C'est une très bonne formule. Les coûts de l'usine étant moindres, cela va permettre d'être compétitifs, ailleurs en Afrique», se félicitait Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, lors de la cérémonie d'inauguration, mi-mai dernier, de l'usine de montage de tramways Citadis (Cital) sous les fiers applaudissements de Abesselam Bouchouareb (ministre de l'Industrie), Amar Ghoul (alors ministre des Transports) et Salah Mellak (PDG du Groupe Société nationale des véhicules industriels, SNVI). Pourtant, le message du chef de la diplomatie française était clair : pas de gros investissement, ni de transfert de technologie, ni de recours abondant à la sous-traitance locale. Autrement dit, à l'image de sa compatriote Renault d'Oran, Cital Annaba ne serait, témoigne-t-on à l'unisson, d'aucun apport pour le tissu industriel national ou local, bien que l'on s'enorgueillisse «faussement» du taux d'intégration de 15% qui, à terme, devrait passer au double, soit 30%, au moment où Henri Bussery, PDG de Cital, s'était engagé à l'atteindre dans l'immédiat. Ainsi, devait-il ajouter, le recours à la sous-traitance locale, certes actuellement faible car «embryonnaire», devrait connaître un bond quantitatif certain. Or, le premier bilan dressé par les travailleurs de Ferrovial Annaba — qui contrôle Cital à hauteur de 41% et a dû libérer 5,2 ha pour l'aménagement des lignes d'assemblage Citadis — vient tordre le cou à toutes ces promesses. «De quelle sous-traitance parle-t-on ? De qui cherche-t-on à se moquer ? Tout ce qui intéresse le partenaire étranger, c'est le vaste terrain de Ferrovial. Cital s'est offert 12 000 m2 sur 320 000 m2, dont 48 000 m2 couverts, représentant la superficie globale. Et, en fait d'investissement, il n'en est rien : 25 millions d'euros ont été consentis par Cital pour construire et équiper le bâtiment de 12 000 m2 que vous voyez. Bien que notre entreprise détienne 41% du capital de Cital, ce pseudo-partenariat ne nous est d'aucun impact positif. La situation socioprofessionnelle des travailleurs est des plus lamentables», s'offusque, d'emblée, Slimane Daifallah, président du comité de participation (CP) de Ferrovial qui compte 500 salariés dont 270 permanents, lors d'une entrevue au siège de l'entreprise. Mohamed Chawki Fetatnia, secrétaire général du syndicat d'entreprise, abonde dans le même sens : «Cital est un état et Ferrovial, un autre état. Nous sommes séparés par ce qui s'apparente au mur de Berlin. Nous ne sommes au courant de rien au sujet de cette joint-venture ni des activités de l'usine. Dans ce partenariat, on a utilisé le terrain et le nom commercial Ferrovial.» Et qu'en est-il de la sous-traitance ? Nos deux interlocuteurs sont formels : «Les 15 % de taux d'intégration dont on parle, c'est de la poudre aux yeux. Bien qu'on soit associés, Cital ne nous a jamais sollicités, ne serait-ce que pour lui fournir de simples boulons. Pourtant, le savoir-faire de Ferrovial est incontestable dans plus d'un segment, à l'image des châssis en acier que nous fabriquons pour le compte de la SNTF. Nous avons fait une demande en ce sens à Cital mais toujours pas de réponse.» Mieux, «à ce jour, aucun des responsables de Cital n'est venu nous voir ni cherché à connaître ce que nous produisons ou ce que nous sommes en mesure de produire», s'indigne M. Daifallah. Ce à quoi répond Fayçal Fadel, porte-parole officiel de Cital : «En matière de sous-traitance, nous sommes actuellement à 15% de taux d'intégration. Cital a réussi à mettre en contact des fournisseurs européens d'Alstom et des PME/PMI algériennes. Des partenariats ont été établis. Les activités ont, entre autres, trait au câblage, à l'adhésivage et au pelliculage. A la 133e, le taux d'intégration devrait atteindre 30%. En d'autres termes, au moins 30% de la valeur du tramway est en train d'être localisée : pièces de tôlerie, pièces