«La valorisation de la vase dans les matériaux cimentaires» est l'intitulé du projet réalisé par Bibi Mekki et Chikouche Mohamed Aziz, chercheurs à l'université de M'sila, en collaboration avec Ghorbel Ilhem, enseignante à l'université de Cergy, en France. Tout a commencé lorsque la wilaya de M'sila a demandé à l'université de résoudre le problème de la vase extraite du barrage d'El Ksob, l'un des plus anciens d'Algérie (construit en 1948) envasé à environ 60%. «On a envisagé d'utiliser la vase dans la fabrication de matériaux cimentaires», affirme le Dr Chikouche Mohamed Aziz, qui dit avoir entamé le projet en 2006 : «C'était le thème de mon mémoire de magistère et celui de ma thèse de doctorat.» Les chercheurs ont donc récupéré de la vase d'El Ksob rejetée dans des terres non agricoles et y ont ajouté du clinker (matière première du ciment, basé sur l'argile et le calcaire). «Nous avons effectué un traitement thermique de la vase pour simuler ce qui existe dans la cimenterie en y ajoutant du clinker en différentes proportions. Après plusieurs essais, nous avons trouvé la proportion exacte avec laquelle nous avons pu poursuivre notre recherche en France, en collaboration avec Ghorbel Ilhem de l'université de Cergy, pour le travail microscopique, entre autres, la DSC (calorimétrie différentielle à balayage), le transfert thermique, la rhéologie», explique le chercheur, qui affirme fièrement avoir «exploité tous les appareils qui se trouvaient à sa portée durant ses 18 mois de séjour en France». Au bout de la recherche, l'équipe du projet s'est vue récompensée par des résultats plus que satisfaisants. «Le ciment que nous avons fabriqué contient un faible taux de CO2, sachant que le plus gros souci dans les cimenteries mondiales réside dans l'émission de grandes quantités de ce gaz émanant du Clinker. Il faut savoir, par ailleurs, que la production d'une tonne de ciment émet une tonne de CO2, ce qui place les industries du ciment parmi les plus polluantes», se félicite notre interlocuteur. Outre la réduction du CO2, le projet contribue également à la préservation des matériaux naturels (argile et calcaire). «Quand nous avons commencé notre projet, nous avons pensé en premier lieu à la production cimentaire qui existe à M'sila, avec en plus la carrière de production de gravier et celle de sable à Bou Saâda. On s'est dit pourquoi pas un ajout dans la cimenterie pour faire de M'sila une wilaya spécialisée dans la production des matériaux de construction ?», ambitionne le Dr Chikouche. Un ciment donc produit à partir d'un déchet gênant et polluant, à savoir la vase, qui pose un véritable problème écologique et économique. Il faut savoir que l'envasement d'un barrage réduit sa capacité de stockage, sanctionnant ainsi les agglomérations à travers l'alimentation en eau potable pour ses habitants et l'irrigation pour l'agriculture. Pour le barrage d'El Ksob par exemple, une opération de désenvasement a permis d'extraire plus d'un million de mètres cubes de vase et un programme (2015-2019) prévoit d'en ôter encore 3 autres millions. Autant de volume entravant les capacités de retenue du barrage, qui irrigue quelque 4250 hectares de cultures intensives et 2000 ha de céréales. Donc la solution proposée par les chercheurs de M'sila présente des avantages certains : l'élimination d'un déchet, la réduction de l'émission de CO2 ainsi que le désenvasement de barrage. Mais en fait, qu'en est-il de la qualité du ciment produit ? «La résistance caractéristique du ciment CEMA produit par la cimenterie Lafarge est de l'ordre de 45 mégapascals (Mpa). Celle du ciment sur lequel nous travaillons est de l'ordre de 42 Mpa. Il est vrai qu'il existe une différence de 3 Mpa entre les deux types de ciments, mais il faut savoir que notre ciment est fabriqué à base de déchets récupérés». «J'ai réussi à introduire un déchet dans un matériau cimentaire en réduisant l'émission du CO2», se réjouit le chercheur. Voici donc une recherche appliquée commandée par la wilaya pour faire face à une problématique sérieuse et sanctionnée par des résultats plus qu'avantageux, à savoir la préservation de l'environnement, l'élimination de déchets qui sont valorisés mais aussi la production d'un nouveau matériau de construction — un ciment moins polluant — qui pourrait booster toute l'activité industrielle de la région. Qui dit mieux ?