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Universités La grande solitude des étudiants subsahariens
Publié dans El Watan le 09 - 10 - 2015

«Quand nous avons atterri à l'aéroport d'Alger, un groupe d'étudiants est venu nous chercher. Lorsque nous avons pris le bus pour la ville, des gens qui étaient là ont fait de drôles de bruits à notre passage. On ne comprenait pas. ‘‘C'est normal. Tu verras pire'', nous ont dit les anciens. Depuis ce moment-là, j'ai peur. Je parle peu avec les Algériens, ils sont très agressifs avec nous.» Quand il n'est pas en cours, Osvaldo, 24 ans, reste enfermé chez lui. Il est venu d'Angola, il y a trois ans, pour étudier la géologie.
Un master qu'il effectue grâce à la coopération entre Alger et Luanda. Comme lui, chaque année, ils sont des centaines à venir étudier dans tout le pays. Ils bénéficient des mêmes conditions que les étudiants algériens : un place en cité universitaire, l'accès au restaurant universitaire, aux bus entre la cité U et le lieu des cours, et 4000 DA par trimestre. Cette politique d'accueil est une tradition de la politique extérieure algérienne. Des membres du gouvernement du Mali ou du Sénégal sont d'anciens étudiants.
Gratuité
Mais peu d'étudiants aujourd'hui connaissent la réalité de l'Algérie. «J'ai cherché sur internet, j'ai vu des photos de jolies villes, de jolis paysages, je me suis dit : super !» raconte Angel, un grand Cap-Verdien de 22 ans. Le choix du pays n'en n'est pas vraiment un. «Mon pays m'a envoyé ici», affirme Osvaldo. «Nos bacheliers viennent nous voir pour postuler afin d'étudier à l'étranger. Il arrive que lorsqu'il n'y a plus de place au Maroc, on leur propose l'Algérie», explique la responsable des étudiants de l'ambassade de Côte d'Ivoire. «Je voulais étudier à l'étranger, ailleurs que dans mon pays où l'année universitaire est fragilisée par les grèves», raconte Harlen, étudiant ivoirien de Sétif.
Les chancelleries et les étudiants sont unanimes : l'Algérie permet surtout de faire des études à un moindre coût et rend l'enseignement supérieur accessible à des centaines de jeunes de tout le continent. «Au Maroc ou en Tunisie, les accords de coopération ne prennent en charge que les frais d'inscription. L'étudiant doit payer un loyer. Ici tout est gratuit», explique Balla Garba, premier secrétaire de l'ambassade du Niger. Abdoulaye, étudiant tchadien confirme : «La vie quotidienne n'est pas trop chère non plus, on peut s'en sortir.» Venir faire ses études en Algérie a aussi un avantage pédagogique.
Dans les pays du Sahel, les universités sont jeunes, manquent de professeurs ou souffrent de sureffectifs d'étudiants. D'autres pays comme l'Angola profitent des formations dans le domaine pétrolier. «Nos étudiants ont accès à des filières qui n'existent pas chez nous. A la fin de leurs cursus, ils sont fonctionnels pour notre marché du travail», explique-t-on à l'ambassade du Sénégal. Même constat à l'ambassade du Tchad, où l'on affirme que l'Algérie est le plus grand formateur de fonctionnaires tchadiens. «Etudier ici est un avantage.
Pour faire génie-civil chez moi, il faut être un garçon», explique Gloria, étudiante venue de la République démocratique du Congo. Osvaldo, l'étudiant angolais, reconnaît que, contrairement à l'Algérie, les universités de son pays manquent de moyens techniques «comme les laboratoires». Une excellente opportunité, c'est ce qu'évoquent également, ces quatre étudiants ivoiriens en théologie islamique, ou cet étudiant mauritanien à l'école militaire.
Solitude
Pourtant, les conditions de vie de ces jeunes sont difficiles. Tous, garçons comme filles, ont des dizaines d'histoires à raconter sur des insultes, des moqueries, des agressions du fait de leur couleur de peau. Du professeur en géologie qui affirme que l'Algérie n'est pas «en Afrique», aux «blagues» qui consistent à dire à un étudiant «je vais appeler la police pour te dénoncer toi le sans-papiers», dans tout le pays, l'arrivée est rude. Un soir de septembre, un petit groupe d'étudiants s'est rassemblés à Aïn El Turk, sur la côte oranaise. La paroisse leur a prêté une petite maison pour quelques jours, histoire de «décompresser».
Les filles ont préparé un gâteau car l'un des garçons fête son anniversaire. Trois heures de rire, de danse face aux clips et de blagues potaches qui «font du bien». «On n'a pas l'habitude de déconner comme ça. La plupart du temps, on n'a pas le moral, on est seul dans notre chambre, à l'amphi, raconte Trésor, Ivoirien, étudiant en génie énergétique à Tiaret, qui souligne la différence de traitement réservée aux chrétiens. Des fois, si tes profs ne sont pas très compréhensifs, tu peux être le plus ciblé par les interrogations, ou même exclu de certaines activités.»
