmissibles qui sont très coûteuses. Les grands et coûteux projets de réalisation et d'équipements de nouveaux CHU vont certainement être relégués à un futur plus favorable. La facture des importations des médicaments va certainement être réduite aux princeps et elle sera restreinte aux génériques.
La question de la gratuité des soins ne fera pas l'objet d'une révision à court terme, du moins jusqu'à la fin 2015. Mais si les tendances persistent , et elles le sont réellement au vu de l'inondation du marché pétrolier dans la longue durée, la révision de ce principe constitutionnel va être engagée par une contribution d'abord modérée des usagers pour augmenter graduellement ; cela a déjà eu lieu durant la crise des années 80 et 90 avec l'arrêté ministériel instituant l'arrêt définitif de la distribution gratuite des médicaments en médecine ambulatoire depuis 1985 et celui de 1986 qui institue une participation des usagers à hauteur de 20% du coût des examens, explorations et analyses. Il y a eu également celui de janvier 1995 (en pleine période d'application du plan d'ajustement structurel négocié avec le FMI et la Banque mondiale) et qui a institué :
– la participation des usagers à hauteur de 50 DA (consultation de généraliste), 100 DA (consultation de spécialiste) et 100 DA (journée hospitalière) avec des exemptions (enfants, malades chroniques, personnes âgées, anciens moudjahidine, chômeurs, personnel de santé..) en vigueur jusqu'à ce jour. Une contribution plus importante des usagers au financement des prestations de santé dans les établissements publics ne peut être évitée et va certainement être mise en œuvre en 2016 pour plusieurs années au-delà.
Il est recommandé qu'elle soit ciblée et touche davantage les nantis. Il est urgent pour le ministère de la Santé de mettre en place un organe non administratif et non bureaucratique mais un organe autonome, un think tank (laboratoire d'idées) qui va explorer la situation et le contexte pour trouver des solutions à cette situation et éviter l'effondrement du système national de santé.
Le «plan de vol» de ce think tank porterait sur les actions et mesures pratiques : revenir au projet de la contractualisation des rapports entre le ministère de la Santé et les organismes de l'assurance-maladie, intégrer dans ce système les mutuelles des entreprises économiques et des secteurs sociaux éducation, santé…, créer les réseaux de soins, les parcours des malades, encadrer et faire participer le secteur privé dans la prise en charge des malades selon un système de prix homologués et revoir la rigidité de la gestion des établissements publics de santé. Les solutions existent, les penseurs et scientifiques algériens locaux et ceux résidant à l'étranger existent, il suffit que l'administration du secteur soit crédible, mobilisatrice et non administrativement dominante et le cap difficile peut être transcendé.


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