Tous se sont laissé berner par cette jeune mère de famille de 23 ans qui, le 9 juillet, avait déclaré avoir été agressée avec son bébé de 13 mois sur la ligne D du RER. La secrétaire d'Etat aux Droits des victimes, Nicole Guedj, avait elle-même plaidé la bonne foi de la prétendue victime et avait lancé un appel à témoins pour retrouver les six agresseurs, « de jeunes Maghrébins et Africains » avait-on dit. On sait que tout était faux et que la jeune femme risque une lourde peine pour avoir dénoncé un « délit imaginaire ». Pour rendre la fausse agression plus vraie, elle l'a mise à la sauce antisémite et, dans sa logique, elle a assuré que ses agresseurs étaient de « jeunes Maghrébins » et de « jeunes Africains ». Pourquoi ? Elle le dit elle-même : dans son délire mythomane, elle a cédé au climat ambiant. A qui la faute ? C'est bien le pire. Plus que cette jeune femme, c'est l'entretien de ce climat qui est détestable et condamnable. Dans le cas de cette fausse agression, la « machine politico-médiatique » s'est emballée immédiatement. Le ton a été donné par le Premier ministre en personne, Jean-Pierre Raffarin, qui en a appelé au « courage citoyen » et qui a clamé que « l'antisémitisme est une honte ». Pratiquement tous les partis politiques lui ont emboîté le pas. Les syndicats, les associations et le Consistoire israélite de Paris se sont lancé dans la mêlée avec la même unanimité. Exploration du factuel Si tellement peu ont douté, c'est que l'occasion était trop belle à droite comme à gauche de l'échiquier politique. A droite, la fausse agression intervenait quelques jours seulement après l'appel à la vigilance contre l'antisémitisme de Jacques Chirac, le 8 juillet, à Chambon-sur-Lignon, un village de « justes ». A gauche, l'événement permettait de dénoncer la montée de l'antisémitisme sans que, pour une fois, le dossier israélo-palestinien ne vienne polluer le message. Les journalistes auraient mauvaise grâce, aujourd'hui, à critiquer les politiques. Eux non plus n'ont pas cherché à vérifier la véracité des faits. Même une déclaration aussi peu crédible qu'« elle est du 16e arrondissement, donc elle est certainement juive » ne les a pas fait tiquer. On s'est contenté d'explorer le factuel en s'appuyant sur l'unanimité et le consensus de la classe politique, syndicale, associative, etc. Enfin, on a fait passer des affirmations pour analyses. « Antisémitisme, une histoire française », n'a pas hésité à titrer en une le quotidien Libération du 12 juillet. Attention aux statistiques Certes, les actes et les pensées antisémites sont une réalité. Les actes de racisme visant les personnes issues de l'immigration maghrébine « seraient même désormais minoritaires parmi les actes recensés », écrivait Le Monde du 9 juillet (avant la fausse agression). Mais il convient plus que jamais de se méfier des statistiques. Selon un sondage BVA réalisé en décembre 2003, « 40% des Français estiment qu'il y a trop de musulmans en France ». Comme l'explique encore Le Monde, l'hostilité à l'Islam se conjugue au racisme anti-arabe et anti-maghrébin. Il apparaît en fait que, une fois encore, les faits masquent trop souvent l'analyse. Aujourd'hui, on ne sous-estime plus les actes de racisme anti-juif. Cela ne veut pas dire qu'ils n'existaient pas auparavant. Est-ce parce qu'il y a une vraie prise de conscience que l'on a tendance à monter davantage en épingle le racisme antisémite et à y mêler les prises de position anti-sionistes ? Retour du communautarisme Le débat mérite d'être posé très sérieusement. Si le cas du RER D est exceptionnel par son énormité, on sait que d'autres agressions récentes, qualifiées d'antisémites, n'ont pu être prouvées. Autre interrogation : sur quelles bases réelles parvient-on à affirmer que l'antisémitisme d'aujourd'hui serait plutôt le fait des jeunes issus de l'immigration maghrébine, particulièrement des jeunes habitant les banlieues ? Est-ce le fait que les manifestations pro-palestiniennes voient désormais leurs rangs grossis par ces jeunes ? L'an dernier, le ministre de l'Intérieur (Nicolas Sarkozy à l'époque) a largement contribué à mettre en place une représentation officielle de l'Islam (CRMF) dont l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) est une composante importante. Second acte : la loi qui interdit le port d'insignes religieux à l'école est votée. Aujourd'hui, l'UOIF appelle les jeunes filles à ne pas respecter ce texte. D'où cette autre interrogation : Nicolas Sarkozy n'a-t-il tout simplement pas travaillé à une sorte de pacte social avec les associations islamiques au détriment d'une véritable politique sociale intégrant toutes les composantes de la société ? En clair, les religieux n'auraient qu'à cadrer leurs communautés et ces dernières ne s'occuperaient pas trop de politique. Quand on sait que l'exclusion sociale (discrimination à l'emploi, marginalisation dans les cités, inégalité des chances dès l'école, etc !.) touche particulièrement les personnes issues de l'immigration maghrébine et que celle-ci représente une part importante des ouvriers, chômeurs, bas salaires et RMistes, on voit la logique. Cela aboutit à un discours de plus en plus communautariste. Le président Chirac n'a pas échappé à cette logique, lors de son intervention du 14 juillet dernier. Interrogé sur l'affaire du RER D et l'emballement politique et médiatique, il a évoqué : « Nos compatriotes juifs, musulmans et d'autres, même tout simplement parfois des Français, sont l'objet d'agressions au seul motif qu'ils n'appartiennent pas ou sont originaires de telle ou telle communauté. » Autrement dit, on ne peut à la fois appartenir à une communauté et être citoyen français ! Dès lors, on comprend mieux l'affaire du RER D, et surtout ses retombées. La jeune mère mythomane n'est pas seule coupable. Loin de là.