Religion
Gloria, l'étudiante congolaise, craignait de venir étudier dans un pays musulman. «En arrivant ici, j'ai compris qu'on pouvait pratiquer notre religion.» La jeune fille affirme s'être très bien adaptée, mais concède, qu'en dehors de la communauté d'étudiants étrangers, le quotidien est compliqué : «Les provocations, les cris quand on passe, je ne m'y fais pas. Les Algériens te font toujours sentir que tu es étrangère.» Pélagie, 22 ans, déboussolée les premiers jours, est désormais plus heureuse. «J'ai appris à me débrouiller toute seule sans appeler mon père. L'Algérie m'a fait grandir».
Etudiante en communication à Mostaganem, elle passe de temps en temps un week-end chez des amies algériennes. La jeune burkinabé admet cependant que c'est l'église qui lui a permis de se sentir mieux : «Avec les autres étudiants étrangers, tu peux discuter, sans que quelqu'un te regarde de travers ou te juge. Je me sens libre.» Angel, lui, va mettre un terme à ses études. Ce Cap-Verdien a passé tout l'été à Oran : «Je ne suis pas beaucoup sorti de la cité U. On a joué un peu au foot. Je suis allé à la mer, mais une seule fois. Je n'ai pas aimé. Quand on s'est mis en maillot de bain, des Oranais ont fait des gestes étranges. Je ne suis plus jamais retourné à la plage depuis.»
Précarité
Les étudiants étrangers découvrent aussi les défis auxquels sont confrontés les étudiants algériens, comme vivre dans des cités universitaires, parfois insalubres. «Dans ma cité, les chambres ont été rénovées, ça va, mais les sanitaires sont dans un état insupportable», décrit Jean qui étudie l'informatique à Boumerdès. «J'ai dit à mes étudiants d'arrêter de se plaindre et de nettoyer leurs cités. Mais dans certains cas, il y a des choses compliquées, comme ces jeunes qui devaient dormir sur des gravats», raconte une diplomate. De nombreux étudiants «font avec», mais la précarité est importante.
Si les étudiants étrangers ont les mêmes conditions de prise en charge que les étudiants algériens, ils ont un handicap : ils n'ont pas le droit de travailler. Or 4000 DA par trimestre c'est insuffisant, surtout quand les restaurants universitaires ferment pendant les congés. Là, les situations varient en fonction des pays d'origine. Certains comme le Mali ou l'Angola assurent une bourse supplémentaire à tous leurs étudiants. D'autres comme la Côte d'Ivoire ou le Tchad sélectionnent les étudiants.
Etudiants guinéens, tchadiens, nigériens et ivoiriens ont tous manifesté devant leurs ambassades ces deux dernières années pour obtenir plus d'aide de la part de leurs gouvernements car ils estiment leurs bourses insuffisantes ou versées avec beaucoup de retard. Interrogées sur la question de la précarité des étudiants, les ambassades ont toutes une réponse similaire. «Celui qui vient vraiment pour étudier a les conditions nécessaires pour le faire», affirme Hamadoun Bocar Cissé, conseiller culturel de l'ambassade du Mali. «Ce sont des conditions de vie estudiantines.
On ne peut pas se croire dans un 4 étoiles», renchérit Bella Garba, premier secrétaire de l'ambassade du Niger. L'ambassadeur d'Afrique du Sud, qui veut concrétiser la coopération universitaire entre Alger et Prétoria n'a lui «jamais entendu parler de telles difficultés». L'aide ne viendra pas des chancelleries. «L'Algérie nous prend en charge pendant l'année scolaire, c'est ensuite à notre pays de nous aider, s'emporte Harlen N'da, secrétaire général de l'Association des étudiants ivoiriens en Algérie. Quand on n'a pas de bourse de notre pays, on finit par aller travailler sur les chantiers de manière clandestine. Vous imaginez les accidents ?»
Informel
Abdoulaye, étudiant du Tchad, après avoir manifesté lors de la visite officielle de Idriss Deby à Alger, a fini par renoncé à obtenir plus de son pays et il a trouvé un petit boulot dans un centre d'appel. Il n'est pas déclaré et ça lui convient. «L'avantage pour moi est que je parle bien l'arabe et le français.» La semaine dernière, Abdoulaye est arrivé en France. Avec sa licence, il a postulé dans une université française via Campus France. Une option choisie par de plus en plus d'étudiants qui y trouvent une meilleure opportunité.
Blaise, étudiant burundais en médecine, vient d'obtenir son diplôme : «Tout au long de ses années, la plus grande partie de mes efforts a consisté à m'adapter. Il ne fallait pas échouer, une année de plus ça aurait été catastrophique.» Il a cependant choisi de rester quelques temps de plus pour être bénévole dans une association qui travaille avec les migrants : «ça sera une expérience, un pont pour ma vie future.» «Il faut un bon CV si on veut rentrer chez nous», renchérit Boubakeur, 26 ans, diplômé guinéen de l'université de Blida et qui est désormais inscrit dans une école algérienne privée, sans bourse, pour obtenir un second diplôme en ressources humaines.
Mais les conditions de précarité ont poussé beaucoup d'étudiants à chercher à aller ailleurs, rejetant l'idée de rentrer dans leur pays pour le moment, ou rester en Algérie. Harlen N'da s'interroge : «J'aimerais comprendre : Que reste-t-il de cette coopération finalement ?»


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