Il n'a pas fallu longtemps à la littérature coloniale pour que la jeunesse irrigue les tendres esprits des enfants français. Dès le lendemain de l'intrusion en Algérie, cette funeste année 1830, les premiers livres coloniaux pour la jeunesse paraissent. Lyon De notre correspondant La colonisation de l'Algérie intervient en juillet 1830 et les premiers écrits coloniaux pour enfants, ont été publiés dans la foulée, alors que les choix politiques sur la pérennité de l'occupation n'étaient même pas tranchés. Mathilde Lévêque, de l'université Paris 13 Nord donne une piste datée, dans une intervention intitulée « Fiction, histoire et religion au temps de l'Algérie coloniale ». Elle l'a prononcée à l'occasion d'un colloque de deux jours à Tours, dans le cadre d'une réflexion de haut niveau sur l'histoire d'un imprimeur tourangeau du nom de Mame. L'imprimeur éditeur était à la recherche d'un nouveau style et c'est ainsi que dès 1836, estime la chercheuse, « l'Algérie fait son apparition dans le champ de la littérature pour la jeunesse, dans un récit pour la jeunesse édité par Mame, au moment même où commence à se mettre en place la bibliothèque de la jeunesse chrétienne ». C'est un « nouvel objet littéraire et culturel » qui entre dans ses collections pour la jeunesse. « Entre livres d'histoire, souvenirs réels ou inventés, récits de fiction très fortement marqués par le catholicisme, l'Algérie coloniale cherche sa place chez un éditeur qui semble comprendre la nécessité d'investir ce territoire tout en cherchant les modalités d'une écriture en train de s'inventer, l'écriture coloniale pour la jeunesse. » Paradoxe des historiettes destinées à distraire et éduquer, l'aspect façonnage des cerveaux n'est jamais loin. Il s'agit bien de mettre en place une bibliothèque de la jeunesse chrétienne. Ainsi, outre la norme coloniale, la campagne d'évangélisation missionnaire a été un des fers de lance de la maison d'édition Mame installée à Tours en 1796 et en activité jusqu'en 1975. Dans une des nombreuses autres communications, Marie-Pierre Litaudon (université Rennes II / université François-Rabelais Tours) devait brosser le portrait du prêtre Dominique Dufêtre, sous le titre évêque missionnaire hors norme. Vicaire général de l'évêché de Tours de 1824 à 1842, puis évêque de Nevers de 1843 à sa mort, il a joué un rôle majeur dans la réussite commerciale de l'éditeur. Son action se voulait être « celle d'un soldat de Dieu. Son arme à l'endroit de la jeunesse réside dans l'éducation et le livre. Dans cette croisade, il se montre très tôt visionnaire », explique l'universitaire, « son ambition, sa poigne de fer, ses qualités remarquables d'organisateur tout autant que de prédicateur, le hissent parmi les acteurs incontournables de la propagation de la foi ». Dommage que les archives de la maison d'édition aient été totalement détruites dans le bombardement de Tours en 1940, sans qu'aucun don à une institution extérieure n'ait permis d'en conserver des éléments. Carnet de Recherches de l'A.N.R. Mame (1796-1975) : deux siècles d'édition pour la jeunesse a pour ambition, sur trois ans, de recomposer les éléments d'un puzzle, et retracer cette histoire éditoriale, à l'université François Rabelais, de Tours.