usinées, FRP, câblage, rétrovision, sièges, vitrages, affichage, profilés structurels, câblage, châssis….» Et le responsable de se réjouir : «Toutes les activités de maintenance sont réalisées par des équipes locales en Europe et en Algérie aux technologies, outils et méthodes de leurs spécialités respectives.» Se voulant encore plus rassurant, Fayçal Fadel indique que «des discussions sérieuses sont en cours à l'échelle du groupe industriel SNVI pour impliquer solidement l'entreprise Ferrovial. A Celle-ci, pourrait être confiée la production, pour le compte de Cital, de châssis du nez (cabine conducteur). Pour les autres pièces que pourrait fabriquer Ferrovial, il faudrait attendre un peu car ces produits doivent être conformes aux normes européennes, donc homologuées par la maison mère». Par contre, poursuit M. Fadel, vu que les perspectives de croissance de Cital requièrent un plan ambitieux d'intégration locale, le groupe SNVI «est en train d'œuvrer activement aux fins de propulser Ferrovial au rang de fournisseur privilégié en pièces mécano-soudées destinées aux futurs trains hybrides Coradia Algérie». En attendant la mise sur rail de ce projet, Ferrovial croule sous un tas de soucis. Pis, elle projette une image très peu enviable, reflétant, à bien des égards, l'écart de développement entre l'Algérie et son partenaire européen. Pour s'en rendre compte, il suffit de visiter les ateliers ou les bâtiments administratifs de Cital et ceux de sa voisine immédiate Ferrovial. Au-delà des apparences, voilà des mois, si ce n'est des années, que Ferrovial se débat dans de sérieuses difficultés financières et personne ne s'en soucieni ne bouge, s'accordent à dire MM. Daifallah et Fetatnia : «Nous ne savons toujours pas comment trouver l'argent nécessaire aux achats de matière première pour satisfaire le contrat nous liant à la SNTF.» La SNTF avait commandé à Ferrovial, en septembre 2013, 380 wagons commerciaux pour 4 milliards de dinars. A peine 105 unités ont jusqu'à l'heure pu être réalisées. Sans directeur depuis le départ de Salah Mellak, ex-PDG, qui a été nommé, en février 2015, PDG du groupe industriel SNVI, Ferrovial est en quelque sorte un bateau ivre qui ne sait plus quel cap prendre. «Directeur général par intérim depuis juin dernier, Nacer Laskri se limite à la signature de la paie. Il n'a aucune autre prérogative. Nous ne savons pas où nous allons», s'indigne M Fetatnia, le représentant des 500 travailleurs. «Depuis avril 2013, date de notre installation à la tête du comité de participation, nous n'avons jamais reçu le rapport mensuel d'activité de l'entreprise. Pourtant, l'article 90-11 du code du travail définit clairement les prérogatives du CP. Il a donc fallu saisir l'union de wilaya et l'union locale UGTA ainsi que l'Inspection du travail pour que le premier rapport nous parvienne, en septembre dernier. Et il est loin d'être rassurant», renchérit M Daifallah. Les deux responsables syndicaux évoquent, par ailleurs, ce qui «se trame» en haut lieu : le projet «Cital 2» qui se spécialisera dans le montage sur place d'autorails Alstom. «Le site de l'immense atelier B3, qui s'étale sur 6525 m2, est dans le viseur d'Alstom. Ainsi, le groupe français sera en mesure d'aller à pas sûrs vers les objectifs tracés. D'autant que ses dirigeants, en France, aspirent faire de l'usine de Cital Annaba une plateforme ferroviaire avec des ambitions d'exportation vers des pays du Maghreb et d'Afrique. Comme d'habitude, nous, Algériens, nous serons là pour observer, admirer et applaudir ce que font les autres», affirme avec dépit M. Daïfallah. Et d'ajouter : «Nous avons appris que les Russes sont également intéressés par notre site. Ils cherchent à y investir dans le matériel dédié au bâtiment et aux travaux publics, c'est-à-dire le montage. Mais leurs démarches sont vouées à l'échec. Les Algériens ont une préférence marquée pour les Français…»